Fluoglacial - Tendances Négatives

A LA MODE EN 1979



LE STYLE, C'EST L'HOMME.

" Il fut un temps où Paris donnait le ton. Cette mode était une grande chose. Puis les modes se sont succédées de plus en plus rapidement, devenant souvent de plus en plus absurdes. Et finalement, la mode a été qu’il n’y eut plus de mode du tout. On a commencé à s’habiller n’importe comment (c’était plus pratique), en même temps qu’on s’habituait à dire n’importe quoi et à penser avec n’importe qui. Les fabricants de jeans ont réussi là où d’autres occupants avaient échoué : à mettre tout le monde en uniforme. Que ce soit à la radio, à la télévision ou ailleurs, la vulgarité semble être redevenue la règle.

C’est le règne du « treizième César », ce despote dont l’un des traits, disait Montherlant, est « la volonté de dégradation systématique des caractères et le détraquage systématique des esprits ». « La domination mondiale de l’imposture, et la facilité avec laquelle elle s’est imposée, grâce au snobisme né de l’abaissement de l’intelligence, écrivait-il encore, sont des nouveautés aussi importantes dans l’histoire de l’humanité que les inventions atomiques. » Déjà avant la guerre, Montherlant s’en prenait à la « morale de midinettes ». Mais c’était encore une morale — et il n’y a plus de midinettes. On en est à l’apologie des larves.

Qu’on ne vienne surtout pas parler de manières de classe ou de mœurs de salon ! C’est dans les salons, précisément, qu’on se met en dégueulasse. Ce n’est jamais le « peuple » qui a donné l’exemple du laisser-aller, mais la plèbe dorée des petits marquis pour qui le « populaire » est un alibi commode pour se laisser glisser sur la planche bien savonnée de leurs instincts. D’ailleurs, une classe, cela se dépasse de deux façons : par le haut ou par le bas. Par l’aristocratisme ou par la chienlit. N’oublions pas Flaubert : « J’appelle bourgeois quiconque pense bassement. » Voilà les barrières de classes enfoncées !

Le laisser-aller, qu’il soit vestimentaire ou intellectuel, n’est à la vérité qu’une des formes de la régression. Se laisser aller, sous prétexte que c’est plus « simple » ou plus « pratique », c’est perdre toute forme. Or, le but de la vie, c’est de se donner une forme — et subsidiairement d’en donner une au monde. La distinction, elle aussi, vise à donner une forme. C’est une catégorie de l’être, plus encore que du paraître. Qui nous donnerait une forme si nous ne nous en donnions une nous- mêmes ? "

Les idées à l'endroit, Alain de Benoist.
(Picture: Clockwork Orange, 1971)




LA DÉPRÉCIATION DU PASSÉ

" Une société capable de vendre de la "nostalgie" à la bourse de la culture n'en rejette pas moins promptement la notion que, jadis, la vie ait pu être sensiblement meilleure que dans le présent. Nos contemporains ont banalisé le passé en l'identifiant à des styles de consommation surannés et à des modes dépassées. Ils s'irritent contre quiconque tente de l'utiliser comme mode de référence pour évaluer le présent ou discuter sérieusement des conditions de vie actuelles. Le dogme de la critique contemporaine veut que toute évocation de ce type soit considérée comme le signe d'une nostalgie passéiste. [...] Taxer de "passéiste" toute discussion de la complexité de nos rapports avec ce qui nous a précédé revient à substituer un slogan à une critique sociale objective, à laquelle cette attitude prétend, pourtant, s'associer. Toute évocation favorable du passé est systématiquement accueillie, aujourd'hui, par un ricanement de rigueur qui fait appel aux préjugés d'une société d'autant plus pseudo-progressiste qu'elle veut justifier le statu quo.

Croire que, d'une certaine manière, il était plus facile d'être heureux jadis, ne relève en rien de l'illusion sentimentale. Et cela n'implique pas non plus, une vision rétrograde, ni une paralysie réactionnaire de la volonté politique. [...] Loin de considérer le passé comme un fardeau inutile je vois en lui un trésor politique et psychique d'où nous tirons les richesses (pas nécessairement sous forme de "leçons") nécessaires pour faire face au futur. L'indifférence de notre culture envers ce qui nous a précédé - qui se mue facilement en refus ou en hostilité militante - constitue la preuve la plus flagrante de la faillite de cette culture. L'attitude qui prévaut aujourd'hui, aussi enjouée et dynamique qu'elle paraisse, tire son origine d'un appauvrissement narcissique du psychisme, ainsi que d'une incapacité à distinguer nos désirs selon la satisfaction qu'ils nous donnent. Au lieu d'en juger par notre propre expérience, nous laissons les experts définir nos besoins à notre place; après quoi, nous nous étonnons que ceux-ci semblent incapables de jamais nous assouvir.

