NABE, ROMAN.
Par ROD, mercredi 7 juillet 2010 à 14:26 :: LECTURES :: #780 :: rss
28ème livre, concret comme cette couverture sans bavure. Je ne présente pas NABE (alias Alain Zanini) ni son dernier bras d'honneur aux éditeurs. Rentrons directement dans la substance de ce livre expérimental. L'HOMME QUI ARRÊTA D'ÉCRIRE ou comment résumer l'aventure de 5 années en une semaine (l'aventure est même dans l'achat du livre). De lundi à dimanche, une sorte de recréation façon Dante ou de loge en loge, on aimerait encore plus plonger tous ces adulateurs dans un fleuve de merde. La comparaison au génie italien n'est pas fortuite, Jean-Phi le fameux bloggeur, qui aiguillera Marc-Édouard dans la nouvelle vie mondaine des années 2000, prend comme pseudo sur la toile le blase de Virgile. À travers la géographie de Paris capitale, les 700 pages chaudes et fulgurantes nous font revivre l'histoire des années 2000, notre histoire, avec le panache de celui pour qui tout est fini, et pour qui tout recommence...
Case départ. Plus d'employeur, l'inactivité, l'ANPE, le chômage, Nabe découvre le vrai visage de la précarité. Il tente de vivre différemment. Et tout va se mettre en ordre pour lui faciliter la tache (Dieu ?). À peine sorti de H&M où le quinquagénaire s'est refait un look plus moderne, le vieux jeune se fait alpaguer par Jean-Phi qui le supplie de le suivre pour lui montrer quelque chose. S'il perd le Nord de l'écriture, Marc-Édouard redécouvre l'aventure, au coin de la rue. Et découvre que cette chose que détient ce "créateur" (de jeu vidéo) n'est autre que le manuscrit du Voyage de Céline qu'il doit scanner avant une revente. Incroyable. Les premières joutes verbales commencent.
"Sans les avoir fréquentés, je me doutais que les jeunes d'aujourd'hui étaient complètement incultes. D'ailleurs Jean-Phi me le confirme, et sans complexe.
- On ne sait rien et on ne veut rien savoir. Quand on a besoin de savoir quelque chose, on a Internet."
L'ancien couche-tard, habitué des boites de jazz et des nuits 80/90 où tout semblait possible, se prend le progrès du Loft et le "rendez-vous Meetic" en pleine poire. Pas de bol pour Jean-Phi, il lève une asexuelle participant à la mouvance To fuck is over. L'apologie de la non érection avec Nabe en invité, ça vaut l'œil. Au début, Nabe bataille encore avec son train-train quotidien d'inactif qui s'installe, la Star Academy en live, l'abandon des livres, l'errance. Puis Jean-Phi lui fait visiter le temple du consommateur des années 2000, Colette. Le choc est visuel.
"Ici on ne se croirait plus dans un laboratoire ou dans un bloc opératoire mais dans une morgue branchée. Tout est d'une propreté écœurante, d'un esthétisme antiartistique, d'une laideur esthétisée."
L'enchaînement naturel et nocturne vers une vente d'Art aux enchères sélect permet au sale gosse de pester contre la bourgeoisie culturelle.
"Les riches bourgeois adorent les "réfractaires" morts, ce sont leurs danseuses en cadavre qu'ils chouchoutent pour se faire pardonner leurs saloperies... Les grands artistes ne servent qu'à ça: devenir les alibis moraux des salauds de la postérité... D'ailleurs, c'est pour ça au fond qu'elle est faite. La postérité n'est peuplée que de salauds."
"Les Fleurs du Mal n'ont jamais aussi bien portées leur titre qu'aujourd'hui. Sur le fumier du Bien, l'art, poussent les fleurs du Mal, le fric. Se masturber sur les suicidés de la société, tel est le pied des friqués esthétisants... Et toujours avec des morts devenus classiques bien sûr."
Passons faire un tour à la cinémathèque de Chaillot, soirée de fermeture, où la mascarade de la populace dégueulasse le plancher avant de rendre les clés. Mais que pense Nabe du cinéma d'aujourd'hui ?
"Phénomène chimique. Le film s'efface comme par magie sur les écrans au moment où il est projeté. Les amateurs de cinéma contemporain seraient bien incapables de citer trois films sortis le mois dernier. Au sommaire de n'importe quel numéro de Cinéma 66, 69 ou même 79 il y avait parmi les sorties du mois au moins trois chefs-d'œuvre internationaux, six films majeurs, quatre films importants et deux navets dont on parle encore aujourd'hui."
Ok. Le besoin de se ressourcer et de respirer est trop fort; RIVE DROITE. Juste avant que Jean-Phi, son nouveau meilleur ami, le rencarde pour la nuit, et lui présente Jahid, un rappeur qui cite Talleyrand, dans une cyber salle où des combattants virtuels s'affrontent depuis plusieurs demi-journées.
"En un coup de métro, je suis place du Châtelet, au bord de la Seine, lugubre ruisseau noir. De l'autre côté, la rive gauche, quelle horreur. Je crois que j'y foutrai plus les pieds de ma vie, ça pue trop la "littérature". Pour Proust aussi, la rive gauche n'existait pas, son "faubourg Saint-Germain", il a été obligé de le refaire entièrement d'après le faubourg Saint-Honoré, il n'a même pas voulu pousser la conscience écritoriale jusqu'à aller sur place vérifier la réalité, ça le gonflait trop, Marcel, de traverser un pont. Surtout pour trouver de la merde: des journalistes, des éditeurs, des amateurs de livres, des cultiveux, des intellos, libraires, critiques, lecteurs..."
Une ballade en péniche permet de poursuivre le cours de géographie, Pont Alexandre III, le Showcase, pour finir au Louvre (Jean-Phi a décidément ses entrées partout) devant un défilé de mode où Nabe entre encore un peu plus dans le vide. Marc Jacob, John Galiano, art, mode, luxe ? Zoé est le premier éclairci de l'auteur dans cet océan de cynisme.
