BERNARD BACOS : Branchédavant
Par ROD, dimanche 31 janvier 2010 à 21:00 :: INTERVIEWS :: #663 :: rss

Bernard Bacos, l'homme revenu de l'aventure branchée est le créateur d'un des plus vieux sites Internet de France. Paris70 existe depuis 1997 et je vous invite à consulter son EDITO qui remet bien des choses en place, savamment dosé entre nostalgie et réalité. Pour enfin clore le chapitre sur les branchés à travers les âges, après avoir parlé des livres d'Alain Soral, Alain Pacadis et Arnaud Sagnard, j'ai choisi de poser quelques questions à Bernard, qui a connu l'effervescence underground des années 60 aux années 80. L'entretien s'est déroulé en Novembre 2009 et toutes les photos sont extraites de son site. En avant comme avant.
1. Parle-moi de ton adolescence...
J'ai grandi dans le 16ème arrondissement, mais je faisais partie de la moyenne bourgeoisie, pas de la plus friquée. J'écoutais du rock, et la plupart de mes amis aussi, nous allions dans les "boums", nous traînions sur les Champs, dans les différents drugstores, moi c'était plutôt le "New Store". Mais en même temps j'avais aussi d'autres amis plus traditionnels, par exemple dans le milieu scout catholique (eh oui !), et je ne le renie pas.
2. Les branchés, quand t'étais au lycée, c'étaient les minets. Qu'est ce qui t'a attiré chez ces jeunes friqués ?
Ce n'est pas que j'étais attiré par les Minets, d'ailleurs le terme n'existait pas encore, c'est que j'en faisais juste partie, tout naturellement ! En effet, au lycée, on se regroupait par affinités et c'est le goût du rock, du rythm and blues, d'un certain style vestimentaire, l'envie de s'amuser, d'aller dans des boums, de draguer, qui m'ont rapproché d'autres jeunes de mon âge qui avaient les mêmes goûts. C'est comme ça que cette culture s'est formée, c'était un peu l'équivalent des "Mods" anglais. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde, nous étions une minorité dans ce milieu de jeunes bourgeois encore assez conventionnels et coincés.
3. C'étaient quoi les groupes, films et clubs en vogue ?
Les groupes : globalement c'était le début de la grande vague des groupes anglais : Beatles, Rolling Stones, Animals, Kinks, Yardbirds, Who, Them. Le rythm and blues, avec Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, Aretha Franklin, tous les artistes Tamla-Motown,...
Les films : voir la filmographie des années 60. On allait voir les films qui marchaient, comme ceux de Belmondo, mais certains étaient plus générationnel que d'autres, comme le "Blow up" d'Antonioni, ou "A bout de souffle" de Godard.
Les clubs : le Relais de Chaillot, le Club Pierre Charron, le Top Ten (Mimi Pinson), le Golf Drouot, la Locomotive, le Bus Palladium, chez Castel...
4. Et les bandes les plus terrifiantes de la capitale ? Ça se passait comment dans la rue ? Il y avait beaucoup de filles dans votre entourage ?
Il y avait encore quelques bandes de blousons noirs comme la mythique bande de Montreuil, mais je n'ai pas le souvenir d'affrontements entre eux et les Minets, ce n'était pas comme en Angleterre avec les batailles rangées entre Mods et Rockers sur les plages de Brighton (voir l'excellent "Quadrophenia"). Il y avait de temps en temps quelques bagarres, mais c'était entre individus, pas entre bandes.
Il y avait pas mal de filles dans la bande, peut-être 50%, la plupart étaient du même milieu, et elles étaient là parce qu'elles avaient envie de s'amuser, elles aussi ! Mais d'autres étaient certainement attirées par ce milieu aisé, et rêvaient d'ascension sociale.

RALLYE, 1966 (Patrick Dosch)
5. Si on pense au Drugstore, ce qui motivait dès le début l'entreprise branchée, c'était l'argent, non ?
Pas d'accord : d'une façon générale, les Minets venaient de milieux friqués, et pas tous, mais ça ne veut pas dire qu'ils disposaient de tellement d'argent : tout dépendait de la générosité des parents, il ne faut pas oublier qu'on était très jeunes, 15-17 ans, on ne gagnait pas notre vie, et on n'avait que notre argent de poche qui n'était pas extensible à l'infini, une fois qu'on avait acheté quelques fringues et quelques 45 tours !
Non, je le répète, la motivation principale des Minets, c'était l'envie de s'amuser, le Drugstore et autres endroits similaires des Champs, c'était avant tout pour se retrouver et faire des sorties ensemble, faire la tournée des boums, etc..
6. Puis "Mai 68", vu que tu l'as vécu, cet évènement a t-il réellement marqué une transition et un changement de mentalité pour toi ?
Ce n'est pas à proprement parler mai 68 qui a marqué un tournant, mais toute cette période, aussi bien les années qui ont précédé que celles qui ont suivi. Mai 68 n'a été que la manifestation violente en France de changements qui étaient dans l'air un peu partout depuis déjà quelque temps, avec aux USA les Beatniks, les Hippies, le mouvement psychédélique et le Summer of Love de 1967, ou en Angleterre et en Hollande.
En France, cette aspiration au changement pour remuer une société sclérosée et trop conformiste s'est mêlée à des revendications politiques et idéologiques, avec en arrière plan le mythe de la "Révolution", ce qui était absurde car le pays était alors en pleine croissance et absolument pas dans une situation pré-révolutionnaire. Ça relevait selon moi du caprice d'enfants gâtés manipulés par une pseudo-intelligentsia qui faisait encore les yeux doux à l'idéologie communiste, malgré tout ce qu'on savait à l'époque, mais ils étaient en plein aveuglement collectif.
Enfin, il est évident que ces années-là ont été déterminantes pour l'évolution de la société, la libération des mœurs et l'assouplissement des rapports entre les gens, les choses n'ont plus été les mêmes après, pas toujours pour le meilleur, d'ailleurs.

