Fluoglacial - Tendances Négatives

Nightclubbing, Alain Pacadis, 2005.



LES DEUX DOIGTS DANS LA PRISE PART.II (PART.I, PART.III)

Ce recueil d'articles de 850 pages est disponible aux éditons Denoël X-TREME. Pour tout connaître sur les lieux, personnes, magazines, etc. cités plus bas; pour consulter photos et récits d'époque, je ne peux que vous conseiller l'excellent site de Bernard Bacos : PARIS DANS LES ANNÉES 70.


LES ANNÉES ROCK (1973-1977)

Alain Pacadis et sa mine patibulaire commence à écrire dans Le Saltimbanque dès 1973. Il passera par la revue Pluriel avant de signer la plupart de ses papiers pour Libération à partir de juin 1975, dans sa fameuse chronique WHITE FLASH, inspirée du VELVET UNDERGROUND. Le groupe new-yorkais sera d'ailleurs souvent mis à l'honneur dans ses lignes (Nico, Lou Reed), tout comme Andy Warhol, Bowie, Burroughs et Gysin. Le contenu de ses écrits est donc directement branché, concentré de punk balbutiant, de rock avant-gardiste, de culture pop, de restes de la génération beat, de réflexions philosophiques et de cinéma expérimental. Pourvu que ça ne soit pas populaire... Pédé subversif, Pacadis s'intéresse aussi très tôt au cinéma porno d'outre atlantique, de Marylin Chambers à Kenneth Anger, il écrira d'ailleurs pour Gai Pied et Playboy.



Mais revenons à la musique. Août 1975, le premier festival rock purée dure en France est organisé à Orange. Alain en est. Son rapport est électrique. Les français découvrent la rage en musique. Au fil des pages, l'alcool devient une préoccupation de plus en plus grande pour lui, souvent abordé entre deux prédictions futuristes. Iggy Pop devient son nouvel idole et ami, puis les STINKY TOYS deviennent ses chouchous. Les chroniques de disques sont peu nombreuses mais étayées, les entretiens sont pointus avec l'avant-garde cinématographique d'époque, Philippe Garrel ou Werner Schroeter. Puis après Orange, c'est Mont-de-Marsan qui organise son festival tonitruant l'été suivant. L'Angleterre riposte.



Octobre 1976. Le premier festival punk est organisé par Malcolm McLaren au Club 100: Les clients arborent le brassard rouge orné d'une croix gammée noire sur fond blanc à droite, le portrait de Marx en toile tissée en Chine populaire à gauche. Pacadis veut être partout. Revues de mode font leur apparition entre autres fêtes, expos ou concerts. C'est ce qui fournira la matière de son journal d'un jeune homme chic. Novembre 1976, le mot DISCO fait son apparition. 1977 est l'année punk, outre sa longue rencontre avec Serge Gainsbourg, Pacadis goûte l'euphorie révolutionnaire des CLASH et le nihilisme total des SEX PISTOLS. L'Été sera chaud et Mont-de-Marsan croulera sous les punks. Son ami Yves Adrien lui souffle AFTER-PUNK et la première NIGHTCLUBBING apparaît. C'est l'aube d'une nouvelle ère.



LES ANNÉES NIGHTCLUBBING (1978-1982)

La nuit, la drogue, c'est du pareil au même, Pacadis va entrer dans l'excès et accessoirement dans L'Écho des Savanes, Façade et Le Palace magazine. Un nouveau courant fait déjà son apparition pour enterrer le punk, le nouveau romantisme. New Wave oblige, tout est bon pour échapper au punk, il faut être möderne, voire növo, se replonger dans Wagner... Les branchés ne savent plus quoi inventer pour se démarquer. En 1978, un long entretien avec Charles Bukowski met à nu toutes les addictions des deux hommes. Aiguilles usagées et pédophilie non-dissimulée, la subversion à son maximum. Le rock féminin déferle et Alain interroge SIOUXSIE, il retrouve Gainsbourg qui rentre de Jamaïque puis on pénètre au cœur de Paris by Night.



Alain sort tous les soirs et ça tombe bien puisque Fabrice Emaer vient d'ouvrir Le Palace. L'ancien théâtre du faubourg Montmartre accueille désormais fêtes majestueuses en tous genre, son histoire est indissociable de celle de Pacadis qui y est constamment fourré (pas de mauvais esprit). Toute la branchitude parisienne s'y retrouve, sous le concept auréolé du mélange. Mais la réalité du couloir d'entrée a dû en laissé plus d'un amer ! La physionomie possède ses reines, Edwige Grüss-Belmore, Jenny Bel'Air ou Paquita Paquin. La donne change tout de même comparée aux clubs privés des années 70 qui recevaient une clientèle majoritairement homosexuelle comme le Club 7 ou le Pimm's. Pacadis traîne aussi aux Bains-Douches, évidemment, au Klub 78 (quand l'équipe d'Hara-Kiri ne fait pas caca sur le bar), ainsi qu'au Backstage ou au très secret Death Club. Voir, être vu. L'apparition du namedropping dans ses chroniques signale l'entrée de plein pied dans les années 80.



En 1979, il interviewe le chanteur de DEVO, groupe alors à l'opposé du concept de KRAFTWERK. Rapprocher la machine de l'homme, leur discours sur les mutations génétiques se veut fun et bien dans son époque. Pacadis nous fait tellement ressentir l'attente de 1980, que lorsqu'elle arrivera, il ne se passera rien. Le tournant ayant été amorcé bien avant. Fini les longues tirades de sa période hippie/punk. Comme le chantait DÉBUT DE SOIRÉE (ouais), 1980 c'est tout pour la danse, ou tout pour le mongolo-bop. Nouvelles boîtes, nouveaux paradis artificiels, ils s'appellent Broad, Galaxie, Colony, Limelight ou La Main Bleue, énorme complexe disco en périphérie de Paris ouvert en 77. À côté de ça, Le Privilège est ironiquement créé sous Le Palace. Un endroit encore plus confiné, pour les élus de la nuit n'aimant pas se mélanger à la classe festivante.