"C'est pas de l'art, c'est du luxe. On ne rend pas justice à la peinture en montrant des tissus colorés. Les stylistes ne sont pas des artistes mais des artisans. Ils volent les arts majeurs, peinture, sculpture, architecture, danse, théâtre, cinéma... Tous sauf la littérature, comme par hasard. Là, c'est plus dur. La haute couture ne sait pas s'inspirer de la littérature, les mannequins portent mal les mots..."
La désintoxication du vieux monde de Nabe suit son cours, il rentre dans le jeu de cette génération artificielle, éphémère, ludique, dont la décomplexion le fascine. Le concentré de clichés à démonter est tellement massif et compressé à la fois (malgré la grosseur du livre) qu'on peut passer tout de suite de la mode à l'Art contemporain au fil d'une rencontre (Pat le pédé). Vernissage au Palais de Tokyo, le fun décalé en prend plein la gueule, et ce n'est pas Jacques Henric ("l'enculé") et Catherine Millet ("la partouzeuse") qui peuvent contrer.
"Le but ultime de l'art contemporain sera un jour atteint quand l'artiste lui-même sera exposé mort, embaumé dans une posture ridicule, plongé dans le formol, là l'art contemporain aura atteint son zénith, l'auto-exhibition à la gloire de la mort, avec le fun funèbre qui s'impose.
Les riches ont toujours eu mauvais goût c'est connu... Que ce soit un milliardaire de la Consommation qui sponsorise la rétrospective Dada à Beaubourg ne semble plus choquer personne, puisqu'on est tout le temps dans le décalé de tout. Cette violence dans le contresens est reconvertie automatiquement dans le sens de la fête et du décalage."
Après la Mecque de l'Art de maintenant, la Mecque de la nuit de maintenant. Le Baron de Back. Décryptage de la jet sex (Ariel Wizman, Boris Bergman, Yann Cé, Thomas Lélu, André, Louise "Miss Météo" Bourgouin, etc.). Tous les noms de "célébrités" sont modifiés à l'intérieur du livre, écorchés, exprès. Une rencontre étonnante réunit Julien Doré et Nabe autour de Marcel Duchamp ("J'adore ce qu'a fait ton père, Gustave"). Un des seuls qui n'est pas égratigné dans la bagarre scripturale. Le karaoké orchestré par les Plastiscines et le duo Nabe/Michel Delpech, ça devait être quelque chose quand même...
"Je ne savais pas que le Baron était devenu si prisé. Je comprends pourquoi ce Back fait la gueule. C'est qu'il a sur la figure toutes celles qui ne lui reviennent pas. À force de pratiquer le "à la tête du client", toutes les têtes de clients se collent sur sa tronche d'abruti."
"Wisman a toujours été habillé comme un dandy décalé au bord du pédé, mais là il s'est lâché encore plus qu'à la télé où quotidiennement il propage sa propagande de branchitude orientée, déversant sous couvert d'ironie chic la sempiternelle culture "postmoderne" d'un très haut niveau de mauvais goût et d'escroquerie assumée... [...] Wisman est un ascète de la perversion. Séducteur d'abrutis en mal de fausse fantaisie, il ne pense qu'à injecter le mal tant qu'il peut dans les esprits faibles qui se laissent charmer par son allure de quadragénaire faussement cool, soi-disant au parfum de tout ce qui est nouveau ou original, alors que c'est tout ce qui pue le toc, la vieillerie yankee années 50 rafistolée et le mainstream occidentaliste... Si encore il séduisait pour son propre compte, pour baiser des filles ou prendre son pied personnel, mais non, il se croit investi d'une mission: servir par tous les moyens le Grand Spectacle décadent et décomplexé."
"Le principe de ce nouveau Baron, c'est le faux élitisme. Au lieu de recevoir l'élite, c'est le lieu lui-même qui définit l'élite. [...] Je regarde autour de nous. Les "hommes" sont tous les mêmes dans leur uniforme d'immatures tapettes. Des lunettes de BD années 50 sur une tronche de niais et, directement sur le torse imberbe, un pull en V, et pas V comme "Victoire"..."
Tout au long de ces escapades, Nabe joue bien entendu le jeu de l'écrivain sur le déclin. Ne me parlez plus de littérature, c'est fini. Et tous les rats se mettent sur leurs pattes de derrières, tel le charity bizness se masturbant sur les maudits. L'heure est venue d'épiauter méthodiquement sa bête noire au cours d'une présentation d'une nouvelle grille de programmes auquel une fois de plus Jean-Phi avait dégoté un carton. N'est pas Hara-Kiri qui veut.
"Au moins, TF1, c'est marqué dessus, ce sont des conservateurs idéologiques, au sens chimique du terme, tandis qu'à Canal+, depuis le début, ils font croire qu'ils sont mal-pensants, décalés, révolutionnaires, alors qu'ils font une télé qui va dans le sens du poil de l'époque, c'est tout. Pour moi, l'esprit Canal d'hier et d'aujourd'hui, c'est toujours le résidu d'un plagiat. [...] Vulgariser un humour qui était considéré comme vulgaire par les bien-pensants des années 60, c'est piteux comme destin médiatique. Regardez-les d'ailleurs ici, ils ont tous l'air malheureux parce qu'ils savent qu'ils sont dans le mal jusqu'au cou. Réjouis-toi Canal, par l'enfer se répand ton nom... Ils ont commencé par être des voleurs d'Hara-Kiri, et ils finissent en bourgeois qui ne veulent pas qu'on les vole."
"Il les a tous battus au poteau, les présentateurs du talk-show du soir. C'est le boss, c'est celui qui cartonne, et qui a su garder l'esprit Canal évidemment. Tous les soirs il ment sur "le plus grand chanteur du monde", "le meilleur analyste économique de tous les temps", "la star de vente de disques de l'univers" pour tromper les gogos. Plus criminel qu'un faux monnayeur qui fourguerait sans problème, à toute heure et à n'importe qui, sa monnaie de singe... Deniseau est là avec sa tête de ravi d'être sucé."
Une petite sauterie littéraire au sein du Train Bleu est le moyen de faire le ménage dans sa conscience. La littérature n'a rien à voir avec le monde des lettres. On connaît le cheval de bataille de Nabe. Le ratpack maudit que les médias auraient voulu le voir former avec Neuhoff et Besson à une certaine époque n'est pas concevable pour lui. Et Eric Naulleau qui voudrait le sauver n'en parlons pas !
