Fluoglacial - Tendances Négatives

ZONE




ZONE 1.
"Il a fermé une porte. Il ouvre une autre lourde, aujourd'hui, celle de la zone, cet univers des sans-abri de cœur et de carcasse. Cette planète nomade, satellite non identifié de l'ordre établi, dont il n'existe pas de mappemonde parce qu'on ne cartographie pas le néant."


ZONE 2 : L'autre monde
"La zone justement a viré les tantes et les baisouilleurs juvéniles. Puis les flics s'en sont mêlés, bien sûr. Il n'était pas question de laisser la moindre illusion de liberté planer sur ces régions secrètes de la capitale, les dernières où l'on ait oublié, d'un projet sur l'autre, de mettre la nature en cabane. Exit clodos et petits loubards manquant de sommeil et de salade verte. La rumeur, toujours elle, se répondit que ça craignait de chercher refuge sur les voies désaffectées de la petite ceinture. [...]
En fait, les rondes de flicards y sont accidentelles et très localisées. Ca craindrait plutôt d'y croiser certains de tes semblables de la trime qui ont au moins les glandes aussi moites que toi. Deux pétoches, un fond de haine et pas grand chose à perdre sur le coup de deux heures du matin, ça se repousse pas comme on pourrait le croire. Dans les taillis du vieux chemin de fer parisien, il s'est passé de drôles de trucs. Un cadavre a tout le temps d'y rancir avant qu'on l'évente. De toute façon, c'est rarement le macchab de quelqu'un d'intéressant."




ZONE 3 : La nuit
"Onze heures. La nuit s'écoule, inexorable. Elle est moins chaude et moins confortable que dans les romans scouts. Elle a pas un goût de feu de bois. Elle fouette la vinasse et la graisse rance. Au loin grondent les voies périphériques. Avant de glisser dans le sommeil, je pense que De Gaulle et moi et tous les autres, on est comme ce bout de nature, en prison. Quelque part entre nous-mêmes. Et que même au coeur de l'été, les nuits douces et fraîches, ça n'existe pas pour nous. Nos nuits sont glaciales. De l'intérieur."



ZONE 4 : Les poubelles
"Les premières fois qu'on se livre à ce genre d'activité, c'est franchement dégueulasse. Surtout quand c'est de la bouffe qu'on cherche et qu'on tombe sur des tampons périodiques et des couches-culottes. Par la suite, on apprend à éviter les pièges. Un sac poubelle, ça s'estime de soi avec un peu d'expérience. Au poids, aux déformations que lui imprime son contenu, au pif ce qui, en l'occurrence ne veut pas dire au jugé, mais bien par ce qu'il sollicite outrageusement votre sens olfactif. Gaffe à la viande en sauce et au fond de paella par exemple. Habituellement tu laisses. Il faut quelques mois de zone, grand faim et une lassitude définitive pour oublier sa dignité à glaner ces rogatons d'assiette trop pleine dans le fond d'une bouteille d'Évian maladroitement découpée. Ces jours-là, tu bâfrerais avidement de la merde. T'es plus du tout attaché à la propreté de ton corps, de ton linge et de ta tête. Tu es aussi devenu blasé sur le sujet, de plus en plus blasé."



ZONE 5 : Les gogues
"Pour subsister physiquement, mais surtout moralement, dans la rue quand on fait du blé qu'au compte-gouttes et au hasard, il faut aussi du tabac, de la bière, du vin, du caoua, des rasoirs jetables... Et un franc pour chier quand on est pas assez bourré pour affronter contre deux voitures, le cul en l'air, la réprobation des bourgeois et le délit d'épanchement de merde sur la voie publique. Les gogues à péage de la ville, les "chiraquettes" comme on les appelle, grèvent singulièrement le budget des traîne-lattes. Lesquels défèquent plus souvent que la moyenne, leur diététique n'étant pas celle des 35-40 heures par semaine."


ZONE 6 : La mistoufle
"Les traîne-lattes ont une intuition stupéfiante de la misère d'autrui. Elle leur sert en permanence d'étalon pour quantifier leurs propres angoisses. D'une certaine manière, je pue encore la société. Et je dois schlinguer la peur. Pour m'intégrer, j'ai encore mes preuves de mistoufle à faire."



ZONE 7 : Les cognes
"On est palpé des oreilles aux pompes par un jeune poulet frétillant. Et dont les pognes s'attardent pas du tout quand les fringues et le frangin fouettent un peu trop le renard... On terrorise pas grand-chose. Et comme schnouffe, tout ce qu'on véhicule, c'est de vieilles odeurs. Pour le principe, il réussit quand même la saisie de deux, trois opinels... un rasif à lames, portable, made in Corée du Sud et qui ne menacerait même pas un poil de cul d'une mineure... une bombinette anti-agression... vide. Y a des salauds par milliers dans la ville, mais c'est pas vraiment nous. Baste. Le petit cogne fait son turbin. On a les gangsters qu'on mérite."




