Fluoglacial - Tendances Négatives

1950's


[Lino engagé contre le pignon fixe et pour le port du harrington/converse, 1959.]


1951: MIRACULO A MILANO - Vittorio de Sica : "Sole! Sole!"
Chef d'œuvre du Neorealismo. Après le dramatique voleur de bicyclette, De Sica passe au registre tragi-comique. Toto, un idiot né dans les choux, veut répandre l'amour dans un bidonville de la banlieue milanaise. Le nouveau messie des pauvres va faire enrager la police et les patrons qui veulent raser leur camp grâce un incroyable don. Drôle, Beau, et une fin surréaliste !


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Bal tragique à Saint-Germain-Des-Prés



LES TRICHEURS (1958)

Les 2 films dont je vais parler ici sont un témoignage de la jeunesse de la fin des années 50. Le génie réaliste de Marcel Carné fait face à la Nouvelle Vague naissante. L'existentialisme a infecté la jeunesse qui ne se nourrit désormais que de faux semblants et d'une idéologie de façade, une norme jeune pour éviter la norme de leurs parents. Êtres supposés supérieurs et détachés de toute réalité, ils s'adonnent au même jeu que les Liaisons Dangereuses. Négation de l'amour, refus d'assumer sa propre personnalité, refus de travailler, libertinage... Cette nouvelle philosophie est le terreau du vice. Mais Carné impose un rempart à la déviance, nous sommes déjà idéologiquement dans les années 60 alors que le personnage central, Bob Letellier (Jacques Charrier), représente encore cette figure droite et carrée des 50's. Étudiant de la rive droite, il va pénétrer l'univers de la rive gauche, où tout semble permis.



D'abord moqué pour ses origines bourgeoises, Bob trainait sur les Champs, Alain (Laurent Terzieff) va lui inculquer les rudiments de sa bande, prônant la liberté à tout prix. Mais une fille va s'en mêler, Mic (Pascale Petit). Bob va devoir apprendre le cynisme et l'immoralité pour espérer atteindre le cœur enfoui de cette fille. Au fil du film, on assiste aux changements d'après guerre. C'est bat. L'arrivée du be-bop qui déchaine les pistes de danse, les fêtes-saccage, le jazz, la cinéphilie, le mythe américain personnifié par James Dean, les scooters, la vitesse, toujours la vitesse, synonyme de pouvoir. Au milieu de cette vie à 100 à l'heure, il n'y a plus de place pour l'amour, et Bob va en faire les frais, Alain le bourreau au blouson noir ayant anéanti ses chances. Un violent jeu de la vérité, lors d'une sur'boum chez la riche et fatale Clo (Andréa Parisy), conclura cette aventure moderne, tragiquement. Tricheur !

LE CAFÉ
LA FÊTE





LES DRAGUEURS (1959)

Jean-Pierre Mocky, première ! En 59 déjà, Mocky s'astiquait le chinois sur la drague de rue dans sa première et excellente réalisation. Jacques Charrier (LE TRICHEUR) est un fin limier qui déambule dans Paris en vieille décapotable. Son activité principale : le hameçonnage. Oh c'est pas des choses qui s'apprennent, on a ça dans l'sang ! Il rencontre Joseph (Charles Aznavour) un après-midi sur les quais, qui est un petit employé poisseux qui drague le samedi dans l'espoir de trouver la femme de sa vie. Vaincu d'avance. Mais Freddy le seigneur va le prendre avec lui durant une escapade nocturne dont il se souviendra. Quand on drague on réfléchit pas, on fonce !



Fiancée, amoureuse, libre ? Le ballet nocturne nous entraine de Saint Sulpice à Montmartre en passant par les galeries du Lido lors d'une incroyable séance où tous les coups sont permis. Une seule règle : éviter la facilité. Les femmes sublimes de l'époque s'enchainent. De la rue aux petits troquets jusque dans une réception de bourgeois décadents (LES COUSINS) où Freddy jouera du poing. Tout ça après avoir semé des Suédoises saoules derrière le Sacré Cœur. Mocky le macho, déjà dans un style provocant, brutal et salement drôle, décortique la pratique, dans tous ses recoins, en faisant ressortir avant tout le monde le côté tragique, maladif et solitaire du prédateur. Une leçon !