"Nauleau a l'air de croire sérieusement que je me retrouve dans le fameux pamphlet très mal écrit de son copain qui pue l'aigreur. Jourd attaque des valeurs en effet surfaites, mais quand on voit ce qu'il leur oppose, on comprend qu'il n'a rien compris. C'est surtout un plouc besogneux, ravagé en vain par l'ambition d'écrire, et qui prôna la liberté d'expression jusqu'à ce qu'il reçoive des menaces physiques de la part des villageois sur lesquels il avait écrit un roman diffamatoire et porte plainte."
Un entartrage de Noël Gaudin et la caravane repart. Direction l'Hotel Amour où Alain Chamfort se détend aux côtés de Laurent Baffie ("ce sinistre blaireau"). Au milieu de Greg & Guido, "créatifs", et d'un harem de filles belles et naïves (Elodie, Zoé, Kahina et ses rencontres feujworld), Nabe se sent revivre et sa prose fulgure. Il doit se rappeler lui-même des années auparavant, ne perdant aucune goute de la verve de Jean-Edern Hallier qui s'entourait toujours de jeunes filles pour retarder l'échéance. Les rôles se sont inversés, le but reste le même, transmettre le goût du vrai contre l'acculture de la démocratie
"C'est fou comme la jeune génération snobe la télé. Et ils se croient originaux, résistants. Ça va avec leur goût de n'être au courant de rien. Ce qui est bien, c'est de ne rien savoir. Pas seulement ce qui s'est fait avant soi, mais ce qui se fait pendant soi. Tomber de la lune, c'est le dernier chic des nouveaux jeunes."
"Ah... j'essaie de maintenir mon attention éveillée mais ils sont décidément aussi ennuyeux qu'ils en ont l'air... Trente ans à peine et on dirait à la fois qu'ils n'ont jamais rien connu et qu'ils ont tout vécu. Une nouvelle sorte de revenus de tout est née: les revenus de rien..."
"Les trentenaires font les malins, mais ils sont dans l'amateurisme généralisé. Tout est raté, loupé, à côté de la plaque, bricolé, massacré, salopé avec l'alibi de la modernité, du trash et du bad, et l'assurance d'être dans son droit de faire tout mal, puisque l'époque le leur donne. Le moindre professionnalisme dans tout domaine est ressenti comme une faute. Et tout ça avec la certitude d'être "subversif" alors qu'ils bouffent à tous les râteliers du lieu commun. Les plus convenues petites vedettes de la branchouillerie bobo sont là comme dans les autres supports qu'ils dénigrent et dont ils croient d'éloigner. Le but c'est que tout s'annule: on prend plusieurs idées qu'on croit fortes et en les réunissant on arrive au néant, un néant confortable dans lequel les trentenaires amorphes se lovent."
"Élevées par vos parents dans les clichés de l'antiracisme, de l'addiction à la musique bidon, de la peoplisation, de l'antilepénisme, de l'anticonformisme modéré, de la lutte contre le terrorisme, de le lutte contre le fanatisme islamiste au profit du fanatisme libéraliste, vous n'aviez aucune chance de vous élever vous-mêmes..."
"C'est la première fois dans l'histoire qu'une génération a été mise dans l'impossibilité psychologique d'accéder à ce qui s'est fait avant elle. Autrefois, chaque génération produisait des œuvres qui faisaient référence à d'autres œuvres du passé, et ainsi de suite, pour mieux comprendre sa propre époque. Là, on dirait que les années 70, 80, 90, 2000 même, ont été reléguées dans une préhistoire qui n'a aucun intérêt et qu'il est urgent d'oublier totalement. C'est très curieux, cette oblitération du passé récent. [...] C'est la première fois qu'une époque semble être fière de ne plus être historique, même les punks qui prônaient le No future, et qui le revendiquaient, avaient encore la force de réagir à quelque chose, fût-ce à leur indifférence. Vous n'êtes même pas nihilistes, quelle tragédie! On est obligés de s'adresser à vous comme des enfants vierges, handicapés, amnésiques, ignorants, incapables de se concentrer. Je le vois bien, dès que je fais allusion à une force du passé, ça suscite un inintérêt flagrant. Vous êtes tout de suite agacés comme par de la nuisance sonore, parce que vous êtes saturés d'informations accessoires qui parasitent votre attention."
Et les deux têtes d'Antijouir nous quittent. On les voit de dos s'éloigner jusqu'à la sortie. Je les regarde. Trentenaires sans fesses, pas de corps, bébés maigres... Ils détestent les invitations: ils y voient anguilles sous roche, mais les anguilles, c'est eux. Toute proposition les perturbe. Rien à faire, ils sont dans la peur des confrontations. Tout enthousiasme est vu comme une pression, la vitalité est malsaine, elle est prise pour de l'agression. Pour eux, tout est "intéressant", mais comme rien au fond ne mérite qu'on y consacre sa vie, autant s'intéresser au moins de choses possible. Surtout pas de passion pour le vrai, le dur, le fort. Tout pour le faux, le mou, le faiblard. L'énergie, c'est pas cool...
Nabe abandonne l'Antijour et ses hôtes pour rejoindre le musée Grévin et sa statue de Michael Youn. Une époque formidable, où presque tout n'est rien.
Et les femmes actuelles dans tout ça ?
"C'est vrai, avant j'étais trop pressé de baiser. Baiser absolument. Profiter de la situation: ce n'est pas le genre de cette génération... Quelle révolution pour un ex-satyre. Mais d'un autre côté, que les choses sont mal faites. Aujourd'hui les filles n'ont jamais été mieux faites, et elles ne veulent jamais baiser. Celles qui portent des minijupes sont en burqa dans leur tête. En 1900, les femmes, la plupart ingrates, avaient tellement de frou-frous, dentelles, corsets, baleines, bas, qu'il était difficile techniquement de les déshabiller et pourtant elles se faisaient prendre n'importe où, partout, toute la journée. Aujourd'hui, c'est le contraire: des supercanons sont juste couvertes de bouts de tissu minuscules qu'il serait si simple de soulever, mais elles n'y pensent pas ou plutôt si, elles y pensent, mais pour elles, c'est impensable."