Pour toutes ces raisons, la dépréciation du passé est devenue l'un des symptômes les plus significatifs de la crise culturelle à laquelle ce livre est consacré. [...] Le refus du passée, attitude superficiellement progressiste et optimiste, se révèle, à l'analyse, la manifestation du désespoir d'une société incapable de faire face à l'avenir. "

The culture of narcissism, Christopher Lasch.
(Picture: Janette Beckman, 1979)




GUÉRILLA SÉMIOTIQUE

"Pris ensemble, l'objet et le sens constituent un signe et, dans n'importe quelle culture, les signes sont systématiquement organisés sous forme de discours spécifiques. Mais quand un bricoleur déplace et repositionne l'objet signifiant au sein d'un discours donné tout en ayant recours au même répertoire global de signes, ou bien quand ledit objet est resitué dans une configuration différente, c'est un nouveau discours qui émerge, un nouveau message qui est transmis." (Clarke, 1976.)

" C'est ainsi que le détournement par les teddy boys du style Belle Époque ressuscité par les stylistes de Savile Row dans les années 1950 à destination des jeunes gens élégants de la "haute" peut être interprété comme une forme de bricolage. De même, on peut dire que les mods fonctionnaient comme des bricoleurs quand ils s'appropriaient certains objets marchands en les resituant dans une configuration symbolique qui contribuait à effacer ou à subvertir leurs significations initiales parfaitement innocentes. Les pilules destinées au traitement de diverses névroses étaient transformées en narcotiques, tandis que le scooter, un moyen de transport originellement tout à fait respectable, devenait un symbole menaçant de solidarité collective. Toujours avec la même capacité d'improvisation, les peignes en métal, dont les dents étaient effilées, passaient du statut de bibelot narcissique à celui d'arme par destination. Le drapeau britannique était cousu au dos de parkas crasseux ou bien taillé sur mesure et transformé en blazer de coupe élégante. De façon plus subtile, les emblèmes conventionnels du monde des affaires -l'ensemble costume-cravate, les cheveux courts, etc.- étaient dépouillés de leurs connotations originelles -efficacité, ambition, respect de l'autorité- et convertis en fétiches "vides", en objets susceptibles d'être désirés, appréciés et valorisés pour eux-mêmes.

[...]

Sur le plan formel, la succession des styles juvéniles de l'après-guerre peut être représentée comme une série de transformations d'un ensemble initial d'objets (vêtements, danses, musiques, argot) se déployant à travers une série de polarités (mod/rocker, skinhead/greaser, skinhead/hippie, ted/punk, skinhead/punk) et définie par contraste avec une série parallèle de transformations dans la culture "straight" (haute couture/prêt-à-porter, par exemple). Chaque sous-culture évolue à travers un cycle de résistance et d'assimilation, et nous avons vu comment ce cycle s'inscrit dans des contextes économiques et culturels plus amples. La déviance sous-culturelle subit un processus simultané d'"explication" et de banalisation dans les salles de classe, les tribunaux et les médias, tandis que les objets "clandestins" du style sous-culturel sont exhibés aux yeux de tous dans les magasins de disques et les boutiques de mode. Dépouillé de ses connotations malsaines, le style devient apte à la consommation de masse. André Masson (1945) a décrit comment le même processus a contribué au déclin du surréalisme:

"La rencontre du parapluie et de la machine à coudre sur la table d'opération n'a eu lieu qu'une seule fois. Retracé, réitéré incessamment, mécanisé, l'insolite se vulgarise (...). On peut voir l'effet de cette laborieuse "fantaisie" dans les vitrines des grands magasins."

Les cuts-ups et les collages, aussi bizarres soient-ils, ne changent pas tant l'état des choses qu'ils ne s'emploient à le recomposer, et il est à peine besoin de signaler que la "rencontre explosive" n'a jamais lieu: nulle débauche d'incantations stylistiques n'est susceptible d'altérer la modalité oppressive de la production des marchandises utilisées par une sous-culture. "

Subculture: The meaning of style, Dick Hedbige.
(Picture: Paul Wright, 1979)

Hipters-beats-teddy boys-mods-skinheads-punks.

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