LES COUSINS (1959)

Le 2ème film de Claude Chabrol est le pendant plus esthétique des TRICHEURS de Carné. C'est aussi la suite du BEAU SERGE dans lequel la situation était inversée. Maintenant, c'est au tour du provincial de monter à la Capitale. Charles (Gérard Blain) rejoint son cousin Paul (Jean-Claude Brialy) à St Germain. Présent pour ses études, être encore honnête et non perverti par la cité, Charles ne veut surtout pas décevoir sa mère, mais les projets de Paul sont tout autres. Fêtard magnifique, Paul est le leader d'une bande de jeunes fauves et de gazelles lubriques. Il va s'évertuer à dévergonder le cousin, naïf, qui va évidemment tomber en amour avec l'une des filles, Florence (Juliette Mayniel). Le quartier latin plongé aux cœurs des orgies orchestrées par un dandy Brialy complètement incroyable, ça vaut définitivement le détour :



C'est le début du culte de la fête sur lequel Antoine Blondin reviendra dans son classique Monsieur Jadis ou L'école du soir. Syndrome d'une génération hédoniste et déculturée décriée par le libraire du coin (Balzac ? Ils ne savent même plus ce que c'est ! Ils ne voient plus que par les polars !). Saint-Germain bidon bidon bidon chantait Lavilliers... Le couple est toujours l'ennemi absolu, le cynisme restant seul maître à bord. Malgré le tragique, il y a beaucoup d'humour, et de dialogues croustillants, contrairement aux futurs films grotesques de ses collègues de la Nouvelle Vague. La fin est un peu trop pompeuse mais ce film reste un superbe état de lieux de ces anciens fils à papa décadents, premiers branchés avant les minets (et les yéyés!), marquant un tournant dans le divertissement. La nuit était leur royaume, que sont-ils tous devenus ?

Claude Chabrol (1969-1971) : La Trilogie du Mal


QUE LA BÊTE MEURE (1969)



La vengeance avec un grand V est la trame de ce génial film de Claude Chabrol. Charles Thénier (Michel Duchaussoy) est un écrivain pour enfants qui passe ses vacances du côté de Quimper avec son fiston. Un matin, dans un bourg désert, le petit Michel revient de la pêche avec son épuisette... Et au carrefour, BOUM! Un taré le prend de plein fouet et continue sa route. Ce taré, Charles va essayer de le retrouver, de le traquer, pendant des mois et des mois, sans succès. La police n'a rien. Et c'est le hasard, le formidable hasard, qui va faire la différence. Une voiture embourbée ? Une aile endommagée ? Une actrice télé ? Le jour même du drame ? Le paysan qu'il croise sur sa route lui raconte tout sans se forcer, les assassins de son enfant sont passés ici-même il y a des mois de ça...



Charles va retrouver cette Hélène Lanson (Caroline Cellier), lui faire la cour et son œil va se remettre à briller à l'approche de la vérité. Elle a de la famille à Quimper et son beau-frère est garagiste, tout concorde merveilleusement. Elle sort en plus d'une grave dépression nerveuse, ce qui écarte visiblement sa culpabilité. Hélène qui n'apprécie pourtant pas sa famille va retourner passer quelques jours chez eux avec Charles. L'homme meurtri va enfin rencontrer le criminel, l'être abject qui a détruit son existence, Paul Decourt (Jean Yanne). C'est un homme invivable, cruel et injuste avec sa femme et son fils, distille sa haine et sa brutalité à chaque parole, l'antipathique total. Charles avait peur de rencontrer quelqu'un de charmant, là il n'a plus aucun doute, il le tuera sans sourciller, c'est certain. Cependant, le démon est plus malin que ça...



Charles écrit un journal depuis la mort de son fils, où il raconte dans les détails sa chasse au meurtrier et son souhait de vengeance mortelle. Paul lui vole et le dépose chez son avocat, au cas où il lui arriverait quelque chose Charles serait le suspect n°1. Lors d'une balade en voilier, Charles a planifié la mort de Paul qui ne sait pas nager, le temps se dégrade, parfait. Seulement, Paul sort son revolver, retour à la côte immédiat. Charles & Hélène sont mis dehors. La tentative a échoué. Ils reçoivent pourtant la visite de la police dans la soirée. Paul est mort. Empoisonné. Charles est questionné et son contre-alibi de suspect n°1 semble l'écarter. Pour couronner le tout, le fils Decourt se dénonce lui-même témoignant la haine de son paternel. Le coup de Charles est parfait, digne d'une tragédie grecque. Il rédige une dernière lettre signant ses aveux avant de s'enfuir en mer. Subtil, brut et tragique, le cinéma français au top.