Le récit le plus long dans le récit est un fantasme d'une assemblée de journalistes qui se réuniraient pour concevoir un journal commun afin de lutter contre les ravages de la gratuité et d'Internet. Une sorte de Libémondaro. Et là, ça part dans tous les sens (et ça dure...).
"Quelle prétention. Ils osent dire qu'ils ont donné dans chacun de leurs torchons respectifs la diversité des points de vue, mais avec de sacrées œillères. "Le commentaire prime sur le reportage", reprochent-ils à Internet, mais chez eux le reportage est d'abord un commentaire. Ils s'accrochent à un fantasme d'info objective, mais elle est tachée tout de suite par leur opinion à eux, leurs petits goûts de bourgeois gauchards rockers soixante-huitards prévisibles. Donc elle n'est plus crédible, leur info. [...] Pas un de ces vieux pervertis ne se pose la question de savoir si ce ne serait pas par hasard leurs tronches que le "lectorat" ne peut plus voir en peinture ni en musique. Si ce n'est pas leur métier vieillot à la base et en pourrissement permanent depuis trente-cinq ans auquel plus personne ne veut avoir affaire. Ils ont tous l'air de croire que les difficultés du journalisme de presse écrite viennent d'un problème de forme, mais c'est le fond de leur fonctionnement même qui est remis en question par tous aujourd'hui, et c'est mérité."
Nabe n'avait pas encore mis le feu au Théâtre. C'est chose faite après avoir assisté à une représentation modernisée d'Hamlet. Aïe. La génération uniforme et plan-plan brûle elle aussi après avoir été allumé par les phrases à 90 degrés du nabot.
"Quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, les gens sont tous pareils. Avant, il y avait une diversité visible, palpable, tout le monde était différent et tout le monde se mélangeait, justement parce que tout le monde était différent. Il y avait plusieurs sortes de bourgeois, plusieurs sortes de gauchistes, plusieurs sortes de prolos, plusieurs sortes de d'artistes, plusieurs sortes de jeunes, plusieurs sortes de vieux, plusieurs sortes de femmes, plusieurs sortes de belles femmes et plusieurs sortes de boudins aussi. Une richesse perdue.."
"Le théâtre toise La Star Ac', mais il n'offre rien de mieux en échange qu'une fausse idée de la qualité, dans un ghetto de références archi vieillottes sur le théâtre dans le théâtre ou sur la distanciation des œuvres classiques, des lapalissades à l'envers. La Star Ac' dit "La vie est belle, tout est beau" et eux ils disent "Tout est moche, le monde est absurde... la vie n'a aucun sens". Mais ce n'est pas mieux, c'est aussi faux l'un que l'autre."
Next stop, Blue Note. 27 rue d'Artois. Souvenir de Zanini. Il s'y sent bien pour théoriser sur l'amour qui n'a rien à voir avec les femmes et vice versa, c'est aussi ici, par l'intermédiaire du cellulaire de Jean-Phi, que Jahid l'insupportable conspirationniste refait surface, avec ses longues tirades sur le 11 septembre 2001 (encore un thème cher à Nabe qu'il parvient à recycler tranquillement).
"Le complot empêche de réfléchir au sens de l'évènement. J'ai espéré sincèrement que le 11-Septembre réveillerait les consciences, leur ferait comprendre que c'est l'heure de foutre une bonne râclée apocalyptique aux criminels de la civilisation de néoconservation qui les déglinguent depuis des décennies, mais non. En quelques années, tout s'est rendormi sous une couche de peur. Ça n'avait été en effet qu'une lueur d'espoir: elle a été bien vite éteinte par les pleutres recroquevillés d'un Occident mégalo et parano, faisant sous lui avec une haine répugnante. Soufflée, la lueur! Nuit noire comme avant..."
En parlant de recyclage, un peu plus tard, dans les profondeurs de la nuit, Nabe croise Pascal Nègre au Mathi's, l'endroit de ceux qui croient encore à la Nuit. Vous avez dit piratage ?
"Le téléchargement ne met en danger que la culture, ce n'est donc pas si grave. Ça rabaisse l'importance que se donne la culture vis-à-vis de l'art et ça n'abîme pas l'art, qui lui est intouchable. [...] La culture n'est pas une artiste et si Internet et le téléchargement permettent de le lui rappeler, bravo. Art vivant contre culture morte. Le piratage est une bonne chose pour remettre en question le principe même d'une création qui n'a plus à être "piratée" par les labels et autres profiteurs du business cultureux... Pirates contre parasites. Mon choix est fait!..."
Le Paradis se transforme en Enfer, lorsque Ruquier ("plouc un jour, plouc toujours") et sa bande débarque, rendez-vous directo au purgatoire, 36 rue de Ponthieu, No Comment. Ardisson n'est jamais loin dès qu'on prononce le mot "échangisme". Les Champs-Elysées, la plus belle avenue du monde, Nabe n'en démordra jamais, la nostalgie de ses auteurs favoris, sa nostalgie à lui. Et sûrement celle d'Alain Delon qu'on croise au petit matin...
"Depuis que je suis tout jeune, l'avenue m'a toujours attiré. C'est le seul endroit de Paris où j'ai la sensation d'être chez moi. Le quartier le plus décrié de Paris, et pour de mauvaises raisons. Les bobos, babas, bébés dans l'âme ne peuvent apprécier cette force qui balaie tout sur son passage. Les Champs-Élysées sont un cyclone de vitalité, seuls les complexés les vomissent à cause du fric qu'ils symbolisent, mais les curieux de toutes conditions et de tous âges qui s'y engouffrent sans préjugés comprennent vite que le luxe n'est qu'une misère comme les autres. C'est trop facile de chérir Oberkampf, la Bastille, le Marais, Belleville, quartiers surévalués, faussement artistiques, et branchés à n'importe quelle prise. Là-bas, on se donne l'illusion de l'"authenticité" citadine. Ici, rien n'est authentique, tout est vrai."
Les Champs, la fin d'un rêve éveillé, la fin des putes, la fin des rabatteurs, la crise des couples, la fin de la Nuit et de ce Livre définitif, laissant toujours planer l'espoir, qui commence par un E, comme le nom d'Emma...
