Guerrier du Rêve, Jean-Paul Bourre, 2003.
Par ROD, mercredi 8 septembre 2010 à 17:39 :: LECTURES :: #811 :: rss

INTRODUCTION
"Le scoutisme fut vite oublié, dépassé par la rapidité d'enchaînement des évènements. Je tourne les pages du magazine Paris Match, assis sur le canapé du salon. Dans le bouillon de l'actualité certains signes surnagent, flammes vives, comme des signaux d'urgence. La mort de James Dean, les concerts tumultueux d'Elvis, le phénomène social des "blousons noirs", chez nous, en France. Il y avait là une nourriture émotionnelle très forte, un amplificateur de sensations. Basculer ou ne pas basculer dans cette fosse aux serpents ?"
Années 50. Jean-Paul Bourre, alors adolescent dans la mystique commune d'Issoire en Auvergne, bascule pleinement dans la fosse aux serpents du rock'n'roll. Elvis De Lautréamont, Comte de Presley, la poésie rock s'enfourne dans les tripes du petit Jean-Paul qui rêve d'aventure et de westerns. En attendant la révolution, il rencontre les durs du bassin minier, commence à palper la carcasse des motocyclettes et puis celle des filles, avec un succès mesuré !
ISSOIRE ON THE STREETS
"En 1961-62, les jeans délavés n'existent pas. Pour ressembler à un vrai cow-boy d'Abilène ou de Dodge City, et transformer le jean de toile neuve en jean délavé, usé jusqu'aux fils; il faut trois mois, en le portant tous les jours. Nous, on accélère le processus d'usure en moins d'une heure, à l'aide d'un chiffon d'eau de Javel et d'une brosse en chiendent. [...] On travaille ardemment à l'esthétique rebelle des sixties, en frottant méthodiquement les fesses, les cuisses et les genoux, jusqu'à ce que la toile blanchisse. La rébellion n'est pas encore manufacturée. On travaille comme des artisans-guérilleros, ou les guerriers chéyennes, qui fabriquent eux-mêmes leurs armes."
LES FILLES DU COLLÈGE
"On se colle au cul des filles. On forme l'arrière-garde remuante du cortège. Chaleil se tient les couilles en rigolant, Rocky branle le goulot de sa bouteille sous le nez d'une fille. Lucky me balance les seuls mots qu'il connait en manouche: "Hé! prends-lui la cramouille par derjo!" On est sur la même ligne télépathique. Je guette la monitrice qui marche devant moi. C'est une proie magnifique. Elle a au moins dix ans de plus que moi. Je me dis: "C'est une adulte, mariée ou fiancée, c'est sûr, pas une des blanches brebis du troupeau. Vas-y, Teddy, pose la main sur elle, caresse son cul, boulevard de la Manlière, jeudi après-midi, devant tout le monde!
C'est un geste de grande magie, capable de déplacer les montagnes. En un quart de seconde, je fous en l'air la limite, et bascule derrière la ligne d'horizon. Elle est la squaw de Fort Apache. Elle a beau feindre l'indifférence, et marcher d'un pas rapide, je tends la main vers elle, empoigne brutalement ses fesses, joue un instant avec les doigts dans la fente de son cul. La fille se retourne en hurlant, me repousse, tape dans le vide, agite les bras comme une dingue. Je sors mon couteau à cran d'arrêt, et je lui dis, la lame ouverte: "Tu veux une coupe au bol !" [...] Me voilà menotté, dans les bureaux du commissariat d'Issoire."

PARIS BEAT
1963. Les yé-yés commencent à pourrir le rock de l'intérieur. Les grands romantiques ont laissé la place à de nouveaux héros maudits sur l'étagère de Jean-Paul, ils se nomment Ginsberg ou Kerouac. L'aventure c'est l'aventure. Mis à la porte de son collège, il prend rencard avec Paris, "pour écrire des livres". C'est surtout le bol de pollution magnifique pour le jeune rural, les spots sont multiples et appellent aux références passées, au présent et au futur. Boul' Mich', rue de la Huchette, rue des Carmes, rue Visconti, place du Tertre, le squat du 34 rue St Maur puis les lieux de débauche, d'idées et de musique, la Loco, le Palladium, le café Bonaparte, la Pergola, etc. etc.
Paradoxe hippie, Bourre est appelé sous les drapeaux. Dur de partager ses passions au milieu des calots et des képis. Pourtant, la fascination du militaire est avouée sans gène, la race des héros, la gloire du combat, et le fantasme inaccessible de la légion ou de l'école de St Cyr reviennent souvent dans sa tête. Ordre/Désordre. En service en Allemagne, il sera muté dans le sud Sahara où l'Algérie rebelle lui sautera telle une mine à la face.
Retour au zonage. 1965-67, les années d'amour, virée en Italie avec les anglaises et les amis. Et le grand romantisme revient au galop. "Je me suis endormi un doigt enfoncé dans son cul. Je l'ai aimée ainsi. Un doigt dans l'anus, ma boucne dans ses cheveux." La drogue s'est durcie, le LSD offre de nouvelles perspectives aux moujingues. Les changements de cap sont réguliers. Paris-Clermont-Marseille. Et l'inverse.