Entre mondanités et désespoir, Pacadis se fait l'écho de l'ère post-punk en France. Musique synthétique, esprit futuriste, cynisme, amour banni, son mentor Yves Adrien (alias l'inventeur du punk ?!) et son livre Novövision préfigure toute la nouvelle vague française. Son entretien avec Genesis P. Orridge de THROBBING GRISTLE est d'ailleurs grandiose. "Cosey Fanni Tutti a fait des actions artistiques comme s'injecter du sang à l'aide d'une seringue dans le vagin ou découper ses vêtements avec une lame de rasoir..." - "La musique est considérée comme une distraction, le mot industriel est antidistraction. Il est inexorable. Nous n'avons rien à voir avec le show-biz et l'industrie des loisirs".



Après WHITE FLASH et NIGHTCLUBBING, c'est l'heure de la SLOW DEATH, la poésie de la descente aux enfers. Le spleen de Pacadis est permanent et le ton rebelle envers les nouvelles stars seulement passager. Mai 1981. Overdose de fun, Jack Lang danse sur Amanda Lear au Palace. Fini les usines métallurgiques et le carrelage blanc, bienvenu au rock thermidor et aux folies romantiques des SPANDAU BALLET et des DURAN DURAN. Trop XIXème le plan. En 1983, Fabrice Emaer disparaît. Le père du Palace n'est plus, plus rien ne sera jamais comme avant. Pacadis le clochard se transforme en débris mondain, et enchaine plats de petits-fours et entretiens bidons. L'éclair blanc s'éteint.



LES ANNÉES SHOW-BIZ (1983-1986)

Paris la nuit c'est fini ? L'after-fêtes est pour bientôt. Le pot mélangeant tous salaires et toutes fonctions s'est transformé en avènement de l'argent roi. Dans un premier temps, Alain s'intéresse encore quelques peu à l'underground, il suit de façon lointaine le courant cold-wave, et ses odes aux nuits blanches nous renseignent toujours sur les nouveaux lieux émergents comme le 120 nuits, le Garage, la Piscine, le Soleil Noir, le Haute Tension et bientôt le Palace II. Mais son mélange alcool/drogue n'est qu'une autodestruction de loisir, en 83, une nouvelle maladie infecte la communauté homo, le SIDA.

1984 est un tournant, ses chroniques ne seront plus qu'un ramassis de mondanités dégueulasses, de récits déprime de type "il ne m'a toujours pas appelé" et d'interviews barbantes de chanteurs de variété française (Excepté celle de Fernando Arrabal, excellente). Son environnement comprend aussi bien politiques couche-tard (Jack Lang, De Villiers...) que personnalités de la télé (Ardisson, Mourousi...), très mode. Le monde change. Son arrogante intelligence des débuts a fait place depuis longtemps à cette arrogance du vide, malheureusement à l'honneur actuellement. Pas de doute, les branchés d'aujourd'hui sont les mêmes que ceux des 80's (Les années 80 seront növö-cyniks, on rira d'un rien, on écoutera tout, on ne pensera plus...).


Alain Pacadis mourra étranglé par son compagnon transsexuel en Décembre 1986, à l'age de 37 ans. Triste fin pour une triste existence parmi tant d'autres, anecdotique. Il aura quand même réussi à franchir presque 4 décennies sur Terre, son auto-destruction n'était finalement que façade. Successivement hippie, rocker, punk, mutant, dandy, néo-romantique, ami des stars, son parcours est le guide du branché ultime. L'éponge jetable absorbeuse de courants, sans face décapante et résistant mal à l'essorage. L'individu qui voulait être tout avant tout le monde, connecté sur toutes les disciplines artistiques de l'underground. La mort d'Alain Pacadis voit aussi celle du branché utile originel, dénicheur passionné de tendances et transmetteur d'idées, ce qu'on ne pourra objectivement pas lui enlever.

La mort est ma cible, tout ce que je fais, tout ce que je signe, les modes que je lance, les rapports que j'ai avec les gens, c'est pour me perfectionner. En prenant la mort pour cible, j'ai l'impression qu'à chaque seconde je m'aiguise, à chaque seconde je deviens plus tranchant, plus vrai, c'est ma façon de tailler parmi les obstacles que ce soit des gens, des villes ou des concepts. Tout ce que je fais, c'est pour l'apporter à la mort comme des offrandes que je veux déposer à ses pieds. Yves Adrien.


Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

1. Le jeudi 1 octobre 2009 à 23:24, par pradoc

Merci pour cet article très lisible et complexe qui démontre que vous avez une vraie empathie pour Alain Pacadis, un auteur dont j'ai le livre à la maison, et que j'avais un peu oublié.
Je vais m'empresser de regarder les videos, car en live, il était très drôle.

2. Le jeudi 1 octobre 2009 à 23:59, par pierre!

sublime et écrit avec style.

3. Le vendredi 2 octobre 2009 à 00:19, par Le Patron


Oui je l'avais vu. Avec les extraits du "Bunker de la Dernière Rafale" en prime.
Nous sommes des robots, nous ne pouvons aimer.

4. Le dimanche 4 octobre 2009 à 14:54, par thomas pynchon

on pourrait ajouter aussi que sa trajectoire colle très en parallèle avec l'évolution de Libé…

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.