Case départ. Plus d'employeur, l'inactivité, l'ANPE, le chômage, Nabe découvre le vrai visage de la précarité. Il tente de vivre différemment. Et tout va se mettre en ordre pour lui faciliter la tache (Dieu ?). À peine sorti de H&M où le quinquagénaire s'est refait un look plus moderne, le vieux jeune se fait alpaguer par Jean-Phi qui le supplie de le suivre pour lui montrer quelque chose. S'il perd le Nord de l'écriture, Marc-Édouard redécouvre l'aventure, au coin de la rue. Et découvre que cette chose que détient ce "créateur" (de jeu vidéo) n'est autre que le manuscrit du Voyage de Céline qu'il doit scanner avant une revente. Incroyable. Les premières joutes verbales commencent.
"Sans les avoir fréquentés, je me doutais que les jeunes d'aujourd'hui étaient complètement incultes. D'ailleurs Jean-Phi me le confirme, et sans complexe.
- On ne sait rien et on ne veut rien savoir. Quand on a besoin de savoir quelque chose, on a Internet."
L'ancien couche-tard, habitué des boites de jazz et des nuits 80/90 où tout semblait possible, se prend le progrès du Loft et le "rendez-vous Meetic" en pleine poire. Pas de bol pour Jean-Phi, il lève une asexuelle participant à la mouvance To fuck is over. L'apologie de la non érection avec Nabe en invité, ça vaut l'œil. Au début, Nabe bataille encore avec son train-train quotidien d'inactif qui s'installe, la Star Academy en live, l'abandon des livres, l'errance. Puis Jean-Phi lui fait visiter le temple du consommateur des années 2000, Colette. Le choc est visuel.
"Ici on ne se croirait plus dans un laboratoire ou dans un bloc opératoire mais dans une morgue branchée. Tout est d'une propreté écœurante, d'un esthétisme antiartistique, d'une laideur esthétisée."
L'enchaînement naturel et nocturne vers une vente d'Art aux enchères sélect permet au sale gosse de pester contre la bourgeoisie culturelle.
"Les riches bourgeois adorent les "réfractaires" morts, ce sont leurs danseuses en cadavre qu'ils chouchoutent pour se faire pardonner leurs saloperies... Les grands artistes ne servent qu'à ça: devenir les alibis moraux des salauds de la postérité... D'ailleurs, c'est pour ça au fond qu'elle est faite. La postérité n'est peuplée que de salauds."
"Les Fleurs du Mal n'ont jamais aussi bien portées leur titre qu'aujourd'hui. Sur le fumier du Bien, l'art, poussent les fleurs du Mal, le fric. Se masturber sur les suicidés de la société, tel est le pied des friqués esthétisants... Et toujours avec des morts devenus classiques bien sûr."
Passons faire un tour à la cinémathèque de Chaillot, soirée de fermeture, où la mascarade de la populace dégueulasse le plancher avant de rendre les clés. Mais que pense Nabe du cinéma d'aujourd'hui ?
"Phénomène chimique. Le film s'efface comme par magie sur les écrans au moment où il est projeté. Les amateurs de cinéma contemporain seraient bien incapables de citer trois films sortis le mois dernier. Au sommaire de n'importe quel numéro de Cinéma 66, 69 ou même 79 il y avait parmi les sorties du mois au moins trois chefs-d'œuvre internationaux, six films majeurs, quatre films importants et deux navets dont on parle encore aujourd'hui."
Ok. Le besoin de se ressourcer et de respirer est trop fort; RIVE DROITE. Juste avant que Jean-Phi, son nouveau meilleur ami, le rencarde pour la nuit, et lui présente Jahid, un rappeur qui cite Talleyrand, dans une cyber salle où des combattants virtuels s'affrontent depuis plusieurs demi-journées.
"En un coup de métro, je suis place du Châtelet, au bord de la Seine, lugubre ruisseau noir. De l'autre côté, la rive gauche, quelle horreur. Je crois que j'y foutrai plus les pieds de ma vie, ça pue trop la "littérature". Pour Proust aussi, la rive gauche n'existait pas, son "faubourg Saint-Germain", il a été obligé de le refaire entièrement d'après le faubourg Saint-Honoré, il n'a même pas voulu pousser la conscience écritoriale jusqu'à aller sur place vérifier la réalité, ça le gonflait trop, Marcel, de traverser un pont. Surtout pour trouver de la merde: des journalistes, des éditeurs, des amateurs de livres, des cultiveux, des intellos, libraires, critiques, lecteurs..."
Une ballade en péniche permet de poursuivre le cours de géographie, Pont Alexandre III, le Showcase, pour finir au Louvre (Jean-Phi a décidément ses entrées partout) devant un défilé de mode où Nabe entre encore un peu plus dans le vide. Marc Jacob, John Galiano, art, mode, luxe ? Zoé est le premier éclairci de l'auteur dans cet océan de cynisme.
"C'est pas de l'art, c'est du luxe. On ne rend pas justice à la peinture en montrant des tissus colorés. Les stylistes ne sont pas des artistes mais des artisans. Ils volent les arts majeurs, peinture, sculpture, architecture, danse, théâtre, cinéma... Tous sauf la littérature, comme par hasard. Là, c'est plus dur. La haute couture ne sait pas s'inspirer de la littérature, les mannequins portent mal les mots..."
La désintoxication du vieux monde de Nabe suit son cours, il rentre dans le jeu de cette génération artificielle, éphémère, ludique, dont la décomplexion le fascine. Le concentré de clichés à démonter est tellement massif et compressé à la fois (malgré la grosseur du livre) qu'on peut passer tout de suite de la mode à l'Art contemporain au fil d'une rencontre (Pat le pédé). Vernissage au Palais de Tokyo, le fun décalé en prend plein la gueule, et ce n'est pas Jacques Henric ("l'enculé") et Catherine Millet ("la partouzeuse") qui peuvent contrer.
"Le but ultime de l'art contemporain sera un jour atteint quand l'artiste lui-même sera exposé mort, embaumé dans une posture ridicule, plongé dans le formol, là l'art contemporain aura atteint son zénith, l'auto-exhibition à la gloire de la mort, avec le fun funèbre qui s'impose.