BEAT PARIS
"J'ai vécu le Paris insurrectionnel sans l'intégrer à des codes, à des schémas politiques, sérieux, responsables. [...] La journée, les discours dans les facs occupés me font passablement chier. Les maoïstes avaient des discours extrémistes, collectivistes, totalitaires. Les anars, une vision utopique, urbaine et sociale du bonheur des hommes, les communistes un pouvoir historique à gérer, toute la mémoire militante du drapeau rouge, l'éternel drapeau des révolutions. Les marxistes-léninistes tenaient le même discours piégé, verrouillé, totalitaire, que les maoïstes... pour le bonheur du peuple. Abnégation, don de soi à l'entité collective, renoncement à l'individualisme, sous peine de poursuites. Ils étaient dans des "trips" et ils ne le savaient pas, se regroupaient dans un réflexe pavlovien, et croyaient détenir la vérité."
Les zoulous avaient flairé le chaos qui régnait à la capitale. En maraudeurs de la nuit, Bourre et ses acolytes (Petit Pierre, La Rouille, Daniel Rodde...) jouent le SO à la Sorbonne, profitant de l'état d'urgence général pour se créer un rockin' squat post-apocalyptique.
HELTER SKELTER
Etape Hopital Psychatrique. Tout se bouscule dans le livre. Ordre/Désordre. Mais l'important est que la substance reste. 1969. Les hippies exterminateurs frappent un grand coup sur Hollywood. La femme de Polanski et ses amis sont abattus dans leur villa par les membres d'Helter Skelter, guidés par les versets démoniaques de l'album blanc des Beatles. Bourre prendra plus tard la défense de Charles Manson, le fils de l'Homme, alors que Steve McQueen se promènera flingue à la main en cas d'averse de chevelus sur les boulevards de L.A.
Les évènements vont à nouveau devenir changeant, comme ces revues de presses brèves et symptomatiques de l'époque présentes tout au long du livre. L'ésotérisme et l'occultisme vont accaparer Jean-Paul. Les voyages par la drogue ou l'espace vont s'intensifier. L'Inde, l'Iran. Puis la double-cure, désintoxicante, l'appartement à Clermont-Ferrand, la femme, l'enfant. Le retour à Paris s'impose. Boulevard Clichy, le peintre P. Yotl est de la partie, et ses alliés d'antan répondent présents.
SAMEDI SOIR CHEZ BOUVARD
"- Putain, mec! Je viens d'avoir le bureau de Philippe Bouvard, à la télé, tu sais, son émission "Samedi Soir"! Je lui ai dit qu'on pouvait faire décoller une table du sol, un guéridon, comme dans le spiritisme, et qu'un jour on était arrivé à l'arracher centimètre par centimètre et à la coller au plafond. Il semble intéressé. On fera ça en direct dans son émission. Imagine le truc! On y va sous acide, en en plus on empoche un salaire, un cachet, comme les autres artistes, et peut être que Bouvard me laissera faire une chanson!"
"Pendant l'interview d'Yvette Horner, Rodde s'est planqué derrière le rideau qui sert de décor à la chanteuse. [...] Il s'amuse, il glousse, il en profite pour balancer des injures qu'elle est la seule à entendre: "Pouffiasse! Je te bouffe la chatte! T'as le cul propre quand tu parles à Bouvard ? - Hé, je me branle en t'écoutant!"..."
Et dire que Johnny aussi était invité ce soir là ! Il y aura d'autres faits d'armes, bien sûr impossibles à revisionner après tant d'années. Une messe rouge dans "Mi-Fugue Mi-Raisin" animé par Patrice Laffont ou encore une "Possession" sur les Dossiers de l'Écran. La plongée dans l'obscur de Jean-Paul l'amène à rencontrer de grandes figures sombres tel Serge Hutin, écrivain franc-maçon, passé du CNRS à l'alchimie, ou bien David Farrant, le futur président de la British Psychic & Occult Society.