L'ÉQUIPE D'ACTUEL, 1970
7. Tous les courants se sont ensuite enchainés. Hippie, disco, punk, new wave... Comment as-tu vécu l'arrivée de ces nouvelles idéologies, de ces nouvelles musiques et de ces nouveaux looks ?
Il faudrait un livre pour raconter tout ça, le mieux est de consulter mon site !
Pour résumer :
Les Hippies étaient une évolution naturelle par rapport aux Mods, quand a commencé à se généraliser l'usage des drogues psychédéliques, comme en Angleterre, sous l'influence des beatniks puis des premiers hippies américains. C'est un mouvement qui s'est répandu comme une traînée de poudre, surtout après Woodstock. En même temps, il y avait les gauchistes, nombreux en France, pays de tradition "révolutionnaire", plus sérieux, dogmatiques et coincés que les hippies. D'ailleurs au début, la plupart écoutaient du classique plutôt que du rock, et ne tiraient jamais sur un joint. Après il y a quand même eu quelques interactions entre les deux mouvances.
Le Punk était une réaction par rapport à l'endormissement de la culture hippie, à l'échec des utopies, et à l'arrivée de la crise. C'est un mouvement qui se caractérisait par une certaine énergie mais qui était trop négative et auto-destructrice. Il se voulait éphémère (no future), et il faut le prendre comme tel. Sans être vraiment punk, j'ai été intéressé par ce mouvement, j'allais aux concerts, au Gibus et tout ça, car ça correspondait à une phase dans mon parcours, liée à une certaine désillusion et à un besoin d'accélération. J'avais pas mal de potes parmi les musicos punk et les fans, j'y ai rencontré des gens intéressants car les premiers punks parisiens avaient une certaine dimension intello.
Le Disco : Au départ j'aimais cette musique, faite pour les clubs et bien plus dansante que le rock à mon avis, mais ensuite elle est tombée en pleine dégénérescence quand tout le monde s'est mis à en faire, Dalida, Sheila, Clo Clo, et cie.. Heureusement, au début des 80s, la qualité est revenue en force, avec Chic, Change, Shalamar, Rick James, Michael Jackson, Prince et le Funk, puis la House.
La New Wave : Je ne me suis pas senti concerné, j'ai aimé quelques groupes comme The Cure, mais j'étais complètement étranger au mouvement, je les trouvais tristes, superficiels et ennuyeux.

FAÇADE #1, 1976
8. Quelle influence avaient les branchés sur les milieux des arts, des médias, de la politique ou de la mode ? Il y avait beaucoup plus de poseurs que d'acteurs non ? Le "branché utile", c'est un mythe ?
Tout d'abord, un petit rappel sur l'étymologie du mot "branché" : au départ, ça venait de la formule de Timothy Leary "Tune in, turn on, drop out", les expressions "tune in" et "turn on" évoquant le fait de "se brancher" sur les nouvelles ondes, à la manière d'un récepteur radio. Le mot "branché" a été popularisé par le journal "Actuel", la Bible des Hippies français. Les premiers branchés étaient donc des récepteurs médiumniques qui percevaient les changements et les nouveautés dans une période qui était alors en pleine effervescence. Après, progressivement, le mot a perdu son sens originel, pour aboutir à une sorte de caricature, des suiveurs pathétiques qui cherchent surtout à être là où il faut être et qui courent après toutes les nouvelles tendances sans jamais les créer ou les anticiper.
A mon avis, ce sont les hippies qui ont eu le plus d'influence, car pendant un moment, les adultes et le pouvoir en place, même quand ils lui étaient hostiles, ont pris ce mouvement au sérieux, surtout aux USA, car par ses idéaux universalistes et la rapidité de sa propagation mondiale à travers la jeunesse, il paraissait représenter l'avenir, basé sur d'autres valeurs. Et moi qui étais dedans, je peux assurer que nous croyions que nous allions gagner et que tout le monde allait se rallier à nos idées ! Évidemment, on a vu que ça ne s'est pas passé comme ça. Néanmoins, le mouvement hippie et le rock'n'roll ont eu une forte influence et ont contribué à changer beaucoup de choses dans les mœurs et dans la vie de tous les jours, même si c'est devenu si évident aujourd'hui qu'on ne le remarque même plus. Il faudrait pouvoir revenir dans le temps et comparer l'"avant" et l'"après" 67-68.
Les autres mouvements qui ont suivi ont eu une influence plus superficielle, et ont été généralement considérés comme des "phénomènes de mode", justement. Quand les branchés l'étaient vraiment, tous ceux qui étaient dedans participaient d'une façon ou d'une autre, qu'ils soient créatifs ou non créatifs, même par leur simple présence. Les poseurs sont arrivés plus tard, en particulier avec le mouvement punk.

MARIE-FRANCE DES GAZOLINES, 1970's
9. L'homosexualité semblait beaucoup plus répandue qu'ailleurs chez les branchés, voire même la nouvelle norme dans certains clubs de l'époque. En tant qu'hétéro, t'avais des combines pour faire semblant d'en être ahah ? Tu penses que le milieu branché a aidé les homosexuels à se faire accepter ? Quelles différences vois-tu entres les homos d'aujourd'hui et ceux d'hier ?
Le milieu des premiers branchés hippies chic et underground était majoritairement hétéro, il y avait quelques homos, inspirés par l'esthétique warholienne. Puis ça a évolué, il y a eu les mouvements de libération gay, et la vie nocturne s'est transposée des boîtes rock aux clubs disco, plus dansants, et qui étaient généralement tenus et fréquentés par des homos, comme le Sept de Fabrice Emaer et les autres lieux de la rue Ste Anne, puis le Palace. Comme les branchés aimaient sortir la nuit, les gays se sont retrouvés hyper-représentés dans ce milieu, comme ils l'étaient aussi dans celui de la mode.
D'autre part, je crois qu'un certain nombre de branchés sont devenus gays pour le sexe facile et sans contrainte, ce que "Technikart" a appelé "la tentation gay", surtout les moins séduisants, la "révolution sexuelle" ayant trouvé ses limites comme l'a justement souligné Michel Houellebecq.
En tant qu'hétéro, je n'ai jamais essayé de passer pour un homo : je m'arrangeais pour fréquenter des lieux mixtes, ouverts aux femmes et aux hétéros, même s'ils étaient fréquentés par une majorité de pédés, comme le Sept, ou le Colony rue St Anne, et je n’allais jamais dans des endroits plus exclusivement homo comme le Bronx.
Il est certain que la forte présence d'homos dans les milieux branchés a donné d'eux une image festive, joyeuse, incontournable, qui venait contrebalancer les tendances plus sérieuses et dogmatiques de certains militants de la cause homosexuelle.
Les Gazolines étaient un petit groupe très exubérant, donc pas vraiment représentatif. J'avais quelques amis pédés, mais je n'ai jamais beaucoup fréquenté les militants, comme le FHAR et autres, donc il m'est difficile de faire des comparaisons avec les mouvements qui ont suivi que tu évoques.

