DES JEUNES GENS MÖDERNES (2011)
Par ROD, vendredi 31 août 2012 à 16:00 :: FILMS NOUVEAUX
Vous savez que l'entrisme fut une stratégie des trotskistes pour infiltrer et noyauter d'autres organisations (aux idées proches ou pas). Mais est-ce que vous saviez que ENTRISME fut un magazine créé pour infiltrer le "spectre culturel" et devenir leader d'opinion (de qui? de quoi?). Ceux qui ont eu le loisir de tenir un des 6 numéros (plus le numéro zéro) entre leurs mains ont pu s'imprégner des saveurs de la revue "mutante, générationnelle et transversale" et de leurs accroches "game-by-punk" à faire jalouser VICE, qui furent d'ailleurs très bien relayées par Libération ou Les Inrocks, normal. Présente partout où il fallait être (Palais de Tokyo, Colette, Agnès B, nightclubs, galeries, etc) sur le maximum de champs artistiques possibles (musique, photo, art, etc), la "communauté de l'instant" avait compris que la règle de survie en milieu hipster était clairement: "communiquer pour réussir". En guise de testament, les "entristes", génies du marketing DIY, appuyés par le réalisateur rock Jérôme de Missolz (Race d'Ep, Furie Rock, You'll never walk alone) et d'un budget de 700 000€ ont conçu leur propre film documentaire assurant pleinement leur postérité.
Le film aurait pu être nommé plus originalement, mais bon. Dans ce doc, la bande des 4 d'Entrisme, qui ne revendiquait pourtant aucun passéisme ou aucune nostalgie, part à la rencontre d'Yves Adrien (rebaptisé 69-X-69), le poète pote de Pacadis qui roulait sa bosse dans les années Palace (toujours le même refrain). L'association des jeunes gens mödernes et du vieux mec növo devait fatalement arriver. Quand on lit son livre "Növovision" sorti en 1980, on retrouve les mêmes techniques de slogans publicitaires qui sortent de la bouche des intervenants de ce document. Le critique rock transformé en poète mou nous abreuve de sa pataphysique dans de longs monologues fatigants, et les hommes-médias n'ont rien à ajouter ni échanger, évidemment. Le passé ressurgit encore par deux fois, Edwige Belmore (la reine des punks) massacre Brel et Lio verse sa larme sur le bord d'un lit. Le dandy à la rencontre du trash et l'idolisme surpasse vite le clash (qui consiste simplement à jouer au plus arrogant). C'est le superficialisme assumé dans toute sa laideur, comme les tatouages ratés dont la bande s'orne pour se convaincre de sa subversion. D'apparts en apparts, de conversations facebook en soirées Adrien, de New York au Japon (merci le mécénat), la classe créative tente d'analyser son époque sous fond de montage bordel-geek appuyé par tous leurs groupes fétiches (the death set, crystal castles, fuck buttons, poni hoax, this is pop), qui a dit le pire de la décennie ?
Nous sommes en 2012, Entrisme a cessé d'exister depuis la sortie du film et sa présentation au festival de Cannes 2011. Même si le souhait d'être "diffusé dans tous les Leclerc de France" comme fantasmait un des membres ne s'est pas réalisé, ils ont réussi leur pari. Faire parler d'eux. Et ouais, nous sommes maintenant dans l'ère où la visibilité est devenue la seule velléité des protagonistes de cette putain de "sphère culturelle"...
Nabe avait déjà prévu la rencontre des deux mondes, 30 ans avant la sortie du film, en 1984... le voilà le futur d'avant !
« Vous qui entrez, laissez toute élégance ! Voici l'escouade des jeunes gens modernes. Tous le même regard. Ne cherchez pas d'innocence sur leurs visages. Les filles de treize ans ressemblent aux putes de dix-huit. [...] Pour elles, avoir de la classe c'est être vulgaire. On a l'impression d'être toujours au bordel dans la rue.
C'est la génération des magazines. Tout ce qu'il y a de nouveau est beau. L'Histoire commence à partir d'eux. C'est la haine de la continuité. La haine des autres.
C'est l'extravagant cortège hargneux des New-Larves. Ils se rendent vite dans un hangar pour y dégorger leurs énormes manques. C'est la brutalité de la mièvrerie viandée, du fade imberbe, imbu, de la plus effarante singerie de vieilles modes de tous les temps. Nous voici absolument en pleine anthologie de modes. C'est fantastique! On change de mode comme de chemise. Nous en sommes aux ablettes bordées de nouilles qui vont poser leurs pêches aux Ex-Bains ou dans un quelque autre Hall de Gare aux couleurs électriques. [...]
Se faire pédé maintenant est une véritable mode: peut-être la plus tenace de nos années. [...] Les jeunes se font pédés par goût de la minorité d'abord et par mimétisme bêta ensuite, comme des phasmes qui se montent pour faire comme les autres. Pas le quart des pédés d'aujourd'hui est né pédé, maladivement pédé, incurable à vomir, tendancieux du berceau... Que les mères se rassurent: dans cinq-six ans leur bambin refermera son paquet de pâtes, il fondera - graphiste ou attaché de presse - une famille normale. Beaucoup d'Undergrounds jointés des années soixante-dix s'en sont très bien sortis, pourquoi pas les tantouzes d'occase ? La folle jeunesse fait son temps: il faut qu'enculage se passe. »