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Aux Origines du Mal : Chapitre III

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L'ENSORCELÉE - JULES BARBEY D'AUREVILLY - 1852.


LE CHOUAN

C’était tout simplement l’écusson de la monarchie, les trois fleurs de lys, belles comme des fers de lance, dont la France avait été couronnée tant de siècles, et dont son front révolté ne voulait plus ! Aux yeux de ce Chouan, un tel signe était le saint emblème de la cause pour laquelle il avait vainement combattu. Il l’embrassa donc à plusieurs reprises, comme Bayard expirant embrassa la croix de son épée. Mais, si la passion de ses baisers fut aussi pieuse que celle du Chevalier sans reproche, elle fut aussi plus désolée, car la croix parlait d’espérance, et les armes de France n’en parlaient plus !

Quand il eut ainsi apaisé la tendresse de sa dernière heure, lui qui n’avait pas sur son glaive le signe du martyre divin qui ordonne même aux héros de se résigner et de souffrir, il saisit près de lui sa compagne, son espingole, chaude encore de tant de morts qu’elle avait données le matin même, et, toujours silencieux et sans qu’un mot ou un soupir vînt faire trembler ses lèvres, bronzées par la poudre de la cartouche, il appuya l’arme contre son mâle visage et poussa du pied la détente. Le coup partit. La forêt de Cerisy en répéta la détonation par éclats qui se succédèrent et rebondirent dans ses échos mugissants. Le soleil venait de disparaître. Ils étaient tombés tous deux à la même heure, l’un derrière la vie, l’autre derrière l’horizon.



LES BLEUS

Dépravés par ces guerres implacables, ces cinq Bleus n’étaient point de ces nobles soldats de Hoche ou de Marceau que l’âme de leurs généraux semblait animer. Tout vin a sa lie, toute armée ses goujats. Ils étaient de ces goujats horribles qu’on retrouve dans les bas-fonds de toute guerre, de cette inévitable race de chacals qui viennent souiller le sang qu’ils lapent, après que les lions ont passé ! En un mot, c’étaient des traînards appartenant à ces bandes de chauffeurs alors si redoutées dans l’Ouest, lesquelles, par l’outrance de leurs barbaries, avaient appelé, il faut bien en convenir, des représailles cruelles.

Marie Hecquet avait entendu souvent parler de ces bandits à des voyageurs et à des fermiers. Elle se rappelait même une affreuse histoire que son fils, sabotier dans la forêt, et qui venait parfois la voir entre deux expéditions nocturnes, lui avait dernièrement racontée avec l’indignation d’une âme de Chouan révoltée. C’était l’histoire de ce seigneur de Pontécoulant (je crois) dont, au matin, au soleil de l’aurore, on avait trouvé la tête coupée et déposée – immonde et insultante raillerie ! – dans un pot de chambre, sur une des fenêtres placées au levant de son château dévasté.



LE BALAFRÉ

L’espèce de chaperon qu’il portait tomba, et sa tête gorgonienne apparut avec ses larges tempes, que d’inexprimables douleurs avaient trépanées, et cette face où les balles rayonnantes de l’espingole avaient intaillé comme un soleil de balafres. Ses yeux, deux réchauds de pensées allumés et asphyxiants de lumière, éclairaient tout cela, comme la foudre éclaire un piton qu’elle a fracassé. Le sang faufilait, comme un ruban de flamme, ses paupières brûlées, semblables aux paupières à vif d’un lion qui a traversé l’incendie. C’était magnifique et c’était affreux !


L'IDYLLE

C’était une de ces âmes tout en esprit et en volonté, composées avec un éther implacable, dont la pureté tue, et qui n’étreignent, dans leurs ardeurs de feu blanc comme le feu mystique, que des choses invisibles, une cause, une idée, un pouvoir, une patrie ! Les femmes, leurs affections, leur destinée, ne pèsent rien dans les vastes mains de ces hommes, vides ou pleines des mondes qui les doivent remplir.

Car, il faut bien le dire, il faut bien lâcher le grand mot que j’ai retardé si longtemps : Jeanne-Madelaine aimait d’amour l’abbé Jéhoël de La Croix-Jugan. Que si, au lieu d’être une histoire, ceci avait le malheur d’être un roman, je serais forcé de sacrifier un peu de la vérité à la vraisemblance, et de montrer au moins, pour que cet amour ne fût pas traité d’impossible, comment et par quelles attractions une femme bien organisée, saine d’esprit, d’une âme forte et pure, avait pu s’éprendre du monstrueux défiguré de la Fosse. Je me trouverais obligé d’insister beaucoup sur la nature virile de Jeanne, de cette brave et simple femme d’action, pour qui le mot familièrement héroïque : « Un homme est toujours assez beau quand il ne fait pas peur à son cheval », semblait avoir été inventé. Dieu merci, toute cette psychologie est inutile. Je ne suis qu’un simple conteur.