OLIVIA & NINI DES BAZOOKA, 1977
10. Que sont-ils devenus ? La plupart est rentrée dans le rang n'est-ce pas ? Comment expliques-tu le fantasme qui règne sur cette époque ? Est-ce "Paris" la responsable ?
Les branchés sont plus ou moins rentrés dans le rang, en effet, ou disons se sont stabilisés, par la force des choses. Mais ceux qui ne l'ont pas fait se retrouvent souvent dans une une situation difficile et précaire. On fantasme toujours sur le passé, dans les années 70 c'était sur les 50s, et puis les gens ont l'impression que c'était une période plus facile, ce qui n'était pas vraiment le cas. En effet, si on faisait partie de la petite minorité de branchés, la société et les structures urbaines n'étaient pas adaptées à ce style de vie et il fallait prendre des risques et galérer pour se frayer son chemin. Et puis il y avait le problème de la dope, qui annihilait les énergies.
Ce qui fascine, c'est que c'était une période d'innovation et de créativité, beaucoup de choses étaient à découvrir et à inventer, y compris pas mal d'erreurs aussi sans doute, c'est moins le cas aujourd'hui où on a l'impression que tout a été dit, comme en musique par exemple, et puis le contexte a beaucoup changé.
11. A quel moment as-tu coupé les ponts avec le milieu ? Soudaine prise de conscience ou aléas de la vie ?
Je me suis éloigné progressivement de ce milieu branché/noctambule au début des années 80, j'avais l'impression d'en avoir fait le tour et j'en avais assez de cette auto-destruction, des drogues et tout ça, et puis il y a eu l'irruption du sida. Mais je suis resté en contact avec pas mal d'amis de cette époque, enfin les survivants. J'en ai retrouvé certains par l'intermédiaire de mon site, on est maintenant en relation sur Facebook et on se revoit dans certaines occasions, comme des vernissages ou des soirées, mais pas trop les concerts en ce qui me concerne, alors qu'avant c'était la grande occasion.

FIN DE SOIRÉE AU PALACE, 1978 (Philippe Morillon)
12. Un mec de Technikart a récemment sorti une enquête sur la tyrannie des branchés intitulée "Vous êtes sur la liste?". Tu l'as lu ? Tu penses quoi de la hype moderne (vouée au culte de la consommation) ? C'était mieux avant ?
Je n'ai pas lu le livre, qui m'a l'air assez féroce, peut-être un peu trop systématique, mais j'ai lu ton commentaire, les extraits que tu cites, ainsi que le texte de Chic Type, et je les ai trouvés pertinents, drôles, iconoclastes et assez justes. Ça ne m'a pas vraiment donné envie d'en lire plus que ces extraits, mais c'est un sujet très intéressant.
Les "branchés" dont parle Arnaud Sagnard n'ont rien à voir avec ceux que j'ai connus. Il y a eu un moment, je dirais au début des années 90, où ce terme est devenu caricatural, ringard, péjoratif. Ça coïncide en effet avec la période Nova, ceux qui s'auto-proclamaient "branchés" sont alors devenus des bobos versatiles et superficiels. Je serais plus indulgent avec "Technikart", que j'aimais lire dans les années 90 et qui représentait mieux l'esprit défricheur d’"Actuel", avant de perdre de son intérêt pour les mêmes raisons : je trouve assez pathétique cette "hype moderne" qui consiste à courir après la dernière mode, sans aucune sincérité ou conviction, juste parce qu'on a envie d'être dans le coup et de ne surtout pas passer à côté de quelque chose. On évoque sans cesse de nouveaux concepts ou tendances, et puis le mois suivant on zappe et on passe à autre chose, ce sont juste des suiveurs.
Ceci dit, je ferais quand même une distinction entre les "branchés" et les "passionnés". Par exemple, quand il y a eu le mouvement techno, il y a eu d'une part ceux qui créaient, qui organisaient des évènements, et d'autres part les pseudo-branchés qui se contentaient de suivre le mouvement, parce que "c'était là qu'il fallait être".

1977-1983
13. Tu pourrais demander de l'argent à copainsdavant qui t'ont piqué ton concept ! Pourquoi avoir créé ce site ? Il existe depuis 1997, tu as eu beaucoup de succès et de retours ? Quel est son intérêt ?
La démarche n'est pas tout à fait la même, "copainsdavant" concerne tout le monde, comme ceux qui étaient au même lycée, alors que moi je parle d'un milieu très particulier, parallèle, underground, des gens qui se connaissaient mais qui n'étaient liés par aucun statut officiel. On n'avait pas sa carte de membre du club des Branchés, pas plus que de celui des Minets !
Dès que j'ai découvert Internet en 1995, ça a été un flash et j'ai eu immédiatement envie de créer un site, ce sujet me trottait dans la tête depuis quelque temps déjà, et il n'était pas encore pris, alors...
J'ai eu pas mal de visiteurs, étalés dans le temps et de retours, la plupart positifs, sur mon livre d'or ou plus généralement par mail, j'en reçois presque tous les jours.
L'intérêt de ce site ? Ce serait surtout à ceux qui l'ont apprécié qu'il faudrait poser la question. Je dirais que c'est un témoignage d'ordre historique, sociologique.

14. Ta démarche est passionnée et désintéressée. Ça ne t'a jamais démangé d'écrire un livre ?
J'écris pas mal par ailleurs, mais si je publie un livre un jour, il ne sera pas nécessairement centré sur les thèmes que j'aborde dans mon site : je m'intéresse aussi à d'autres sujets variés, comme l'ésotérisme, au présent et à l'avenir, même si j'intègrerais sûrement des éléments du passé dans un livre. Mais il me faudrait plus de temps, plus de disponibilité, et tant que je travaille tous les jours comme c'est le cas aujourd'hui, ce sera difficile. Alors peut-être plus tard, quand je serai à la retraite ?
Beaucoup a déjà été dit sur ces années-là, il y a eu les mémoires d'Ardisson, de Marie France, de Valérie Lagrange, de Zouzou, de Paquita,.. Je n'ai pas envie de répéter ce qui a été dit, ou qu'on peut trouver sur mon site, que je considère comme un livre à part entière, "le roman d'une génération". Ou alors si un éditeur me le proposait, mais ça n'a pas encore été le cas...
Mon intérêt pour l'ésotérisme est en partie lié à ce que j'ai vécu, il y a forcément un moment où on fait le bilan et où on s’interroge, "pourquoi ça s'est passé comme ça, à ce moment-là ?", et on voit qu'il y a des ressorts invisibles, les prémices de l’"Ère du Verseau", peut-être ?
15. L'arrivée d'Internet coïncide t-elle avec la fin du branché ? Tout le monde peut accéder à tout en même temps.
Je ne pense pas que cela a à voir avec Internet, le terme "branché" a été ringardisé bien avant, voir la question 11. D'ailleurs, je suis persuadé que si Internet et le téléphone portable avaient existé dans les années 70, ils auraient été pour nous des outils fantastiques qui auraient grandement facilité l'information sur les évènements et la communication, ce n'était pas si évident à l'époque, tout le monde n'avait même pas le téléphone ! Être branché voulait dire communiquer et faire tourner l'information, pas exclure.
Pour moi maintenant, les vrais branchés sont ailleurs et ils n'ont pas nécessairement les centres d'intérêt habituellement associés à la branchitude. J'en rencontre tous les jours et le net est un moyen extraordinaire pour ça. Comme je l'ai dit, l'essentiel est de défricher, de chercher de nouvelles voies, de nouvelles pistes, et ne pas reproduire éternellement les mêmes schémas, le monde évolue sans cesse.
Dans les années 70, la musique était un vecteur essentiel qui reflétait et anticipait les changements et les tendances, ce n'est plus le cas aujourd'hui, et objectivement, je trouve qu'il ne se passe pas grand-chose dans ce domaine, avec le "retour du rock" qu'on nous ressort tous les deux-trois ans et qui commence à vraiment sentir le réchauffé ! Je trouve tout à fait normal et sain que tous les styles musicaux continuent à vivre, mais je n'attends plus de grand bouleversement de ce côté-là.