Les riches ont toujours eu mauvais goût c'est connu... Que ce soit un milliardaire de la Consommation qui sponsorise la rétrospective Dada à Beaubourg ne semble plus choquer personne, puisqu'on est tout le temps dans le décalé de tout. Cette violence dans le contresens est reconvertie automatiquement dans le sens de la fête et du décalage."
Après la Mecque de l'Art de maintenant, la Mecque de la nuit de maintenant. Le Baron de Back. Décryptage de la jet sex (Ariel Wizman, Boris Bergman, Yann Cé, Thomas Lélu, André, Louise "Miss Météo" Bourgouin, etc.). Tous les noms de "célébrités" sont modifiés à l'intérieur du livre, écorchés, exprès. Une rencontre étonnante réunit Julien Doré et Nabe autour de Marcel Duchamp ("J'adore ce qu'a fait ton père, Gustave"). Un des seuls qui n'est pas égratigné dans la bagarre scripturale. Le karaoké orchestré par les Plastiscines et le duo Nabe/Michel Delpech, ça devait être quelque chose quand même...
"Je ne savais pas que le Baron était devenu si prisé. Je comprends pourquoi ce Back fait la gueule. C'est qu'il a sur la figure toutes celles qui ne lui reviennent pas. À force de pratiquer le "à la tête du client", toutes les têtes de clients se collent sur sa tronche d'abruti."
"Wisman a toujours été habillé comme un dandy décalé au bord du pédé, mais là il s'est lâché encore plus qu'à la télé où quotidiennement il propage sa propagande de branchitude orientée, déversant sous couvert d'ironie chic la sempiternelle culture "postmoderne" d'un très haut niveau de mauvais goût et d'escroquerie assumée... [...] Wisman est un ascète de la perversion. Séducteur d'abrutis en mal de fausse fantaisie, il ne pense qu'à injecter le mal tant qu'il peut dans les esprits faibles qui se laissent charmer par son allure de quadragénaire faussement cool, soi-disant au parfum de tout ce qui est nouveau ou original, alors que c'est tout ce qui pue le toc, la vieillerie yankee années 50 rafistolée et le mainstream occidentaliste... Si encore il séduisait pour son propre compte, pour baiser des filles ou prendre son pied personnel, mais non, il se croit investi d'une mission: servir par tous les moyens le Grand Spectacle décadent et décomplexé."
"Le principe de ce nouveau Baron, c'est le faux élitisme. Au lieu de recevoir l'élite, c'est le lieu lui-même qui définit l'élite. [...] Je regarde autour de nous. Les "hommes" sont tous les mêmes dans leur uniforme d'immatures tapettes. Des lunettes de BD années 50 sur une tronche de niais et, directement sur le torse imberbe, un pull en V, et pas V comme "Victoire"..."
Tout au long de ces escapades, Nabe joue bien entendu le jeu de l'écrivain sur le déclin. Ne me parlez plus de littérature, c'est fini. Et tous les rats se mettent sur leurs pattes de derrières, tel le charity bizness se masturbant sur les maudits. L'heure est venue d'épiauter méthodiquement sa bête noire au cours d'une présentation d'une nouvelle grille de programmes auquel une fois de plus Jean-Phi avait dégoté un carton. N'est pas Hara-Kiri qui veut.
"Au moins, TF1, c'est marqué dessus, ce sont des conservateurs idéologiques, au sens chimique du terme, tandis qu'à Canal+, depuis le début, ils font croire qu'ils sont mal-pensants, décalés, révolutionnaires, alors qu'ils font une télé qui va dans le sens du poil de l'époque, c'est tout. Pour moi, l'esprit Canal d'hier et d'aujourd'hui, c'est toujours le résidu d'un plagiat. [...] Vulgariser un humour qui était considéré comme vulgaire par les bien-pensants des années 60, c'est piteux comme destin médiatique. Regardez-les d'ailleurs ici, ils ont tous l'air malheureux parce qu'ils savent qu'ils sont dans le mal jusqu'au cou. Réjouis-toi Canal, par l'enfer se répand ton nom... Ils ont commencé par être des voleurs d'Hara-Kiri, et ils finissent en bourgeois qui ne veulent pas qu'on les vole."
"Il les a tous battus au poteau, les présentateurs du talk-show du soir. C'est le boss, c'est celui qui cartonne, et qui a su garder l'esprit Canal évidemment. Tous les soirs il ment sur "le plus grand chanteur du monde", "le meilleur analyste économique de tous les temps", "la star de vente de disques de l'univers" pour tromper les gogos. Plus criminel qu'un faux monnayeur qui fourguerait sans problème, à toute heure et à n'importe qui, sa monnaie de singe... Deniseau est là avec sa tête de ravi d'être sucé."
Une petite sauterie littéraire au sein du Train Bleu est le moyen de faire le ménage dans sa conscience. La littérature n'a rien à voir avec le monde des lettres. On connaît le cheval de bataille de Nabe. Le ratpack maudit que les médias auraient voulu le voir former avec Neuhoff et Besson à une certaine époque n'est pas concevable pour lui. Et Eric Naulleau qui voudrait le sauver n'en parlons pas !
"Nauleau a l'air de croire sérieusement que je me retrouve dans le fameux pamphlet très mal écrit de son copain qui pue l'aigreur. Jourd attaque des valeurs en effet surfaites, mais quand on voit ce qu'il leur oppose, on comprend qu'il n'a rien compris. C'est surtout un plouc besogneux, ravagé en vain par l'ambition d'écrire, et qui prôna la liberté d'expression jusqu'à ce qu'il reçoive des menaces physiques de la part des villageois sur lesquels il avait écrit un roman diffamatoire et porte plainte."
