Fluoglacial - Tendances Négatives

RAS



« Vous ne croyez pas aux valeurs, vous doutez de tout, vous êtes totalement incapable de dire ce qu'est le bien et ce qu'est le mal, vous êtes convaincu de l'irrationalité organique de la vie, et voilà qu'on exige que vous souteniez un groupuscule ou que vous militiez jusqu'au sacrifice pour un idéal historique éphémère, alors que votre scepticisme et votre pessimisme ne vous permettent pas de tirer d'autres conclusions sur la société que celles qui sont impliquées dans les prémisses et les considérations métaphysiques. Pour ma part, je ne crois à aucune doctrine sociale ni à aucune orientation politique, car les impératifs de l'histoire ne peuvent pas entamer ma vision anthropologique, selon laquelle la source de l'inconsistance du monde social et historique se trouve moins dans l'insuffisance des systèmes idéologiques que dans celle, irrémédiable, de l'homme et de la vie. Et puis, du moment que quelqu'un ne croit pas au progrès, n'admet pas de finalité ni de convergence dans le monde historique, je ne vois pas pourquoi il serait préférable pour lui de vivre en notre siècle plutôt qu'il y a quatre mille ans. »

Solitude et destin: Entre le spirituel et le politique, Emil Cioran, 1932.
(Picture: R.A.S., 1984)

Weltangst



« Un présent incertain et un avenir apeurant; le sentiment douloureux des pénibles surprises que peut réserver une direction temporelle imprévisible; l'angoisse provoquée par un monde démoniaque dont les voluptés ne le se sont pas moins; un sentiment du rien qui allie en une perverse satisfaction l'expérience de la vie à celle du néant - voilà autant d'éléments qui confèrent aux jeunes leur cynisme désespéré et leur douloureuse exaltation. Que ces états impressionnants aient leurs origines dans l'absence de perspective matérielle est exact, mais en partie seulement. Si l'on affirmait que cette absence en est la cause exclusive, on négligerait le caractère tragique de la crise qui frappe notre époque et qui touche tout particulièrement les jeunes, on occulterait la tension produite dans les consciences par la faillite de la culture moderne, que nous n'avons certes pas à regretter, mais dont, convenons-en, nous sentons craquer les jointures jusqu'au tréfonds de notre être. »

Solitude et destin: Où vont donc les jeunes?, Emil Cioran, 1932.
(Picture: Loulou, 1980)

Le chômeur intellectuel



« Aujourd'hui, la vie de l'individu est beaucoup plus compliquée et incertaine qu'auparavant. Le chômeur n'est pas seulement celui qui ne trouve pas d'emploi, mais également celui qui n'est pas sûr du sien. D'un point de vue strictement matériel, ce dernier n'est pas un chômeur à proprement parler, mais, si l'on considère l'incertitude dans laquelle il vit, le supplice que lui infligent des perspectives aléatoires, il est caractéristique et révélateur de la psychologie du chômeur.

Contrairement à l'homme des générations précédentes, l'homme contemporain illustre un style de vie imprégné, dans ses éléments essentiels, de la psychologie du chômeur. Jadis, l'individu était - biologiquement autant que socialement - intégré organiquement dans la vie. Il était en quelque sorte l'homme substantiel, dont la consistance intérieure atteignait à la fixité, l'homme fermé aux voies du devenir comme à celles de la dissolution, l'homme pour lequel le temps n'importait nullement, car on n'imaginait pas qu'il y eût des obstacles à la réalisation de ses possibilités latentes. L'intégration organique conduit à un sentiment intime de l'être, qui n'est autre que la source de l'attitude contemplative. L'individu est en accord avec lui-même.

Il ne connaît le sentiment d'une anarchie personnelle qu'au moment où les chemins de la vie sur lesquels il s'est engagé sont contraires à sa destination originelle, à sa particularité subjective. L'anarchie a pour source le processus de désintégration, qui définit la vie du chômeur. L'homme substantiel demeure dans un seul et même cadre de vie. D'où son homogénéité intérieure. D'où également le fait qu'il est conséquent dans ses gestes et ses attitudes, ce qu'on ne rencontre plus aujourd'hui que chez peu de gens, et pas chez les meilleurs. Être conséquent signifie d'une certaine façon se fermer à la multiplicité des aspects de la vie, leur opposer des réactions identiques. Mais cela signifie autre chose aussi: une pauvreté intérieure. Or, ce qui caractérise le chômeur intellectuel, en tant qu'expression typique de notre époque, c'est la plénitude intérieure résultant des contradictions dans lesquelles il vit. Comme il ne se meut pas dans un seul cadre de vie, comme il est contraint de passer par toutes sortes d'expériences, d'assimiler des contenus de vie sans rapport étroit entre eux, son axe intérieur se déplace sans cesse. N'est-ce pas là la source du déséquilibre? »

Solitude et destin: La psychologie du chômeur intellectuel, Emil Cioran, 1932.
(Picture: A Bell From Hell, 1973)

Nous, les troglodytes...



"A tout pas en avant succède un pas en arrière: c'est là l'infructueux frétillement de l'histoire, - devenir... stationnaire... Que l'homme se soit laissé leurrer par le mirage du Progrès, - cela rend ridicules ses prétentions à la subtilité. Le Progrès? - on le trouve peut-être dans l'hygiène... Mais ailleurs? dans les découvertes scientifiques? Elles ne sont qu'une somme de gloires néfastes... Qui, de bonne foi, saurait choisir entre l'âge de pierre et celui des outils modernes? Aussi près du singe dans l'un comme dans l'autre, nous escaladons les nuages pour les mêmes motifs que nous grimpions aux arbres: les moyens de notre curiosité - pure ou criminelle - ont seuls changé, et - avec des réflexes travestis - nous sommes plus diversement rapaces.