SERGE KRÜGER, 1979 (Philippe Morillon)
16. Je vais te citer quelques anciens branchés célèbres et tu vas me dire ce qu'ils évoquent pour toi :
-Alain Pacadis Un type talentueux et cultivé, qui était mal dans sa peau et qui voulait exister en tant que journaliste, puis qui s'est pris à son personnage de branché mondain, mais toujours avec une certaine distanciation.
-Thierry Ardisson
J'ai du respect pour lui, ses émissions m'ont parfois déçu, mais il en a quand même fait pas mal de bonnes. Je trouve qu'il a su garder une certaine sincérité et une authenticité malgré toutes les concessions qu'on est obligé de faire quand on travaille dans ce milieu. J'ai aimé et je recommande ses deux bouquins "Rive Droite" et "Mémoires d'un Baby Boomer".
-Serge Kruger
Un pionnier, un grand organisateur de fêtes, le branché d'entre les branchés, depuis les années 50, surtout à une époque où ce n'était pas si évident de l'être.
-Jack Lang
Il s'est mis à fréquenter le milieu branché quand il est devenu ministre, avant il était surtout connu comme un homme de théâtre. Après tout il a joué son rôle, et je crois qu'il a été sincère dans certains de ses choix artistiques et culturels.
-Yves Adrien
Un précurseur, un visionnaire, imprévisible, inclassable, qui a introduit avec quelques uns une dimension littéraire à la culture rock en France, mais pas toujours facile à suivre.
-Patrik Eudeline
J'aime beaucoup ses articles et ses bouquins, lui aussi c'est un littéraire plus qu'un rocker, plus accessible qu'Yves Adrien.

DJEMILA CHEZ KRÜGER, 1977 (Philippe Morillon)
17. Quelles étaient pour toi les personnes que tu côtoyais qui auraient le plus mérité la reconnaissance du "peuple" ?
Par exemple un type comme Jean-Paul Bourre, que j'ai connu plus tard, et que je considère comme un des esprits et des écrivains les plus talentueux de notre génération, un non-conformiste qui a su s'intéresser à des sujets très divers allant du rock à l'ésotérisme, et ne s'est pas enfermé dans un style en particulier comme d'autres. Mais il ne correspond sans doute pas à la pensée dominante.
18. Est-ce que l'adage "branché un jour, branché toujours" est valable ? Après toutes ces années fastes est-ce que ta vie te semble monotone maintenant ?
Comme "branché" veut dire comme je l'ai dit plus haut ouvert, curieux et réceptif, oui, "branché un jour, branché toujours". Ce qui me semble monotone maintenant, c'est surtout ma vie de salarié qui doit se rendre au travail tous les jours. Pour le reste, je suis toujours en mouvement, intérieurement et extérieurement, et je fais encore de nouvelles découvertes.
Si tu veux ajouter quelque chose n'hésite pas. Merci de m'avoir accordé de ton temps.
Au delà de la "crise de la branchitude" qui ne sait plus trop où elle en est, je ressens un grand vide dans notre société actuelle qui touche une population bien plus vaste que celle que nous évoquons ici. Le matérialisme, le cynisme, le nihilisme ambiants ont fait des ravages, et ça explique en grande partie le manque d'enthousiasme, d'imagination et de créativité que tout le monde déplore sans pouvoir l’expliquer. C'est une crise de civilisation, mais qui débouchera sûrement sur autre chose, la Nature ayant horreur du vide, ça prendra du temps, nous sommes dans une période de transition.
Merci à toi, tes questions étaient très intéressantes, certainement parmi les plus pertinentes qu'on m'ait posées depuis qu'on m'interroge sur mon site et la période dont je parle.
1. Parle-moi de ton adolescence...
J'ai grandi dans le 16ème arrondissement, mais je faisais partie de la moyenne bourgeoisie, pas de la plus friquée. J'écoutais du rock, et la plupart de mes amis aussi, nous allions dans les "boums", nous traînions sur les Champs, dans les différents drugstores, moi c'était plutôt le "New Store". Mais en même temps j'avais aussi d'autres amis plus traditionnels, par exemple dans le milieu scout catholique (eh oui !), et je ne le renie pas.
2. Les branchés, quand t'étais au lycée, c'étaient les minets. Qu'est ce qui t'a attiré chez ces jeunes friqués ?
Ce n'est pas que j'étais attiré par les Minets, d'ailleurs le terme n'existait pas encore, c'est que j'en faisais juste partie, tout naturellement ! En effet, au lycée, on se regroupait par affinités et c'est le goût du rock, du rythm and blues, d'un certain style vestimentaire, l'envie de s'amuser, d'aller dans des boums, de draguer, qui m'ont rapproché d'autres jeunes de mon âge qui avaient les mêmes goûts. C'est comme ça que cette culture s'est formée, c'était un peu l'équivalent des "Mods" anglais. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde, nous étions une minorité dans ce milieu de jeunes bourgeois encore assez conventionnels et coincés.
3. C'étaient quoi les groupes, films et clubs en vogue ?
Les groupes : globalement c'était le début de la grande vague des groupes anglais : Beatles, Rolling Stones, Animals, Kinks, Yardbirds, Who, Them. Le rythm and blues, avec Otis Redding, James Brown, Wilson Pickett, Aretha Franklin, tous les artistes Tamla-Motown,...
Les films : voir la filmographie des années 60. On allait voir les films qui marchaient, comme ceux de Belmondo, mais certains étaient plus générationnel que d'autres, comme le "Blow up" d'Antonioni, ou "A bout de souffle" de Godard.
Les clubs : le Relais de Chaillot, le Club Pierre Charron, le Top Ten (Mimi Pinson), le Golf Drouot, la Locomotive, le Bus Palladium, chez Castel...
4. Et les bandes les plus terrifiantes de la capitale ? Ça se passait comment dans la rue ? Il y avait beaucoup de filles dans votre entourage ?
Il y avait encore quelques bandes de blousons noirs comme la mythique bande de Montreuil, mais je n'ai pas le souvenir d'affrontements entre eux et les Minets, ce n'était pas comme en Angleterre avec les batailles rangées entre Mods et Rockers sur les plages de Brighton (voir l'excellent "Quadrophenia"). Il y avait de temps en temps quelques bagarres, mais c'était entre individus, pas entre bandes.
Il y avait pas mal de filles dans la bande, peut-être 50%, la plupart étaient du même milieu, et elles étaient là parce qu'elles avaient envie de s'amuser, elles aussi ! Mais d'autres étaient certainement attirées par ce milieu aisé, et rêvaient d'ascension sociale.

