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Yves Boisset (1970-1977) : Six pieds dans le plat

Yves Boisset est le réalisateur "gênant" des années 70. Politique, couillu et virulent. Il tapera sur un point précis, qui fait de préférence mal, tous les ans. Pas la peine de chercher, à l'heure actuelle il n'y a plus aucun équivalent. Après 2 premiers films plutôt convenables, COPLAN SAUVE SA PEAU (1968) d'abord, une série B d'espionnage avec Jean Servais et surtout CRAN D'ARRÊT (1970), une sorte de thriller à l'italienne assez réussi avec Bruno Crémer, il s'attaque à son film le plus puissant :


UN CONDÉ (1970)

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Un corps qui fonctionne bien n'est pas un corps qui ne produit pas de déchets. C'est un corps qui les élimine convenablement.

LA POLICE. Le 3ème film de Boisset est déjà sa plus belle réussite. Un film noir mécanique, très influencé par le cinéma américain des années 40 et 50. Le protagoniste y est indéfendable, justicier salaud et instoppable. Michel Bouquet, le mec qui a souri 3 fois dans sa vie, magnifie le personnage en question. Un de ses amis (Bernard Fresson), est abattu sur un toit lors d'un règlement de compte entre gangs. Il se jure de TOUT faire pour retrouver le tueur (Michel Constantin), avec ou sans la loi derrière lui. Ce sera surtout sans. -40% sur les silencieux, y en aura pour tout le monde. Exécutions sommaires, témoignages falsifiés, interrogatoires musclés, la machine est en marche.

LA BANDE-ANNONCE (DE PATRON)

La police doit servir la société telle qu'elle est, pas la réformer.

Se rendant compte qu'il est devenu pire que ceux qu'il combattait, le vieux condé livrera toute la vérité accompagné de sa démission à la fin de sa chasse. Son face à face avec Constantin est vraiment mythique : Qui est l'ordure ? Quand on exerce un métier qui expose à une mort violente, on se doit de ne pas avoir de femme et d'enfants, mais se résigner à vivre en solitaire. Un film sale, violemment antiflic, cru et sans pitié (on jette impunément un homme du dernier étage, on cogne sur une femme, on agresse devant un enfant...). Flics et truands à la même enseigne. L'austérité et la froideur rappellent Melville mais sans la stylistique. C'est d'ailleurs tout ce qui fait le charme du cinéma d'Yves Boisset, c'est son absence de style qui lui confère le sien.



LE SAUT DE L'ANGE (1971)

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LA POLITIQUE. La façon de faire d'Yvon transparaît encore plus ici. La pellicule coûte cher et la réalisation est nerveuse. C'est pas le genre de toile où tu verras un couple lamentatif réciter un livre, en fumant 3 paquets de clopes pendant 1h30. Godard connard. Ça reste cependant le film le plus moyen de cette série. Les élections approchent à Marseille, et le SAC fait le ménage dans l'opposition. Les frères corse Orsini deviennent gênant, et la milice les élimine. Seulement, lorsque un tueur américain est engagé pour tuer le dernier, Louis (Jean Yanne), qui vit maintenant en Thaïlande, ça coince!

L'amerlock finit bouffé par des serpents, mmm. Louis, l'aventurier, est forcé de revenir dans la crasse marseillaise, parmi les putes et la pègre. Un ancien pote à lui devenu flicard (Sterling Hayden, égérie du film noir des 50's) est chargé de veiller à sa bonne conduite. Mais celui-ci n'en fera qu'à sa tête. Avec ses sous-fifres thaï, le cirque Orsini s'installe en ville pour une semaine! Louison remontera à la source, et le député commanditaire plongera, à son insu, dans la toile d'un western diffusé en plein air, saut de l'ange oblige et belle mort en soi...

C'est très référencé comme film, pas désagréable, avec une pincée d'humour (noir forcément), malgré quelques coups de mou. Y'a de la poursuite bien avant la FRENCH CONNECTION II, des cascades à la Bébel, et une fin absurde! Mais c'est surtout le manichéisme beaucoup plus flagrant que dans UN CONDÉ qui agace, plus que les maladresses. Les colleurs d'affiche qui se font cogner par le SAC à quelques mètres des flics en criant "fasciste!", la logique du TOUS POURRIS, les liens proches mairie/mafia, ou le terme immobilier rimant avec immoralité. Rien n'est faux mais un peu plus de finesse, à l'image de la B.O. de François De Roubaix, n'aurait pas été superflue.