Un entartrage de Noël Gaudin et la caravane repart. Direction l'Hotel Amour où Alain Chamfort se détend aux côtés de Laurent Baffie ("ce sinistre blaireau"). Au milieu de Greg & Guido, "créatifs", et d'un harem de filles belles et naïves (Elodie, Zoé, Kahina et ses rencontres feujworld), Nabe se sent revivre et sa prose fulgure. Il doit se rappeler lui-même des années auparavant, ne perdant aucune goute de la verve de Jean-Edern Hallier qui s'entourait toujours de jeunes filles pour retarder l'échéance. Les rôles se sont inversés, le but reste le même, transmettre le goût du vrai contre l'acculture de la démocratie
"C'est fou comme la jeune génération snobe la télé. Et ils se croient originaux, résistants. Ça va avec leur goût de n'être au courant de rien. Ce qui est bien, c'est de ne rien savoir. Pas seulement ce qui s'est fait avant soi, mais ce qui se fait pendant soi. Tomber de la lune, c'est le dernier chic des nouveaux jeunes."
"Ah... j'essaie de maintenir mon attention éveillée mais ils sont décidément aussi ennuyeux qu'ils en ont l'air... Trente ans à peine et on dirait à la fois qu'ils n'ont jamais rien connu et qu'ils ont tout vécu. Une nouvelle sorte de revenus de tout est née: les revenus de rien..."
"Les trentenaires font les malins, mais ils sont dans l'amateurisme généralisé. Tout est raté, loupé, à côté de la plaque, bricolé, massacré, salopé avec l'alibi de la modernité, du trash et du bad, et l'assurance d'être dans son droit de faire tout mal, puisque l'époque le leur donne. Le moindre professionnalisme dans tout domaine est ressenti comme une faute. Et tout ça avec la certitude d'être "subversif" alors qu'ils bouffent à tous les râteliers du lieu commun. Les plus convenues petites vedettes de la branchouillerie bobo sont là comme dans les autres supports qu'ils dénigrent et dont ils croient d'éloigner. Le but c'est que tout s'annule: on prend plusieurs idées qu'on croit fortes et en les réunissant on arrive au néant, un néant confortable dans lequel les trentenaires amorphes se lovent."
"Élevées par vos parents dans les clichés de l'antiracisme, de l'addiction à la musique bidon, de la peoplisation, de l'antilepénisme, de l'anticonformisme modéré, de la lutte contre le terrorisme, de le lutte contre le fanatisme islamiste au profit du fanatisme libéraliste, vous n'aviez aucune chance de vous élever vous-mêmes..."
"C'est la première fois dans l'histoire qu'une génération a été mise dans l'impossibilité psychologique d'accéder à ce qui s'est fait avant elle. Autrefois, chaque génération produisait des œuvres qui faisaient référence à d'autres œuvres du passé, et ainsi de suite, pour mieux comprendre sa propre époque. Là, on dirait que les années 70, 80, 90, 2000 même, ont été reléguées dans une préhistoire qui n'a aucun intérêt et qu'il est urgent d'oublier totalement. C'est très curieux, cette oblitération du passé récent. [...] C'est la première fois qu'une époque semble être fière de ne plus être historique, même les punks qui prônaient le No future, et qui le revendiquaient, avaient encore la force de réagir à quelque chose, fût-ce à leur indifférence. Vous n'êtes même pas nihilistes, quelle tragédie! On est obligés de s'adresser à vous comme des enfants vierges, handicapés, amnésiques, ignorants, incapables de se concentrer. Je le vois bien, dès que je fais allusion à une force du passé, ça suscite un inintérêt flagrant. Vous êtes tout de suite agacés comme par de la nuisance sonore, parce que vous êtes saturés d'informations accessoires qui parasitent votre attention."
Et les deux têtes d'Antijouir nous quittent. On les voit de dos s'éloigner jusqu'à la sortie. Je les regarde. Trentenaires sans fesses, pas de corps, bébés maigres... Ils détestent les invitations: ils y voient anguilles sous roche, mais les anguilles, c'est eux. Toute proposition les perturbe. Rien à faire, ils sont dans la peur des confrontations. Tout enthousiasme est vu comme une pression, la vitalité est malsaine, elle est prise pour de l'agression. Pour eux, tout est "intéressant", mais comme rien au fond ne mérite qu'on y consacre sa vie, autant s'intéresser au moins de choses possible. Surtout pas de passion pour le vrai, le dur, le fort. Tout pour le faux, le mou, le faiblard. L'énergie, c'est pas cool...
Nabe abandonne l'Antijour et ses hôtes pour rejoindre le musée Grévin et sa statue de Michael Youn. Une époque formidable, où presque tout n'est rien.
Et les femmes actuelles dans tout ça ?
"C'est vrai, avant j'étais trop pressé de baiser. Baiser absolument. Profiter de la situation: ce n'est pas le genre de cette génération... Quelle révolution pour un ex-satyre. Mais d'un autre côté, que les choses sont mal faites. Aujourd'hui les filles n'ont jamais été mieux faites, et elles ne veulent jamais baiser. Celles qui portent des minijupes sont en burqa dans leur tête. En 1900, les femmes, la plupart ingrates, avaient tellement de frou-frous, dentelles, corsets, baleines, bas, qu'il était difficile techniquement de les déshabiller et pourtant elles se faisaient prendre n'importe où, partout, toute la journée. Aujourd'hui, c'est le contraire: des supercanons sont juste couvertes de bouts de tissu minuscules qu'il serait si simple de soulever, mais elles n'y pensent pas ou plutôt si, elles y pensent, mais pour elles, c'est impensable."
Le récit le plus long dans le récit est un fantasme d'une assemblée de journalistes qui se réuniraient pour concevoir un journal commun afin de lutter contre les ravages de la gratuité et d'Internet. Une sorte de Libémondaro. Et là, ça part dans tous les sens (et ça dure...).
"Quelle prétention. Ils osent dire qu'ils ont donné dans chacun de leurs torchons respectifs la diversité des points de vue, mais avec de sacrées œillères. "Le commentaire prime sur le reportage", reprochent-ils à Internet, mais chez eux le reportage est d'abord un commentaire. Ils s'accrochent à un fantasme d'info objective, mais elle est tachée tout de suite par leur opinion à eux, leurs petits goûts de bourgeois gauchards rockers soixante-huitards prévisibles. Donc elle n'est plus crédible, leur info. [...] Pas un de ces vieux pervertis ne se pose la question de savoir si ce ne serait pas par hasard leurs tronches que le "lectorat" ne peut plus voir en peinture ni en musique. Si ce n'est pas leur métier vieillot à la base et en pourrissement permanent depuis trente-cinq ans auquel plus personne ne veut avoir affaire. Ils ont tous l'air de croire que les difficultés du journalisme de presse écrite viennent d'un problème de forme, mais c'est le fond de leur fonctionnement même qui est remis en question par tous aujourd'hui, et c'est mérité."
