Fluoglacial - Tendances Négatives

Les résolutions de 2011



SURTOUT, NE PAS SE FAIRE DE RELATIONS.

"On est saisi par le grand nombre de choses heureuses que les gens manquent, simplement parce que faute de relations, ils n'ont pas su à quelle porte frapper. Et c'est à coup sûr une tragédie, que ces portes qui ne demandaient qu'à s'ouvrir sur des édens, et qui ne se sont pas ouvertes, parce qu'on est passé à côté. Les êtres qui attendent toute leur vie l'être qui est fait pour eux - il existe toujours - et qui meurent sans l'avoir rencontré, - les hommes qui ne trouvent pas l'emploi de leurs facultés, et s'usent dans des tâches inférieures, - les jeunes filles qui ne se marient pas, et qui eussent fait le bonheur d'un homme et le leur, - les gens dans la misère, et qui s'y enfoncent alors qu'il y a des œuvres charitables qui semblent créées exprès pour eux; et tout cela parce qu'il ne s'est pas trouvé qu'ils connussent cet être, cet organisme, cette vacance: c'est un problème dont on peut être hanté.

Et il va du grand au petit. Il y a le livre qui, à certaine heure, vous eût tonifié, et qu'on ignorait. Il y a le site qui eût encadré votre amour, le médicament qui vous eût sauvé, la combinaison qui vous eût fait gagner du temps. Tout cela vous attendait, mais personne ne vous l'a indiqué, parce que vous n'aviez pas assez de relations. La terre promise vous entoure: vous ne le savez pas."



ÊTRE AIMÉ, QUELLE HORREUR!

"Sentiment que je rapproche, par exemple, de celui de l'écrivain qui trouve ridicule d'avoir des "disciples", parce qu'il sait de quoi est faite sa personnalité, et ce qu'il en retourne des "messages". Un homme digne de ce nom méprise l'influence qu'il exerce, en quelque sens qu'elle s'exerce, et subit de devoir en exercer une, comme la rançon de sa tarentule de s'exprimer. Non, nous ne voulons pas dépendre. Et nous estimerions les âmes qui se mettent sur notre dépendance? C'est par une haute idée de la nature humaine, qu'on se refuse à être chef.

Dignité. - Gêne et honte du rôle passif que joue un homme qui est aimé. Etre aimé, pense t-il, est un état qui ne convient qu'aux femmes, aux bêtes et aux enfants. Se laisser embrasser, câliner, pressurer la main, regarder avec l'oeil noyé: pour un homme, pouah! (La plupart des enfants eux-mêmes, si féminins qu'ils soient en France, n'aiment pas du tout qu'on les embrasse. Ils se laissent faire par politesse, et parce qu'il le faut bien, les grandes personnes étant plus musclées qu'eux. Leur impatience de ces suçotements n'échappent qu'au suçoteur, qui croit qu'ils en sont ravis.)
Désir de rester libre, de se préserver. - Un homme qui est aimé est prisonnier. Cela est trop connu, n'y insistons pas."



C'EST QUE DU BONHEUR...

"Tel homme, jeune pourtant, si vous dites devant lui: "Une heure morne! une heure perdue! A l'approche de la mort, quel remords de ne l'avoir pas donnée au bonheur!", il sera déconcerté et vous demandera: "De quel bonheur voulez-vous parler? de celui des autres? de celui du pays?" Et si vous lui répondez avec feu: "Non! DU MIEN!" vous le sentirez choqué. Il ne comprend pas que vous puissiez songer à votre bonheur; il n'a jamais songé au sien. Le mâle se dit toujours, et sans en souffrir: "Tu vivras demain.". Et c'est déjà bien beau, s'il donne un sens au mot vivre. Un autre homme jeune, presque un jeune homme ayant "tout pour lui", comme il avait entendu quelqu'un employer le mot vivre, dans le sens où ce mot signifie se réaliser pleinement, l'interrogea: "Et qu'est-ce que vous entendez par vivre?" Pour lui, vivre c'était travailler, gratter. Le bonheur, si on lui avait demandé ce que c'était, sans doute aurait-il répondu: "C'est le devoir, c'est se créer une tâche, une discipline, etc."

Enfin, ce qu'il entendait par bonheur, c'était la façon qu'il s'était choisie, ou plus probablement qu'il lui avait été imposée de tuer le temps. Et encore n'est-ce pas assez; quand les hommes tuent le temps d'une façon trop aisée et trop agréable, ils s'en dégoûtent. On a dit cent fois l'espèce de malaise qui s'empare de l'homme quand il se trouve arrivé à un stand-point, dans un état d'équilibre où il n'y a plus en lui de désirs: cette sorte de malaise rappelle celui qu'on éprouve dans un canot à pétrole, si le moteur s'arrête par accident, sur une mer étale. De la vient que la conscience du bonheur donne une si grande sensation de solitude. Cela est méconnu souvent.

Il arrive, toutefois, que l'homme ait une conception positive du bonheur. Le bonheur est alors pour lui la satisfaction de la vanité. [...] La vanité est la passion dominante de l'homme. Il est faux qu'on puisse faire faire tout ce qu'on veut aux hommes avec de l'argent. Mais on peut faire faire tout, à la plupart des hommes, en les prenant par la vanité. [...] Un homme sans vanité n'est pas dans le jeu: il jette un froid, on le tient à l'écart. Pour l'homme, il s'agit donc moins d'être heureux que de faire croire qu'il l'est. [...] "Je suis extrêmement heureux. Mais il faudrait avoir quelqu'un à qui le dire." La plupart des hommes ne demanderaient pas mieux que d'avoir le bonheur du sage. Au fond, c'est cela qu'ils aiment: comme ils aspirent tous à la retraite! Mais on ne les croirait pas heureux, on croirait qu'ils ont renoncé et n'ont pas été capables, et alors ils partent sur l'autre rail, font les importants, s'engagent dans la honteuse et ridicule agitation où nous les voyons, donnent beaucoup de coups de téléphone et bientôt une journée de bonheur devient pour eux une journée où ils ont donné beaucoup de coups de téléphone, c'est-à-dire une journée où ils ont été très importants."


Les jeunes filles, Henry de Montherlant, 1936.

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Commentaires

1. Le mardi 11 janvier 2011 à 09:57, par Freak City

"Et qu'est-ce que vous entendez par vivre?" Pour lui, vivre c'était travailler, gratter. Le bonheur, si on lui avait demandé ce que c'était, sans doute aurait-il répondu: "C'est le devoir, c'est se créer une tâche, une discipline, etc."

Arbeit Macht Frei !!

2. Le lundi 17 janvier 2011 à 17:50, par Le Patron


Un bien bel article.

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