L'ATTENTAT (1972)

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LE COMPLOT. Gros gros casting de patron. Il n'en fallait pas moins pour mettre en image la sombre affaire Ben Barka (toujours pas élucidée à ce jour). Gian Maria Volonte est Sadiel, homme politique marocain exilé à Genève, qui rêve encore à un retour au pays et au renversement du roi, grâce à un sursaut de son peuple. Jean-Louis Trintignant (détestable) est Darrieu, gauchiste de luxe, ancien collaborateur de Sadiel, mais surtout collabo des RG. Il sera l'entremetteur. Philippe Noiret est Garcin, producteur télé pourri jusqu'à la moelle. Il inventera un concept d'émission bidon où les principaux dirigeants du tiers-monde auront la parole, pour attirer Sadiel sur le territoire français. Tout ça avec l'appui de Lempereur, Michel Bouquet, puissant avocat d'affaires (Connaissez vous de l'argent réellement solide qui n'est pas de droite ?). Ennio Morricone est le compositeur. Tin tin tin.

L'EXTRAIT

Michel Piccoli est le Colonel Kassar. L'opposant de Sadiel dans son pays. Il sera l'initiateur de l'enlèvement, avec l'appui de policiers français et d'un truand notoire, Aconetti (Daniel Ivernel). Seulement le soir de la séquestration, le commissaire Rouannat (François Périer) est de garde. Pour une fois, le TOUS POURRIS n'est plus valable. Avec l'aide de Bourdier, l'avocat de Sadiel (Bruno Crémer) et de la copine de Darrieu (Jean Seberg), ils enquêteront au plus prêt. En vain, la hiérarchie a décidé d'étouffer l'affaire et elle l'étouffera. Dans un final putain d'haletant, Roy Scheider, ancien allier de Darrieu, lui donnera le coup fatal avant que celui-ci ne délivre toute l'affaire aux médias. Traitres, collabos, double jeu, service de renseignements... L'ambiance est pesante du début à la fin et l'extrême complexité de l'affaire est très bien rendue. Pour le meilleur et pour le pire.



R.A.S. (1973)

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L'ARMÉE. Les copains, les treillis, les fusils... La camaraderie a la part belle tout au long de ce film. Le service militaire à une certaine époque, c'était une manière de voir du pays, d'entrer dans la vie, voire même un plan de carrière pour les plus perdus (pour Castaldi ici!). Seulement, lorsque tous ces réfractaires (voyous, voleurs, déserteurs, communistes, anarchistes...), rappelés sous les drapeaux, sont envoyés en Algérie malgré la volonté pacifiste de Guy Mollet, c'est un autre son de cloche. Après une mutinerie au départ de la gare et de fâcheux interrogatoires, les troupes sont dispatchées dans un camp d'entrainement qui va leur en faire baver... (On peut d'ailleurs y voir des similitudes avec THE HILL (1965) de Sidney Lumet, pour les obsédés de l'uniforme)

Je suis là pour nettoyer toute la crasse que vous avez dans la tête.

Le sergent Keller est l'enculé parfait. Punitions, humiliations, destructions... L'heure n'est plus à la potacherie malgré les pitreries de Jacques Villerêt, surtout lorsque Raymond l'anar (Jean-François Balmer) mitraille l'adjudant-chef avant de se suicider en haut du mirador. Ça sent la poudre. Avant d'abandonner leur fort à des soldats sénégalais qui arrivent en renfort, ils détruisent et pillent tout, comme dans les villages où ils passent mais sans les grenades. L'absurdité de leur comportement nous saute au visage.

Pour obtenir un con parfait comme celui-là, faut au moins 20 ans de service actif !

Dans la deuxième partie du film, la traque des fellagas se durcit. Le commandant Lecocq, plus malin et vicieux que ses prédécesseurs, est chargé de transformer ces soldats perdus, barbus et oisifs, en un commando d'élite. Après l'inspection des queues et une partie de ça-va ça-vient avec des locales, l'entrainement reprend. Acheminés par le train, les groupes de soldats se dispersent dans les montagnes. Lors d'une baignade, Rémy (Jacques Spiesser) tombe nez à nez avec des fellouz, un mort contre un prisonnier. Rémy découvre la réalité du détachement opérationnel et les atrocités de la torture. Un peu plus tard, son pote Alain (Jacques Weber) se fait tuer bêtement dans un traquenard, il avait décidé de ne jamais tirer... Rémy, dégoûté, déserte... Dur dur d'avoir 20 ans dans les Aurès... La musique de François De Roubaix (again) illustre à merveille la détresse de l'Histoire.



DUPONT LAJOIE (1975)

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LE RACISME. Après FOLLE À TUER, une adaptation en thriller avec Marlène Jobert, sortie la même année, Boisset signe certainement son film le plus connu. Une bande de beaufs de France se rejoint comme chaque année au camping des flots bleus. George Lajoie (Jean Carmet) est bistrotier et traverse l'hexagone avec fils, femme et caravane l'été venu. Ils retrouvent les Colin (Pierre Tornade et Pascale Roberts) adeptes du golo-golo dans la case et les Schumacher, couple bourgeois plus distingué. La fille Colin, Brigitte (Isabelle Huppert), a pris des formes. George le remarque. Mais à peine arrivés elle flirte déjà avec le fiston. Bon bon...