L'ENSORCELÉE

Je suis bien souvent resté devant à songer qu’elle était perdue. Maître Le Hardouey la conduisit lui-même, et à plusieurs fois, aux médecins de Coutances ; mais les médecins ne pouvaient rien à ce qui n’était pas une maladie d’homme ou de femme, Monsieur ! Et à preuve que le malin esprit était fourré là dedans et qu’elle savait la griffe qui l’avait blessée et qui la tenait, c’est que le curé Caillemer lui conseilla de faire une neuvaine à la bonne Vierge de la Délivrance, et que, religieuse comme elle l’avait toujours été, elle ne voulut pas. C’était là le dernier degré de sortilège et de misère, Monsieur : elle ne voulait pas guérir ! Elle aimait le sort qu’on lui avait jeté !


LE LYNCHAGE

Ce sang eut, comme toujours, sa fascination cruelle. Au lieu de calmer cette foule, il l’enivra et lui donna la soif avec l’ivresse. Des cris : « À mort, la vieille sorcière ! » s’élevèrent et couvrirent bientôt les autres cris de ceux qui disaient : « Arrêtez ! non ! ne la tuez pas ! »

Éperdus de férocité, de haine, de peur révoltée, car l’homme réagit contre la peur de son âme, et alors il devient fou d’audace ! Ils passèrent comme le vent rugissant d’une trombe devant le portail de l’église, où se tenaient les prêtres rigides d’horreur et livides ; et renversant tout sur leur passage, en proie à ce delirium tremens des foules redevenues animales et sourdes comme les fléaux, ils traversèrent en hurlant la bourgade épouvantée et prirent le chemin de la lande... Où allaient-ils ? ils ne le savaient pas. Ils allaient comme va l’ouragan. Ils allaient comme la lave s’écoule.

Ils entraient dans la lande, la lande, le terrain des Mystères, la possession des esprits, la lande incessamment arpentée par les pâtres rôdeurs et sorciers ! Ils n’osèrent plus regarder ce cadavre souillé de sang et de boue qui leur battait les talons. Ils le laissèrent et s’enfuirent, se dispersant comme les nuées qui ont versé le ravage sur une contrée se dispersent sans qu’on sache où elles ont passé.



LES BERGERS

– Je suis venu, – répondit alors Thomas Le Hardouey, d’une voix où la résolution comprimait de rauques tremblements, – pour vendre mon âme à Satan, ton maître, pâtre ! J’ai cru longtemps qu’il n’y avait pas d’âme, qu’il n’y avait pas de Satan non plus. Mais ce que les prêtres n’avaient jamais su faire, tu l’as fait, toi ! Je crois au démon, et je crois à vos sortilèges, canailles de l’enfer ! On a tort de vous mépriser, de vous regarder comme de la vermine..., de hausser les épaules quand on vous appelle des sorciers. Vous m’avez bien forcé à croire les bruits qui disaient ce que vous étiez... Vous avez du pouvoir. Je l’ai éprouvé... Eh bien ! je viens livrer ma vie et mon âme, pour toute l’éternité, au Maudit, votre maître, si vous voulez jeter un de vos sorts à cet être exécré d’abbé de La Croix-Jugan.


LE BALAFRÉ PART.II

« Il faut que les fils des grandes races sachent se bâtir des renommées sur les ruines de leur propre corps ! »

Pour la première fois, on jugeait dans toute sa splendeur foudroyée le désastre de cette tête, ordinairement à moitié cachée, mais déjà, par ce qu’on en voyait, terrifiante ! Les cheveux, coupés très courts, de l’abbé, envahis par les premiers flocons d’une neige prématurée, miroitaient sur ses tempes et découvraient les plans de ses joues livides, labourées par le fer. C’était tout un massacre, me dit Tainnebouy avec une poésie sauvage, mais ce massacre exprimait un si implacable défi au destin, que si les yeux s’en détournaient, c’était presque comme les yeux de Moïse se détournèrent du buisson ardent qui contenait Dieu !

Nul, alors, ne pensa à ses crimes. Nul n’osa garder dans un repli de son âme subjuguée une Mauvaise pensée contre lui. Il était digne des pouvoirs que lui avait remis l’Église, et le calme de sa grandeur, quand il monta les marches de l’autel, répondit de son innocence. Impression éphémère, mais pour le moment toute-puissante ! On oublia Jeanne Le Hardouey. On oublia tout ce qu’on croyait il n’y avait qu’un moment encore.


(Picture: A Woman Under The Influence, 1975)

Chapitre I: LE MOINE, Lewis
Chapitre II: MELMOTH, Mathurin
Chapitre IV: LA-BAS, Huysmans

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