RALLYE, 1966 (Patrick Dosch)
5. Si on pense au Drugstore, ce qui motivait dès le début l'entreprise branchée, c'était l'argent, non ?
Pas d'accord : d'une façon générale, les Minets venaient de milieux friqués, et pas tous, mais ça ne veut pas dire qu'ils disposaient de tellement d'argent : tout dépendait de la générosité des parents, il ne faut pas oublier qu'on était très jeunes, 15-17 ans, on ne gagnait pas notre vie, et on n'avait que notre argent de poche qui n'était pas extensible à l'infini, une fois qu'on avait acheté quelques fringues et quelques 45 tours !
Non, je le répète, la motivation principale des Minets, c'était l'envie de s'amuser, le Drugstore et autres endroits similaires des Champs, c'était avant tout pour se retrouver et faire des sorties ensemble, faire la tournée des boums, etc..
6. Puis "Mai 68", vu que tu l'as vécu, cet évènement a t-il réellement marqué une transition et un changement de mentalité pour toi ?
Ce n'est pas à proprement parler mai 68 qui a marqué un tournant, mais toute cette période, aussi bien les années qui ont précédé que celles qui ont suivi. Mai 68 n'a été que la manifestation violente en France de changements qui étaient dans l'air un peu partout depuis déjà quelque temps, avec aux USA les Beatniks, les Hippies, le mouvement psychédélique et le Summer of Love de 1967, ou en Angleterre et en Hollande.
En France, cette aspiration au changement pour remuer une société sclérosée et trop conformiste s'est mêlée à des revendications politiques et idéologiques, avec en arrière plan le mythe de la "Révolution", ce qui était absurde car le pays était alors en pleine croissance et absolument pas dans une situation pré-révolutionnaire. Ça relevait selon moi du caprice d'enfants gâtés manipulés par une pseudo-intelligentsia qui faisait encore les yeux doux à l'idéologie communiste, malgré tout ce qu'on savait à l'époque, mais ils étaient en plein aveuglement collectif.
Enfin, il est évident que ces années-là ont été déterminantes pour l'évolution de la société, la libération des mœurs et l'assouplissement des rapports entre les gens, les choses n'ont plus été les mêmes après, pas toujours pour le meilleur, d'ailleurs.

L'ÉQUIPE D'ACTUEL, 1970
7. Tous les courants se sont ensuite enchainés. Hippie, disco, punk, new wave... Comment as-tu vécu l'arrivée de ces nouvelles idéologies, de ces nouvelles musiques et de ces nouveaux looks ?
Il faudrait un livre pour raconter tout ça, le mieux est de consulter mon site !
Pour résumer :
Les Hippies étaient une évolution naturelle par rapport aux Mods, quand a commencé à se généraliser l'usage des drogues psychédéliques, comme en Angleterre, sous l'influence des beatniks puis des premiers hippies américains. C'est un mouvement qui s'est répandu comme une traînée de poudre, surtout après Woodstock. En même temps, il y avait les gauchistes, nombreux en France, pays de tradition "révolutionnaire", plus sérieux, dogmatiques et coincés que les hippies. D'ailleurs au début, la plupart écoutaient du classique plutôt que du rock, et ne tiraient jamais sur un joint. Après il y a quand même eu quelques interactions entre les deux mouvances.
Le Punk était une réaction par rapport à l'endormissement de la culture hippie, à l'échec des utopies, et à l'arrivée de la crise. C'est un mouvement qui se caractérisait par une certaine énergie mais qui était trop négative et auto-destructrice. Il se voulait éphémère (no future), et il faut le prendre comme tel. Sans être vraiment punk, j'ai été intéressé par ce mouvement, j'allais aux concerts, au Gibus et tout ça, car ça correspondait à une phase dans mon parcours, liée à une certaine désillusion et à un besoin d'accélération. J'avais pas mal de potes parmi les musicos punk et les fans, j'y ai rencontré des gens intéressants car les premiers punks parisiens avaient une certaine dimension intello.
Le Disco : Au départ j'aimais cette musique, faite pour les clubs et bien plus dansante que le rock à mon avis, mais ensuite elle est tombée en pleine dégénérescence quand tout le monde s'est mis à en faire, Dalida, Sheila, Clo Clo, et cie.. Heureusement, au début des 80s, la qualité est revenue en force, avec Chic, Change, Shalamar, Rick James, Michael Jackson, Prince et le Funk, puis la House.
La New Wave : Je ne me suis pas senti concerné, j'ai aimé quelques groupes comme The Cure, mais j'étais complètement étranger au mouvement, je les trouvais tristes, superficiels et ennuyeux.

FAÇADE #1, 1976
8. Quelle influence avaient les branchés sur les milieux des arts, des médias, de la politique ou de la mode ? Il y avait beaucoup plus de poseurs que d'acteurs non ? Le "branché utile", c'est un mythe ?
Tout d'abord, un petit rappel sur l'étymologie du mot "branché" : au départ, ça venait de la formule de Timothy Leary "Tune in, turn on, drop out", les expressions "tune in" et "turn on" évoquant le fait de "se brancher" sur les nouvelles ondes, à la manière d'un récepteur radio. Le mot "branché" a été popularisé par le journal "Actuel", la Bible des Hippies français. Les premiers branchés étaient donc des récepteurs médiumniques qui percevaient les changements et les nouveautés dans une période qui était alors en pleine effervescence. Après, progressivement, le mot a perdu son sens originel, pour aboutir à une sorte de caricature, des suiveurs pathétiques qui cherchent surtout à être là où il faut être et qui courent après toutes les nouvelles tendances sans jamais les créer ou les anticiper.
A mon avis, ce sont les hippies qui ont eu le plus d'influence, car pendant un moment, les adultes et le pouvoir en place, même quand ils lui étaient hostiles, ont pris ce mouvement au sérieux, surtout aux USA, car par ses idéaux universalistes et la rapidité de sa propagation mondiale à travers la jeunesse, il paraissait représenter l'avenir, basé sur d'autres valeurs. Et moi qui étais dedans, je peux assurer que nous croyions que nous allions gagner et que tout le monde allait se rallier à nos idées ! Évidemment, on a vu que ça ne s'est pas passé comme ça. Néanmoins, le mouvement hippie et le rock'n'roll ont eu une forte influence et ont contribué à changer beaucoup de choses dans les mœurs et dans la vie de tous les jours, même si c'est devenu si évident aujourd'hui qu'on ne le remarque même plus. Il faudrait pouvoir revenir dans le temps et comparer l'"avant" et l'"après" 67-68.
Les autres mouvements qui ont suivi ont eu une influence plus superficielle, et ont été généralement considérés comme des "phénomènes de mode", justement. Quand les branchés l'étaient vraiment, tous ceux qui étaient dedans participaient d'une façon ou d'une autre, qu'ils soient créatifs ou non créatifs, même par leur simple présence. Les poseurs sont arrivés plus tard, en particulier avec le mouvement punk.