LE BOUCHER (1970)



La folie amoureuse meurtrière est au cœur de ce film tourné du côté de Sarlat en Dordogne. Stéphane Audran (Hélène), l'institutrice du village rencontre Popaul (Jean Yanne), le boucher, à un mariage. Celui-ci chope le coup de foudre. Il la suit partout, lui fait des cadeaux, lui offre ses services et parvient même à obtenir son amitié. Mystérieusement, à chaque fois qu'elle se rend quelque part, en promenade scolaire, dans une autre ville ou ailleurs, une femme est retrouvée assassinée après son passage. La tension au fond de ce bourg isolé va croître tout au long du film, façon Hitchcock.



Popaul a vu les atrocités de la guerre et se plaît à déballer ses spectacles verbaux répugnants à chaque nouvelle d'un nouveau crime. Seulement un jour, Hélène fait visiter les fameuses grottes à ses élèves et est la première à découvrir le corps mutilé de cette jeune fille ("Il pleut ?" "Non c'est du sang!!"). Celle-là même qui s'est mariée quelques temps plutôt et a provoqué leur rencontre. Elle trouve par hasard le briquet offert à Popaul quelques jours auparavant sous une pierre. Le frisson s'installe. Mais le boucher démoniaque s'est re-procuré le même, ce qui éloigne temporairement ses soupçons. Elle ne sait plus.



Un samedi soir (en province), Popaul se fait plus pressant, lui avouant qu'il doit absolument lui parler. Il EST LÀ, frappant au carreau. C'est la grosse panique, les escaliers, les verrous, les fenêtres. Mais il est déjà à l'intérieur. L'amour profond est avoué, les crimes passionnels aussi. Devant la froideur et l'impassibilité de l'institutrice, dépourvue de sentiments depuis une relation antérieure, le boucher devenait fou et tuait, violait, démembrait, faute d'amour réciproque. La fin est tragique une fois de plus, avec un suicide inattendu à la clé. Une atmosphère unique, un suspense haletant, à voir vraiment.



JUSTE AVANT LA NUIT (1970)



Je termine avec, pour moi, le chef d'œuvre ultime de Chabrol. Tous les ingrédients qui ont fait sa renommée sont ici: les restes de la nouvelle vague, la satire de la bourgeoisie, l'infidélité et les jeux interdits, la noirceur, l'angoisse perpétuelle, la beauté déconcertante de ses actrices (Stéphane Audran) et la froideur incommensurable de ses acteurs (Michel Bouquet l'esquimau), déjà en couple dans LA FEMME INFIDÈLE. Charles Masson (Bouquet) est un publicitaire embourgeoisé qui s'adonne à des jeux SM avec la femme de son meilleur ami François (Périer). Mais un jour, alors qu'il l'étrangle pour la faire jouir, il perd le contrôle... Laura est étendue sur le lit, complètement inerte. Il quitte la chambre, abasourdi. Au comptoir d'un troquet du quartier, il tombe par HASARD sur François, le malaise...



Ils vont manger ensemble et François reçoit un coup de fil, Laura a eu un accident. Il part sur les lieux, Charles rentre chez lui après lui avoir proposé de l'accompagner. Dans un premier temps, Charles va prendre sur lui et ne rien dire à personne. Cependant, une amie de Laura le fixe durant l'enterrement, Hélène (Audran), sa femme, le remarque. Cette amie va attendre quelques jours puis va faire part de ses doutes à François, désemparé. Elle est certaine d'avoir vu ce Charles avec Laura à la porte de cette chambre. François ne veut rien savoir, il le connait depuis 25 ans, et lui prie de ne pas aller à la police, elle accepte. Mais c'est Charles qui perd le premier les pédales alors que François fait progressivement le deuil de sa femme.



Il avoue d'abord à Hélène qu'il l'a trompé, avec Laura, puis ensuite que c'est lui l'assassin. Celle-ci est de tout cœur avec lui. Déçu de cette absence de châtiment et de souffrance, le remord le ronge entièrement. Il ne veut plus aller au travail, devient instable, suant, glacé avec ses enfants et sa femme, ne dort plus. Il décide d'avouer les faits à François, qui lui aussi reste impassible et sans animosité aucune. Incroyable. Il a commis un meurtre, de sang froid, et personne ne veut le punir. C'est décidé, demain matin, il ira se dénoncer lui-même à la police, qui a presque classé l'affaire. Mais Hélène va décider de son destin à sa place, privilégiant la mort à l'isolement. C'est un des films les plus froids et noirs de France, rien qu'une fraction de seconde dans le regard de Michel te glace le sang. IMMANQUABLE.