Arbeitslosigkeit Macht Frei
Par ROD, mardi 1 mai 2012 à 15:05 :: LECTURES

« Après des siècles de dressage, l'homme moderne est tout simplement devenu incapable de concevoir une vie au-delà du travail. En tant que principe tout puissant, le travail domine non seulement la sphère de l'économie au sens étroit du terme, mais pénètre l'existence sociale jusque dans les pores de la vie quotidienne et de l'existence privée. Le "temps libre" (l'expression évoque déjà la prison) sert lui-même depuis longtemps à consommer des marchandises pour créer ainsi les débouchés nécessaires.
Mais par-delà même le devoir de consommation marchande intériorisé et érigé en fin en soi, l'ombre du travail s'abat sur l'individu moderne en dehors du bureau et de l'usine. Dès qu'il quitte son fauteuil télé pour devenir actif, tout ce qu'il fait prend aussitôt l'allure du travail. Le jogger remplace la pointeuse par le chronomètre, le turbin connaît sa renaissance post-moderne dans les clubs de gym rutilants et, au volant de leurs voitures, les vacanciers avalent du kilomètre comme s'il s'agissait d'accomplir la performance annuelle d'un routier. Même le sexe suit les normes industrielles de la sexologie et obéit à la logique concurrentielle des vantardises de talk-shows.
Chaque fois que l'homme moderne veut insister sur le sérieux de son activité, il a le mot "travail" à la bouche.
L'impérialisme du travail se traduit ainsi dans la langue de tous les jours. Nous sommes habitués à employer le mot "travail" non seulement à tout va, mais aussi à deux niveaux de signification différents. Depuis longtemps, le "travail" ne désigne plus seulement (comme ce serait plus juste) la forme d'activité capitaliste dans le turbin devenu sa propre fin, il est devenu synonyme de tout effort dirigé vers un but, faisant ainsi disparaître ses traces. »
Manifest gegen die Arbeit, Krisis, 1999.
(Illustration: Pieter Brueghel L'Ancien, 1567)