MARIE-FRANCE DES GAZOLINES, 1970's
9. L'homosexualité semblait beaucoup plus répandue qu'ailleurs chez les branchés, voire même la nouvelle norme dans certains clubs de l'époque. En tant qu'hétéro, t'avais des combines pour faire semblant d'en être ahah ? Tu penses que le milieu branché a aidé les homosexuels à se faire accepter ? Quelles différences vois-tu entres les homos d'aujourd'hui et ceux d'hier ?
Le milieu des premiers branchés hippies chic et underground était majoritairement hétéro, il y avait quelques homos, inspirés par l'esthétique warholienne. Puis ça a évolué, il y a eu les mouvements de libération gay, et la vie nocturne s'est transposée des boîtes rock aux clubs disco, plus dansants, et qui étaient généralement tenus et fréquentés par des homos, comme le Sept de Fabrice Emaer et les autres lieux de la rue Ste Anne, puis le Palace. Comme les branchés aimaient sortir la nuit, les gays se sont retrouvés hyper-représentés dans ce milieu, comme ils l'étaient aussi dans celui de la mode.
D'autre part, je crois qu'un certain nombre de branchés sont devenus gays pour le sexe facile et sans contrainte, ce que "Technikart" a appelé "la tentation gay", surtout les moins séduisants, la "révolution sexuelle" ayant trouvé ses limites comme l'a justement souligné Michel Houellebecq.
En tant qu'hétéro, je n'ai jamais essayé de passer pour un homo : je m'arrangeais pour fréquenter des lieux mixtes, ouverts aux femmes et aux hétéros, même s'ils étaient fréquentés par une majorité de pédés, comme le Sept, ou le Colony rue St Anne, et je n’allais jamais dans des endroits plus exclusivement homo comme le Bronx.
Il est certain que la forte présence d'homos dans les milieux branchés a donné d'eux une image festive, joyeuse, incontournable, qui venait contrebalancer les tendances plus sérieuses et dogmatiques de certains militants de la cause homosexuelle.
Les Gazolines étaient un petit groupe très exubérant, donc pas vraiment représentatif. J'avais quelques amis pédés, mais je n'ai jamais beaucoup fréquenté les militants, comme le FHAR et autres, donc il m'est difficile de faire des comparaisons avec les mouvements qui ont suivi que tu évoques.

OLIVIA & NINI DES BAZOOKA, 1977
10. Que sont-ils devenus ? La plupart est rentrée dans le rang n'est-ce pas ? Comment expliques-tu le fantasme qui règne sur cette époque ? Est-ce "Paris" la responsable ?
Les branchés sont plus ou moins rentrés dans le rang, en effet, ou disons se sont stabilisés, par la force des choses. Mais ceux qui ne l'ont pas fait se retrouvent souvent dans une une situation difficile et précaire. On fantasme toujours sur le passé, dans les années 70 c'était sur les 50s, et puis les gens ont l'impression que c'était une période plus facile, ce qui n'était pas vraiment le cas. En effet, si on faisait partie de la petite minorité de branchés, la société et les structures urbaines n'étaient pas adaptées à ce style de vie et il fallait prendre des risques et galérer pour se frayer son chemin. Et puis il y avait le problème de la dope, qui annihilait les énergies.
Ce qui fascine, c'est que c'était une période d'innovation et de créativité, beaucoup de choses étaient à découvrir et à inventer, y compris pas mal d'erreurs aussi sans doute, c'est moins le cas aujourd'hui où on a l'impression que tout a été dit, comme en musique par exemple, et puis le contexte a beaucoup changé.
11. A quel moment as-tu coupé les ponts avec le milieu ? Soudaine prise de conscience ou aléas de la vie ?
Je me suis éloigné progressivement de ce milieu branché/noctambule au début des années 80, j'avais l'impression d'en avoir fait le tour et j'en avais assez de cette auto-destruction, des drogues et tout ça, et puis il y a eu l'irruption du sida. Mais je suis resté en contact avec pas mal d'amis de cette époque, enfin les survivants. J'en ai retrouvé certains par l'intermédiaire de mon site, on est maintenant en relation sur Facebook et on se revoit dans certaines occasions, comme des vernissages ou des soirées, mais pas trop les concerts en ce qui me concerne, alors qu'avant c'était la grande occasion.

FIN DE SOIRÉE AU PALACE, 1978 (Philippe Morillon)
12. Un mec de Technikart a récemment sorti une enquête sur la tyrannie des branchés intitulée "Vous êtes sur la liste?". Tu l'as lu ? Tu penses quoi de la hype moderne (vouée au culte de la consommation) ? C'était mieux avant ?
Je n'ai pas lu le livre, qui m'a l'air assez féroce, peut-être un peu trop systématique, mais j'ai lu ton commentaire, les extraits que tu cites, ainsi que le texte de Chic Type, et je les ai trouvés pertinents, drôles, iconoclastes et assez justes. Ça ne m'a pas vraiment donné envie d'en lire plus que ces extraits, mais c'est un sujet très intéressant.
Les "branchés" dont parle Arnaud Sagnard n'ont rien à voir avec ceux que j'ai connus. Il y a eu un moment, je dirais au début des années 90, où ce terme est devenu caricatural, ringard, péjoratif. Ça coïncide en effet avec la période Nova, ceux qui s'auto-proclamaient "branchés" sont alors devenus des bobos versatiles et superficiels. Je serais plus indulgent avec "Technikart", que j'aimais lire dans les années 90 et qui représentait mieux l'esprit défricheur d’"Actuel", avant de perdre de son intérêt pour les mêmes raisons : je trouve assez pathétique cette "hype moderne" qui consiste à courir après la dernière mode, sans aucune sincérité ou conviction, juste parce qu'on a envie d'être dans le coup et de ne surtout pas passer à côté de quelque chose. On évoque sans cesse de nouveaux concepts ou tendances, et puis le mois suivant on zappe et on passe à autre chose, ce sont juste des suiveurs.
Ceci dit, je ferais quand même une distinction entre les "branchés" et les "passionnés". Par exemple, quand il y a eu le mouvement techno, il y a eu d'une part ceux qui créaient, qui organisaient des évènements, et d'autres part les pseudo-branchés qui se contentaient de suivre le mouvement, parce que "c'était là qu'il fallait être".