La tension monte lors d'une soirée au bal. Brigitte se donne sur la piste et attire un groupe de maghrébins (qui travaillent sur le chantier d'un futur centre de vacances et vivent dans une baraque de fortune pas loin du camping). Un verre renversé, une bousculade, les premières insultes fusent... R.A.S. Léo Tartafionne (Jean-Pierre Marielle) est le député de la région et se rend à la fête de l'intercamping en vue des prochaines élections. C'est ce moment que choisit George pour suivre la petite Brigitte, et tenter de l'abuser dans un champs à proximité. CAMPING côté obscur. Elle se débat, il la bat. Et il l'abat.

LA BANDE-ANNONCE

La communauté est choquée. La nouvelle est arrivée. Et les premiers regards se tournent vers les "indésirables" entre-aperçus au dancing l'autre soir. Une vague de violence et de haine raciale va submerger les campeurs, au grand damne de Jean Bouise, l'inspecteur chargé d'élucider le meurtre. La nuit tombée, l'équipe de vengeurs menée par le psychopathe Victor Lanoux va se ruer sur le campement maghrébin et allonz-y la ratonnade... Un homme est mort. Les élus locaux ne veulent plus de vagues. Chacun rentre chez soi. Les deux affaires sont classées. Mais pas pour tout le monde... Qui est-ce qui débarque quelques mois plus tard dans le bistrot de Lajoie ? Telle fin, tel film. PAN.



LE JUGE FAYARD DIT LE SHÉRIF (1977)

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LA JUSTICE. Après une nouvelle adaptation sortie aussi en 77, UN TAXI MAUVE, un drame finement casté (Philippe Noiret, Charlotte Rampling, Fred Astaire...) tourné en Irlande, Boisset frappe fort, encore et encore. C'est malheureusement son dernier pamphlet de la décennie, prouvant la portée de l'œuvre. Patrick Dewaere incarne Jean-Marie Fayard, un jeune juge fougueux et insolent. Pas vraiment un rôle de composition pour ceux qui connaissent l'animal. L'histoire est un parallèle avec le meurtre du Juge Renaud, assassiné à Lyon en 1975. Fayard au cours d'une enquête banale suite à un hold-up se prend les pattes dans la toile tissée entre bandits notoires (le gang des Lyonnais se transforme en gang des Stéphanois), hommes d'affaires sales et légumes politiques.

L'EXTRAIT FINAL

Fayard est bien décidé à poursuivre son investigation malgré le frein mis par son supérieur, Jean Bouise, et les minauderies de sa compagne gauchiste. Les menaces vont se multiplier malgré l'appui d'un flic intègre mais impuissant, Philippe Léotard. Le Service d'Action Civique en prend plein la tête une fois de plus. Destin tragique et problèmes bien mis à plat. Le film à la fois complexe et nerveux (évasion de prison et hold-up mobile orchestré par le grand Marcel Bozuffi) laisse un gout âpre dans la bouche. Et un gros doute sur la tête de Jacques Spiesser, l'ex-collège, dont on se demande s'il ne s'est pas servi de Fayard comme bélier pour défoncer une porte qui, de toute façon, était blindée. Ah, la monnaie.



Yves Boisset tournera ensuite 2 drames, LA CLÉ SUR LA PORTE (1978) avec Patrick Dewaere et LA FEMME FLIC (1980) avec Miou-Miou. Il renouera avec l'antimilitarisme convaincu de R.A.S. dans ALLONS Z'ENFANTS (1981) à travers le parcours de l'enfant de troupe Chalumot (Lucas Belvaux), forcé à incorporer l'armée contre son gré. Grand film. ESPION LÈVE-TOI (1982) mettra en avant Lino Ventura, pour une de ses dernières apparitions, dans un troublant film d'espionnage.

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Mais c'est déjà les années 80 et LE PRIX DU DANGER (1983) sera la dernière sortie cinématographique corrosive de Boisset, flinguant déjà les dérives de la télé-réalité. Le film a eu son jumeau aux USA en 1987 avec Schwarzenneger à la place de Gérard Lanvin ! RUNNING MAN, eh ouais. Depuis CANICULE (1984) avec Lee Marvin en fugitif et le polar sur le déclin BLEU COMME L'ENFER (1986), Boisset se consacre uniquement à la TV. Et c'est bien dommage.


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Commentaires

1. Le mercredi 1 juillet 2009 à 11:50, par Masterkiller

Bien vu le dossier, ça va me faire des films à voir pour l'été.

Le seul que j'avais vu de lui c'était Canicule, j'avais pas trop aimé malgré la présence de Lee Marvin, je le rematerais aussi tant qu'à faire.

2. Le lundi 6 juillet 2009 à 20:43, par xreichx

le prix du danger est top ! encore d'actualité aujourd'hui

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