Nabe n'avait pas encore mis le feu au Théâtre. C'est chose faite après avoir assisté à une représentation modernisée d'Hamlet. Aïe. La génération uniforme et plan-plan brûle elle aussi après avoir été allumé par les phrases à 90 degrés du nabot.
"Quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, les gens sont tous pareils. Avant, il y avait une diversité visible, palpable, tout le monde était différent et tout le monde se mélangeait, justement parce que tout le monde était différent. Il y avait plusieurs sortes de bourgeois, plusieurs sortes de gauchistes, plusieurs sortes de prolos, plusieurs sortes de d'artistes, plusieurs sortes de jeunes, plusieurs sortes de vieux, plusieurs sortes de femmes, plusieurs sortes de belles femmes et plusieurs sortes de boudins aussi. Une richesse perdue.."
"Le théâtre toise La Star Ac', mais il n'offre rien de mieux en échange qu'une fausse idée de la qualité, dans un ghetto de références archi vieillottes sur le théâtre dans le théâtre ou sur la distanciation des œuvres classiques, des lapalissades à l'envers. La Star Ac' dit "La vie est belle, tout est beau" et eux ils disent "Tout est moche, le monde est absurde... la vie n'a aucun sens". Mais ce n'est pas mieux, c'est aussi faux l'un que l'autre."
Next stop, Blue Note. 27 rue d'Artois. Souvenir de Zanini. Il s'y sent bien pour théoriser sur l'amour qui n'a rien à voir avec les femmes et vice versa, c'est aussi ici, par l'intermédiaire du cellulaire de Jean-Phi, que Jahid l'insupportable conspirationniste refait surface, avec ses longues tirades sur le 11 septembre 2001 (encore un thème cher à Nabe qu'il parvient à recycler tranquillement).
"Le complot empêche de réfléchir au sens de l'évènement. J'ai espéré sincèrement que le 11-Septembre réveillerait les consciences, leur ferait comprendre que c'est l'heure de foutre une bonne râclée apocalyptique aux criminels de la civilisation de néoconservation qui les déglinguent depuis des décennies, mais non. En quelques années, tout s'est rendormi sous une couche de peur. Ça n'avait été en effet qu'une lueur d'espoir: elle a été bien vite éteinte par les pleutres recroquevillés d'un Occident mégalo et parano, faisant sous lui avec une haine répugnante. Soufflée, la lueur! Nuit noire comme avant..."
En parlant de recyclage, un peu plus tard, dans les profondeurs de la nuit, Nabe croise Pascal Nègre au Mathi's, l'endroit de ceux qui croient encore à la Nuit. Vous avez dit piratage ?
"Le téléchargement ne met en danger que la culture, ce n'est donc pas si grave. Ça rabaisse l'importance que se donne la culture vis-à-vis de l'art et ça n'abîme pas l'art, qui lui est intouchable. [...] La culture n'est pas une artiste et si Internet et le téléchargement permettent de le lui rappeler, bravo. Art vivant contre culture morte. Le piratage est une bonne chose pour remettre en question le principe même d'une création qui n'a plus à être "piratée" par les labels et autres profiteurs du business cultureux... Pirates contre parasites. Mon choix est fait!..."
Le Paradis se transforme en Enfer, lorsque Ruquier ("plouc un jour, plouc toujours") et sa bande débarque, rendez-vous directo au purgatoire, 36 rue de Ponthieu, No Comment. Ardisson n'est jamais loin dès qu'on prononce le mot "échangisme". Les Champs-Elysées, la plus belle avenue du monde, Nabe n'en démordra jamais, la nostalgie de ses auteurs favoris, sa nostalgie à lui. Et sûrement celle d'Alain Delon qu'on croise au petit matin...
"Depuis que je suis tout jeune, l'avenue m'a toujours attiré. C'est le seul endroit de Paris où j'ai la sensation d'être chez moi. Le quartier le plus décrié de Paris, et pour de mauvaises raisons. Les bobos, babas, bébés dans l'âme ne peuvent apprécier cette force qui balaie tout sur son passage. Les Champs-Élysées sont un cyclone de vitalité, seuls les complexés les vomissent à cause du fric qu'ils symbolisent, mais les curieux de toutes conditions et de tous âges qui s'y engouffrent sans préjugés comprennent vite que le luxe n'est qu'une misère comme les autres. C'est trop facile de chérir Oberkampf, la Bastille, le Marais, Belleville, quartiers surévalués, faussement artistiques, et branchés à n'importe quelle prise. Là-bas, on se donne l'illusion de l'"authenticité" citadine. Ici, rien n'est authentique, tout est vrai."
Les Champs, la fin d'un rêve éveillé, la fin des putes, la fin des rabatteurs, la crise des couples, la fin de la Nuit et de ce Livre définitif, laissant toujours planer l'espoir, qui commence par un E, comme le nom d'Emma...
Commentaires
1. Le mercredi 7 juillet 2010 à 17:04, par Vermine
2. Le jeudi 8 juillet 2010 à 07:54, par Œuf brouillé
3. Le jeudi 8 juillet 2010 à 13:55, par Vermine
4. Le jeudi 8 juillet 2010 à 22:52, par MattH
5. Le vendredi 9 juillet 2010 à 07:41, par Œuf brouillé
6. Le jeudi 22 juillet 2010 à 15:47, par Oberkampf
7. Le mercredi 28 juillet 2010 à 00:43, par Richard Lenoir
8. Le jeudi 9 septembre 2010 à 17:13, par solfa
9. Le jeudi 9 septembre 2010 à 19:16, par Jer
10. Le vendredi 10 septembre 2010 à 18:40, par : |
11. Le samedi 11 septembre 2010 à 12:09, par solfa
12. Le dimanche 12 septembre 2010 à 11:05, par banane
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