1977-1983
13. Tu pourrais demander de l'argent à copainsdavant qui t'ont piqué ton concept ! Pourquoi avoir créé ce site ? Il existe depuis 1997, tu as eu beaucoup de succès et de retours ? Quel est son intérêt ?
La démarche n'est pas tout à fait la même, "copainsdavant" concerne tout le monde, comme ceux qui étaient au même lycée, alors que moi je parle d'un milieu très particulier, parallèle, underground, des gens qui se connaissaient mais qui n'étaient liés par aucun statut officiel. On n'avait pas sa carte de membre du club des Branchés, pas plus que de celui des Minets !
Dès que j'ai découvert Internet en 1995, ça a été un flash et j'ai eu immédiatement envie de créer un site, ce sujet me trottait dans la tête depuis quelque temps déjà, et il n'était pas encore pris, alors...
J'ai eu pas mal de visiteurs, étalés dans le temps et de retours, la plupart positifs, sur mon livre d'or ou plus généralement par mail, j'en reçois presque tous les jours.
L'intérêt de ce site ? Ce serait surtout à ceux qui l'ont apprécié qu'il faudrait poser la question. Je dirais que c'est un témoignage d'ordre historique, sociologique.

14. Ta démarche est passionnée et désintéressée. Ça ne t'a jamais démangé d'écrire un livre ?
J'écris pas mal par ailleurs, mais si je publie un livre un jour, il ne sera pas nécessairement centré sur les thèmes que j'aborde dans mon site : je m'intéresse aussi à d'autres sujets variés, comme l'ésotérisme, au présent et à l'avenir, même si j'intègrerais sûrement des éléments du passé dans un livre. Mais il me faudrait plus de temps, plus de disponibilité, et tant que je travaille tous les jours comme c'est le cas aujourd'hui, ce sera difficile. Alors peut-être plus tard, quand je serai à la retraite ?
Beaucoup a déjà été dit sur ces années-là, il y a eu les mémoires d'Ardisson, de Marie France, de Valérie Lagrange, de Zouzou, de Paquita,.. Je n'ai pas envie de répéter ce qui a été dit, ou qu'on peut trouver sur mon site, que je considère comme un livre à part entière, "le roman d'une génération". Ou alors si un éditeur me le proposait, mais ça n'a pas encore été le cas...
Mon intérêt pour l'ésotérisme est en partie lié à ce que j'ai vécu, il y a forcément un moment où on fait le bilan et où on s’interroge, "pourquoi ça s'est passé comme ça, à ce moment-là ?", et on voit qu'il y a des ressorts invisibles, les prémices de l’"Ère du Verseau", peut-être ?
15. L'arrivée d'Internet coïncide t-elle avec la fin du branché ? Tout le monde peut accéder à tout en même temps.
Je ne pense pas que cela a à voir avec Internet, le terme "branché" a été ringardisé bien avant, voir la question 11. D'ailleurs, je suis persuadé que si Internet et le téléphone portable avaient existé dans les années 70, ils auraient été pour nous des outils fantastiques qui auraient grandement facilité l'information sur les évènements et la communication, ce n'était pas si évident à l'époque, tout le monde n'avait même pas le téléphone ! Être branché voulait dire communiquer et faire tourner l'information, pas exclure.
Pour moi maintenant, les vrais branchés sont ailleurs et ils n'ont pas nécessairement les centres d'intérêt habituellement associés à la branchitude. J'en rencontre tous les jours et le net est un moyen extraordinaire pour ça. Comme je l'ai dit, l'essentiel est de défricher, de chercher de nouvelles voies, de nouvelles pistes, et ne pas reproduire éternellement les mêmes schémas, le monde évolue sans cesse.
Dans les années 70, la musique était un vecteur essentiel qui reflétait et anticipait les changements et les tendances, ce n'est plus le cas aujourd'hui, et objectivement, je trouve qu'il ne se passe pas grand-chose dans ce domaine, avec le "retour du rock" qu'on nous ressort tous les deux-trois ans et qui commence à vraiment sentir le réchauffé ! Je trouve tout à fait normal et sain que tous les styles musicaux continuent à vivre, mais je n'attends plus de grand bouleversement de ce côté-là.

SERGE KRÜGER, 1979 (Philippe Morillon)
16. Je vais te citer quelques anciens branchés célèbres et tu vas me dire ce qu'ils évoquent pour toi :
-Alain Pacadis Un type talentueux et cultivé, qui était mal dans sa peau et qui voulait exister en tant que journaliste, puis qui s'est pris à son personnage de branché mondain, mais toujours avec une certaine distanciation.
-Thierry Ardisson
J'ai du respect pour lui, ses émissions m'ont parfois déçu, mais il en a quand même fait pas mal de bonnes. Je trouve qu'il a su garder une certaine sincérité et une authenticité malgré toutes les concessions qu'on est obligé de faire quand on travaille dans ce milieu. J'ai aimé et je recommande ses deux bouquins "Rive Droite" et "Mémoires d'un Baby Boomer".
-Serge Kruger
Un pionnier, un grand organisateur de fêtes, le branché d'entre les branchés, depuis les années 50, surtout à une époque où ce n'était pas si évident de l'être.
-Jack Lang
Il s'est mis à fréquenter le milieu branché quand il est devenu ministre, avant il était surtout connu comme un homme de théâtre. Après tout il a joué son rôle, et je crois qu'il a été sincère dans certains de ses choix artistiques et culturels.
-Yves Adrien
Un précurseur, un visionnaire, imprévisible, inclassable, qui a introduit avec quelques uns une dimension littéraire à la culture rock en France, mais pas toujours facile à suivre.
-Patrik Eudeline
J'aime beaucoup ses articles et ses bouquins, lui aussi c'est un littéraire plus qu'un rocker, plus accessible qu'Yves Adrien.

