La guerre du faux : II. Frapper quel coeur ?
Par ROD, lundi 17 octobre 2011 à 11:05 :: LECTURES :: #1079 :: rss

" Le terrorisme n'est pas l'ennemi des grands systèmes, il en est au contraire la contrepartie naturelle acceptée et prévue. Le système des multinationales ne peut pas vivre dans une économie de guerre mondiale (et atomique de surcroît), mais il sait qu'il ne peut pas non plus réduire les pulsions naturelles de l'agressivité biologique et l'impatience des peuples et des groupes. C'est pourquoi il accepte de petites guerres locales qui seront peu à peu disciplinées et réduites par des interventions internationales avisées, et accepte aussi le terrorisme. Une usine ici, une autre plus loin sont désorganisées par un attentat mais le système continue à avancer. Un détournement d'avion de temps en temps, et les compagnies aériennes perdent une semaine, mais par contre les journaux et les télévisions y gagnent. En outre le terrorisme sert à donner une raison d'être aux polices et aux armées qui, laissées sans occupation, ne demandent qu'à se réaliser dans quelque conflit plus important. Enfin le terrorisme sert à favoriser des interventions disciplinaires là où un excès de démocratie rend la situation ingouvernable.
Le capitalisme « national » à la Oncle Picsou craint la révolte, le vol et la révolution qui lui soustraient ses moyens de productions. Le capitalisme moderne, qui investit dans différents pays, a toujours un espace de manœuvre assez ample pour pouvoir supporter l'attaque des terroristes en un point, deux points, trois points. Parce qu'il est sans tête et sans cœur, le système manifeste une incroyable capacité de cicatrisation et de rééquilibrage. Où qu'on le frappe, ce sera toujours à la périphérie. […]
Le seul incident sérieux pourrait être une insurrection terroriste diffuse sur tout le territoire mondial, un terrorisme de masse : mais le système des multinationales « sait » que l'on peut exclure cette hypothèse. Le système des multinationales n'envoie pas des enfants à la mine: le terroriste est celui qui n'a rien à perdre sinon ses propres chaînes, mais le système organise les choses de façon telle que tout le monde aurait quelque chose à perdre dans une situation de terrorisme généralisé. Il connaît le moment où le terrorisme, au-delà de quelques actions pittoresques, commencera à inquiéter trop la journée quotidienne des masses; elles se lèveront alors contre lui. "
"Terrorism is not the enemy of the great systems, it is on the contrary their accepted and expected natural counterpart. The system of multinationals cannot live in a world war economy (and nuclear as well), but it knows he cannot either reduce the natural impulses of the biological aggressiveness and impatience of the people and groups. That's why it accepts small local wars that will be gradually disciplined andreduced by advised international interventions, and also accepts terrorism. A factory here, another further are disrupted by an attack but the system is still working. A hijacking from time to time, and the airlines lose a week, but on the other hand newspapers and television gain on it. Furthermore terrorism serves to give a reason for being to police and armies who, left without occupation, just waiting to be realized in a greater conflict. Finally, terrorism facilitates disciplinary actions where an excess of democracy makes the situation uncontrollable.
The "national" capitalism in Uncle Scrooge's way fears rebellion, theft, and revolution which subtract its means of production. Modern capitalism, which invests in various countries, has always got an enough large operating space to withstand the attack of terrorists at one point, two points, three points. Because it has no head nor heart, the system shows an amazing ability to heal and rebalance. No matter where it is hit, it will always be at the periphery. [...]
The only serious incident could be a terrorist uprising throughout the whole world, mass terrorism : but the multinational system "knows" that this hypothesis can be excluded. The system of multinationals does not send children to the mine: the terrorist is one who has nothing to lose except his own chains, but the system arranges things in such a way that everyone would have something to lose in a situation of widespread terrorism. It knows when terrorism, beyond a few scenic actions, will start to worry too much the daily time of the masses; then they will rise against it."
La guerre du faux 1973-1983 (Striking at the heart of State?), Umberto Eco, 1985.
(Picture: Armaguedon, 1977)
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