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Aux Origines du Mal : Chapitre II

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MELMOTH - CHARLES ROBERT MATURIN - 1820.


LE MARTYR

J'avais entendu souvent parler des scènes d'intimidation des couvents, des peines infligées qui avaient amené la mort, ou réduit les victimes à un état où la mort devenait une bénédiction. Des donjons, des chaînes, des fouets défilaient devant mes yeux dans un brouillard enflammé. [...] Mes yeux étaient troublés par suite de l'obscurité dans laquelle j'avais été laissé, mais je pus néanmoins distinguer qu'ils avaient apporté avec eux une corde et une haire (discipline). [...] Des images sanglantes offusquaient ma vue, un ruisseau de feu étouffait ma respiration, il me semblait que les cris de nombreuses victimes s'élevaient des voûtes du couvent sous lesquelles elles avaient été sacrifiées par un destin semblable au mien. Je ne sais pas ce que sera la mort, mais je suis convaincu que j'ai éprouvé à ce moment les tortures et les agonies de plusieurs morts.


LE COUVENT

Je me rendis alors chez le supérieur pour me plaindre de cet outrage ; dans le trajet je rencontrai un moine et deux pensionnaires, qui en me voyant se jetèrent contre la muraille, tremblant dans leur robe comme s'ils avaient craint d'être souillés par mon contact. "Il n'y a pas de danger, leur dis-je humblement, le passage est assez large," Le moine s'écria à l'instant : "Retro, Satanas ; mes enfants, répétez avec moi retro, Satanas. Évitez l'approche de ce démon qui insulte notre habit en voulant l'abandonner." Ils obéirent aussitôt, et pour rendre l'exorcisme complet, en passant ils me crachèrent au visage. Je m'essuyai tranquillement en faisant mille réflexions sur l'esprit de Jésus dont cette maison était complètement privé.

Le cuisinier avait appris du couvent cette maxime, "qu'il faut tourmenter ceux qu'on n'a plus l'espoir de faire obéir," et il mêla aux débris qu'il me jetait, des cendres, des cheveux et de la poussière. En sorte que c'est à peine si je pus parvenir à trouver un morceau mangeable, tout affamé que j'étais.

Dieu seul sait à quel point l'homme peut éprouver de ces angoisses qui annihilent tous les sentiments. Comment sans cela pourrions-nous aller jusqu'à manger nos proches pour prolonger soit notre vie, soit un espoir de liberté, ainsi que cela a eu lieu dans les naufrages où l'on a vu des malheureux manger leur propre chair et diminuer ainsi à chaque morceau cette même existence qu'ils s'efforçaient de prolonger.



L'INVERSION

- Si j'ai consenti, repris t-il, à travailler à leur œuvre obscure, à devenir un apprenti de Satan, à recevoir des leçons de torture, si j'ai décrit les souffrances qu'elles produisent, je n'en méprise pas moins toutes ces choses, les hommes tout autant que leurs œuvres. Leurs croyances sont fausses et n'aboutissent à rien. Un credo est nécessaire, dit-on ; le plus faux est le meilleur, car le mensonge du moins est flatteur. Le plus grand coupable peut être absous en espionnant un ennemi du ciel. Je deviens innocent en devenant le bourreau du délinquant que je trahis et dénonce ; dans le langage judiciaire des Anglais on appelle cela espion (king's evidence). On peut sauver sa vie en en sacrifiant une autre. C'est là un marché que chacun est disposé à conclure.

Chaque tison de votre bûcher sera en moins dans mon enfer; chaque goutte d'eau dont je vous prive, je la boirai dans le feu de soufre où je dois être précipité ; chaque larme que je fais couler, chaque gémissement qui s'exhale par mon fait sera diminué des miens. [...] Ma théologie est la meilleure. C'est une hostilité complète contre tous ceux dont les chagrins peuvent diminuer les miens. Vos crimes remplaçant mes vertus, je peux donc m'en passer. J'ai outragé la nature, mais vous avez offensé Dieu et l'Église. Vous êtes mon triomphe, ma vengeance. Je n'ai nul besoin de croire, vous souffrez, cela me suffit.



LE SUPPLICE

Vers le crépuscule, la procession se mit en marche, crucifix et bannière en tête. L'océan de têtes humaines que je voyais s'agiter à la lueur des torches, me produisait un effet magique. Rien n'était plus imposant que ce cortège d'ecclésiastiques en habits pompeux, éclairés par la lueur vacillante des cierges, qui semblaient défier le ciel et lui dire: Nous avons encore un soleil alors même que le tien se cacherait. [...] Un murmure se faisait entendre autour de lui, et les cris, les huées et les menaces partis du peuple annonçaient un évènement.

Le chef de l'Inquisition ayant été averti de l'incident qui troublait la procession, répondit: "Ce n'est rien, les serviteurs de Dieu n'ont rien à craindre." Et pourtant la foule s'amassait, des pierres étaient lancées dans le groupe où se tenait le parricide, et la troupe fut obligée de demander la permission de disperser les mécontents par la force. "La croix suffit à protéger ses serviteurs, répondit l'inquisiteur, je ne crains rien." Au moment où il prononçait ces mots, une pierre frappa à la tempe le jeune officier qui était venu prendre les ordres du suprême. Il jeta sur lui un triste regard et tomba mort. Cet évènement devint le signal de l'émeute. [...] La foule qui grossissait s'organisait avec ordre.

Le supplice du maudit commença immédiatement. La foule commença par le lancer comme une balle, vingt fois il fut jeté en l'air et vingt fois il retomba mutilé sur le pavé. Le clergé tenta encore d'intervenir dans cet acte inhumain quoique juste, et cela ne servit qu'à hâter la catastrophe. Ce n'était plus un homme que l'on jetait contre les battants de la porte de la maison que j'habitais, c'était une masse sanglante et informe, sans voix, mais dont chaque lambeau de chair criait grâce. Une pierre jetée par une main charitable mit fin à ce drame. La cavalerie se rua sur la foule et la dispersa ; mais quand l'officier demanda où étaient les restes de la victime, on ne lui montra pour toute réponse que le sang répandu ; la populace s'était partagé le corps. [...] Je venais d'éprouver les effets de ce que l'on appelle la fascination.


(Picture: Helter Skelter, 1976)

Chapitre I: LE MOINE, Lewis
Chapitre III: L'ENSORCELÉE, Barbey D'Aurevilly
Chapitre IV: LA-BAS, Huysmans

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