DJEMILA CHEZ KRÜGER, 1977 (Philippe Morillon)
17. Quelles étaient pour toi les personnes que tu côtoyais qui auraient le plus mérité la reconnaissance du "peuple" ?
Par exemple un type comme Jean-Paul Bourre, que j'ai connu plus tard, et que je considère comme un des esprits et des écrivains les plus talentueux de notre génération, un non-conformiste qui a su s'intéresser à des sujets très divers allant du rock à l'ésotérisme, et ne s'est pas enfermé dans un style en particulier comme d'autres. Mais il ne correspond sans doute pas à la pensée dominante.
18. Est-ce que l'adage "branché un jour, branché toujours" est valable ? Après toutes ces années fastes est-ce que ta vie te semble monotone maintenant ?
Comme "branché" veut dire comme je l'ai dit plus haut ouvert, curieux et réceptif, oui, "branché un jour, branché toujours". Ce qui me semble monotone maintenant, c'est surtout ma vie de salarié qui doit se rendre au travail tous les jours. Pour le reste, je suis toujours en mouvement, intérieurement et extérieurement, et je fais encore de nouvelles découvertes.
Si tu veux ajouter quelque chose n'hésite pas. Merci de m'avoir accordé de ton temps.
Au delà de la "crise de la branchitude" qui ne sait plus trop où elle en est, je ressens un grand vide dans notre société actuelle qui touche une population bien plus vaste que celle que nous évoquons ici. Le matérialisme, le cynisme, le nihilisme ambiants ont fait des ravages, et ça explique en grande partie le manque d'enthousiasme, d'imagination et de créativité que tout le monde déplore sans pouvoir l’expliquer. C'est une crise de civilisation, mais qui débouchera sûrement sur autre chose, la Nature ayant horreur du vide, ça prendra du temps, nous sommes dans une période de transition.
Merci à toi, tes questions étaient très intéressantes, certainement parmi les plus pertinentes qu'on m'ait posées depuis qu'on m'interroge sur mon site et la période dont je parle.
Commentaires
1. Le lundi 1 février 2010 à 14:17, par Se souvenir de mes informations
2. Le lundi 1 février 2010 à 16:15, par MattH
3. Le lundi 1 février 2010 à 20:02, par serge kruger
4. Le lundi 1 février 2010 à 21:44, par Olivier C
5. Le lundi 1 février 2010 à 22:35, par vincry
6. Le lundi 1 février 2010 à 22:49, par Bernard B
7. Le lundi 1 février 2010 à 23:20, par Philippe Warner
8. Le lundi 1 février 2010 à 23:43, par laurent b
9. Le mardi 2 février 2010 à 10:49, par olivia no sport clavel!!!!!!!!!!
10. Le mardi 2 février 2010 à 11:30, par olivia no sport clavel!!!!!!!!!!
11. Le mardi 2 février 2010 à 11:37, par Lionel Lumbroso
12. Le mardi 2 février 2010 à 11:46, par Olivier C
13. Le mardi 2 février 2010 à 14:04, par Le Patron
14. Le jeudi 4 février 2010 à 11:19, par liz des "divines"
15. Le vendredi 5 février 2010 à 15:19, par caroline grosos
16. Le lundi 8 février 2010 à 00:24, par Rosine Young
17. Le mercredi 10 février 2010 à 19:53, par Frédérique dite Fred
18. Le jeudi 11 février 2010 à 08:12, par ginoricca (Gix Decombres)
19. Le jeudi 25 février 2010 à 17:15, par thsim
20. Le dimanche 28 février 2010 à 15:23, par Bernard B
21. Le lundi 1 mars 2010 à 07:52, par Marcel de la Villette
22. Le lundi 1 mars 2010 à 11:08, par Jean-Christophe
23. Le lundi 1 mars 2010 à 13:09, par BORIS
24. Le lundi 1 mars 2010 à 16:16, par Bernard B.
25. Le lundi 1 mars 2010 à 18:52, par BORIS
26. Le lundi 1 mars 2010 à 21:16, par Bernard B
27. Le mardi 2 mars 2010 à 14:43, par thsim
28. Le mardi 2 mars 2010 à 15:40, par Bernard B.
29. Le mardi 2 mars 2010 à 18:37, par BORIS
30. Le vendredi 5 mars 2010 à 14:56, par Bernard B.
31. Le samedi 6 mars 2010 à 11:54, par BORIS
32. Le samedi 6 mars 2010 à 15:08, par Bernard B
33. Le dimanche 7 mars 2010 à 09:45, par iso-2000
34. Le jeudi 11 mars 2010 à 17:37, par georges abitbol
35. Le jeudi 11 mars 2010 à 19:25, par PATATE
36. Le samedi 24 avril 2010 à 10:32, par bellesaison38
37. Le dimanche 9 mai 2010 à 10:24, par Jean AZAREL
38. Le dimanche 9 mai 2010 à 22:06, par ADMINISTRATOR
39. Le mercredi 12 mai 2010 à 05:06, par Ben
40. Le mercredi 12 mai 2010 à 11:18, par c'est toi la fausse note
41. Le jeudi 13 mai 2010 à 02:48, par Ben
42. Le jeudi 13 mai 2010 à 13:02, par Bernard B
43. Le jeudi 13 mai 2010 à 22:15, par c'est toi la fausse note
44. Le dimanche 23 mai 2010 à 22:46, par thsim
45. Le lundi 24 mai 2010 à 13:27, par Bernard B
46. Le lundi 24 mai 2010 à 22:00, par thsim
47. Le mardi 25 mai 2010 à 10:49, par Bernard B.
48. Le mercredi 26 mai 2010 à 21:12, par john john
49. Le mercredi 26 mai 2010 à 21:39, par Bernard B
50. Le mercredi 26 mai 2010 à 21:49, par Bernard B
51. Le jeudi 27 mai 2010 à 04:23, par pierre!
52. Le jeudi 27 mai 2010 à 07:30, par c'est toi la fausse note
53. Le jeudi 27 mai 2010 à 11:50, par thsim
54. Le jeudi 27 mai 2010 à 15:13, par Staline
55. Le jeudi 27 mai 2010 à 16:13, par Bernard B.
56. Le dimanche 30 mai 2010 à 09:44, par c'est toi la fausse note
57. Le jeudi 10 juin 2010 à 13:50, par Charlie
58. Le jeudi 10 juin 2010 à 17:56, par Charlie va tuer
59. Le jeudi 10 juin 2010 à 18:16, par Charlie ne surfe pas
60. Le vendredi 11 juin 2010 à 13:28, par charlie
61. Le vendredi 11 juin 2010 à 14:13, par Bernard B.
62. Le mardi 15 juin 2010 à 12:15, par thsim
63. Le mardi 15 juin 2010 à 16:16, par Le Patron
64. Le dimanche 5 septembre 2010 à 04:28, par Ben
65. Le dimanche 5 septembre 2010 à 13:02, par ...
66. Le dimanche 12 juin 2011 à 09:28, par kruggy le krug
67. Le dimanche 12 juin 2011 à 09:32, par kruggy le krug
68. Le dimanche 12 juin 2011 à 11:54, par kruggy ou...
69. Le lundi 13 juin 2011 à 13:54, par c'est toi la fausse note
70. Le dimanche 9 septembre 2012 à 16:46, par Luttedesclasses2.0
71. Le dimanche 9 septembre 2012 à 20:07, par Fritz the cat
72. Le mercredi 12 septembre 2012 à 13:45, par don't forget the pfffffff
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