Simple caprice que d'accepter ou de rejeter une période: il faut accepter ou rejeter l'histoire en bloc. L'idée de progrès fait de nous tous des fats sur les sommets du temps; mais ces sommets n'existent point: le troglodyte qui tremblait d'effroi dans les cavernes, tremble encore dans les gratte-ciel. Notre capital de malheur se maintient intact à travers les âges; cependant nous avons un avantage sur nos ancêtres: celui d'avoir mieux placé ce capital, parce que mieux organisé notre désastre."


Précis de décomposition, Emil Cioran, 1949.
(Picture: Cadaveri Eccellenti, 1976)

Mon Dieu, délivre-nous du Bien !



"Une crotte reflète le ciel plus personnellement que l'eau cristalline. Et des yeux troubles ont des lueurs d'azur qui entachent le bleu monotone de l'innocence. Ce qu'on appelle d'ordinaire perfection offre un spectacle fade par l'absence même des affres de la vulgarité. Les modèles de perfection que se proposent les mortels donnent un sentiment d'insuffisance, de vie non accomplie, non réussie. Les anges furent retirés de la circulation pour ce motif même: ils n'ont pas connu les souffrances de la dégradation, les voluptés mystiques de la pourriture. Il faut modifier l'image idéale de la perfection, et la morale devra s'approprier les avantages de la décomposition pour ne pas rester une construction vide.

La morale demande une purification: mais de
quoi ? Que devons-nous particulièrement écarter ? Certes, la vulgarité. Mais on ne peut l'écarter qu'en la vivant jusqu'au bout, jusqu'à la dernière humiliation: ce n'est qu'après avoir épuisé toutes les possibilités de souffrance qu'on peut parler de purification. Le mal ne meurt qu'en épuisant sa vitalité. C'est pourquoi le triomphe de la morale exige l'expérience douloureuse de la boue: s'y noyer est plus lourd de sens qu'une purification de surface. La décadence en soi n'a-t-elle pas plus de profondeur que l'innocence ? Un "homme moral" ne mérite son titre qu'en vertu des titres compromettants acquis dans son passé.

Succomber à la tentation, n'est ce pas
tomber dans la vie ? Mon Dieu, laisse-nous succomber à la tentation et délivre-nous du bien! Il faudrait que la prière de chaque jour soit une initiation à la Méchanceté, et que le "Notre Père" déchire le voile qui la couvre, pour que, en la regardant en face, familiers de la perdition, nous soyons tentés par le Bien. La morale se perd en son absence de mystère. Le bien, ne cacherait-il aucun secret?"

Le crépuscule des pensées, Emil Cioran, 1940. (Picture: Quills, 2000)

CIORAN (1911-1995) : Attentat contre l'Esprit

Nous sommes nés trop tard



Novembre 2007. Sortie de ‘La tentation du néant’ sur TROOPER/ISLIKA. Une sorte de mini album 8 titres pour combler l’absence de vrais prods de PARIS VIOLENCE. Pour ceux qui ne connaissent pas, ça va bientôt faire 15 ans que Flav (quelque fois accompagné mais toujours seul) sort des K7/EP/LP/CD’s d’une musique froide, d’abord influencé par le punk et la oi! des années 80 puis par la cold wave et autres musiques gothiques, avec des textes urbains désabusés tirés directement des écrits de Céline ou Cioran. RENAUD rencontre SISTERS OF MERCY. Aucun concert. Une image ambiguë. Tout ça a donné un statut culte à P.V., dont les 1ers enregistrements et EP limités partent maintenant à prix d’or. Le disque ne déçoit pas, le début de ‘Paris 5ème, années 90’ est même émouvant. Boite à rythme, mélancolie et cerveau noir, le programme ne change pas.



Janvier 2008. Sortie du EP ‘Les saisons mortes’ sur le label DIRTY PUNK. La productivité reprend. 2 morceaux, un instrumental de finissement et un nouveau collaborateur, Sylvain Villa-les-bains. ‘Delectatio morosa’ est un long morceau de punk froid, métalisant et gothique. ‘Institut médico légal’ est un excellent titre où les intonations de voix sont différentes, ce qui confère un charme tubesque à la compo froide. La photo de Flav en tenue de combat au dos de la pochette vaut le détour montparnasse.



Février 2008. Sortie du 5ème vrai album depuis ‘En attendant l’apocalypse’ de 2003 : ‘Nous sommes nés trop tard’ en co-production KARAMEIKOS/TROOPER records. Pièce ultime, de part la magnifique pochette déjà, le vinyl vert flamboyant (la couleur de l’espoir, est-ce de l’ironie de la part de Flav ?) et la noirceur totale de ces 10 titres. Après le concept de Oi !-wave, voici le streetpunk martial, le mot est lâché. Présence de voix féminine, de claviers, d’orgue… Nous sommes à la croisée de plein de genres, symphonie en acier, vague froide, punk dur, rock gothique et nihiliste. Les titres sont révélateurs : ‘Série noire’, ‘Notre-Dame des fous’, ‘La prière du damné’, ‘Nos déliquescences’ etc. Un futur classique.

  
PARIS VIOL. - Grisaille - Mourir en Novembre (2000)


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