ZONE 8 : L'enculerie verbale
"Je t'encule, poulet recruteur de mes deux! Je te la fous à sec dans le faubourg que tu dois pas du tout avoir à sens unique en face de tes petits chefs les jours où t'as pas fait ton chiffre de raclette! Je t'en-cu-le! Voilà que je parle et réagis comme un vieux zonard. Le Sans Domicile Fixe sodomise en jactance tout ce qui lui fait peur. Pour passer à l'acte, il manque singulièrement de vitamines... Mais ça fait rien sinon du bien. L'enculerie verbale donne quand même passagèrement de bonnes illusions de remettre un peu son compteur d'angoisse à zéro..."



ZONE 9 : La loi du plus faible
"Les candidats à la réinsertion sociale, ceux qui y croient encore, c'est craignos et conoïdaux dans le même futal. Ont pas pigé qu'on les berlure en leur laissant espérer qu'ils s'en sortiront, de leur merde. Alors que c'est sens unique, aller simple, par ici... Faut des sous-hommes, bon Dieu, pour que les autres aient de la dignité humaine! Si on peut pas se comparer, de nos jours, on n'existe pas... Fous-toi bien dans le baigneur, comme aime dire Orlando, que le premier qui bande ici bas encule l'autre. Que t'existes en fonction de plus faible et de plus con que toi, de ceux que tu tiens en laisse... Visionne pas. Jamais. Faut des clebs et des références."



ZONE 10 : La voyoucratie
"Orlando est un voleur, un vrai. Un margino indigène. Tant mal que bien il en survit de son coup de pince. Chourave pas pour chouraver, pas pour se masturber un fantasme de lutte des classes ou quelque chose dans ce style. Tomberas pas. S'il tombe, pour délit d'existentialisme mon pote... Il est simplement pas né du même côté de la morale - c'est tout. Y griffe les larfeuils, Orlando, comme d'autres vendent des avocats à la sauvette dans le métro. Parce qu'il faut aller voir demain dès ce soir, la semaine prochaine si ça marche un peu, le mois suivant si c'est Byzance... Ca craint féroce, le professionnalisme voyoucratique. Orlando sait qu'il est un animal nuisible et qu'il n'existe pas de ligue pour protéger son espèce. C'est vrai qu'elle est pas en voie de disparition!"



ZONE 11 : Les tantes
"J'ai pas encore retapissé de traîne-patins plus crade que le papy d'Austerlitz. Même à la maison de Nanterre, y z'en veulent plus. Depuis peut-être dix, vingt balais... ce pauvre vioque utilise du papier journal comme sous-vêtements et calcif! En change que quand ça tombe en miettes! Et des fois, ça tombe pas... Ca adhère. Sueur, pissat, merde et tout ce que t'imagines compris... Les poils poussent autour, dedans. La peau aussi peut-être bien... Même le cadavre d'Elvis Presley doit être plus frais... Eh ben, ce mec aurait forniqué avec!
- Son grand truc, à l'ordure, c'était de chasser le pédé. Tu les vois à Austerlitz et dans le coinstot, les tantes... Y draguent le zonard. Paraît que ça encule bien, le pauvre type. Mieux que l'assuré social... On le dit. Tu bandes plus farouche, plus sincère quand t'es descdendu plus bas. Et faut croire que c'est pas souvent que ces chochottes exigeantes en ont une bien désespérée, bien honnête avec elle-même, à se faire carer dans la rosette papillon..."




ZONE 12 : Le cul acide
"En plus, je recommence à sentir mauvais. Pas du slip. Ca, y a longtemps. Mais de la vie tout en vrac. [...] Y a du blues dans le cul de mon estomac. Tu vois ce que je veux dire... La chiasse... Je calte aux tartisses. C'est super, on m'a toujours dit de chier quand t'as l'avenir devant toi. Mais si tu pouvais savoir ce qu'en ce moment j'ai le cul acide... là... dans ce placard à la turque... quelque part rue de la Gaieté... Avec même pas du papier-lune pour aller me torcher ailleurs... dans des chiottes qui soient bien à moi... Bref, je sais plus trop si je pisse ou si je cague... Tordu et heureux en même temps que je suis... C'est des choses ni facile à dire ni à larguer..."



ZONE 13 : Le puits
"Je voulais plus m'arracher de la litière, des couvrantes... Rester le mouflet redevenu... Je picolais, picolais à toutes les pages pour pas sortir du puits... le puits... ce fameux trou où qu'enfin y avait plus de parois, plus de murs pour me cogner après...
J'ai fini par en remonter de la cave. J'y avais passé Noël et le jour de l'An sans faire gaffe. Sais pas si c'est mieux ou tant pis. Je m'en fous. Je me pisse aussi dessus pour ça. Et je pisse aussi à la raie de l'éternité toute entière par la même.."



Zone, Jean-Louis Degaudenzi, 1988.
(Picture: Archimède Le Clochard, 1958)

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