RELIGION DE LA MORT
"Je rameute les spectres pour m'aider à vivre, ceux qu'on ne voit pas et qui nous accompagnent pourtant, dans la doublure invisible des choses. J'invoque les dieux de Ninive et de Babylone, le shivaïsme de l'ombre, l'Inde des ténèbres. Rue Grégoire-de-Tours, j'ai peint en noir le manteau de la cheminée et je ne paie plus mon loyer. Rodde et une bande de mutants mansoniens, déjantés, m'ont aidé à peindre le bouc du Sabbat, une torche entre les cornes, en rouge sur la façade du premier étage, au-dessus du balcon.
On l'aperçoit dès qu'on rentre dans la cour. Il s'agit d'une nouvelle religion, tournée vers la mort, avec Lucifer comme archange. Je descends dans l'obscurité, cercle après cercle. J'ai formé une armée, prête à l'attaque. Daniel Rodde et la bande de déjantés lucifériens. On prépare un défilé, avec cagoules et pancartes en écoutant Nico - The End sur l'électrophone - comme pour une manif, banderoles et slogans. C'est ainsi qu'on est descendus dans la rue - une quinzaine de cagoules noires et rouges, brandissant des pancartes "Les Témoins de Lucifer" - "L'Enfer est avec vous !"
1970's
"Les années Giscard-Mitterand, comme celles qui précèdent et qui viendront après, seront sans doute rangées par les historiens du futur sous l'appellation : "suite de gouvernements démagogiques". On ne retiendra pas les noms. Sous le terme de "progrès" on dénoncera la politique du court terme et le saccage de la planète. Ce seront des temps d'obscurantisme, dominés par la même pensée matérialiste, engluée dans un misérable monde à trois dimensions. Alors nous aurons fait oeuvre de pionniers, en ouvrant des brèches pour respirer plus loin, plus large. Un citoyen pris dans l'urgence des années 70-80 doit-il s'attacher aux signes, guetter des voix, comme un sorcier du néolithique, ou doit-il se conformer à la pensée carcérale à trois dimensions du monde moderne, se faire l'adepte de la nouvelle réalité ? Pour ma part, j'ai choisi depuis longtemps."
1980's
Bourre continue à écrire, il rentre dans le vif du sujet (après des publications de poèmes) avec ce qui restera son livre clé, sorti en 1978, "Les Sectes Lucifériennes aujourd'hui". Son autobiographie dépictée ici, au style fluide et percutant, ne manque jamais de recul et d'humour (noir). Il publie toujours en 2010 et est déjà l'auteur d'une soixantaine d'ouvrages (la liste ici) sur ses héros, ses idoles, sa vie, et tout ce qui touche de près ou de loin au bizarre. Il sera d'ailleurs rédacteur en chef de la revue paranormale "L'Autre Monde" dans les années 80.
Hyperactif à l'écrit mais aussi à l'oral, Bourre sera un pionnier dans les radios pirates, culte résident de l'occulte, d'abord sur Radio Mégalo hébergé par Gonzague Saint-Bris, mais surtout animateur du vendredi soir sur la radio Ici et Maintenant, dont il se fera finalement jeté, engagé trop viscéralement dans toutes les causes perdues.
(Anecdote: Lors d'une étape hilarante à Londres, en pleine écriture de son livre sur John Lennon, Bourre fait croire aux médias anglais que des membres de la secte de Charles Manson suivent la tournée anglaise de Rod Steward pour l'enlever et l'échanger contre Charlie toujours en prison, l'effet sera escompté!)

LA FRANCE DES BRAVES GENS
"J'avais besoin de ça, pour me purifier de tous les poisons. Il me fallait revenir en arrière, retrouver cette France perdue - les villages, les grands espaces, le commencement du monde. Les photographies sont en noir et blanc et Lucienne Delyle chante dans le poste TSF. C'est une époque éternelle, puisque ma mère et ma soeur s'y trouvent, et qu'elles ne sont pas mortes. La France est belle, plus lente, elle prend son temps, et il y a moins de monde dans les rues. [...] J'avais besoin de cette France rurale, celle de ma grand-mère, et de mon arrière-grand-mère. La France des braves gens."
Bourre chope une Bernanosragie. Après les trois grands cycles de sa quête de mysticisme et d'absolu, le rock, la route, le rite, c'est le retour à la Terre, la période de l'exode urbain. Direction l'Auvergne, toujours. Malgré la communauté reformée, le destin morose de ses anciens compagnons (mort, prison, alcool) forcera Jean-Paul à dire adieu à son berceau. Toujours sur le terrain du combat, qu'il soit rock, occulte ou militaire, Bourre le reporter se rend au Liban et en Yougoslavie.

LEBANON
"- Ils sont amoraux. Ils s'arrangent au jour le jour, comme le négociant cupide. Ce qui ne les empêche pas de faire des actes de contrition, comme pour le Vietnam. En Europe, le modèle américain est resté intact, dans la musique, les mœurs, les loisirs. J'ai par contre un grand espoir, quand je vois le mouvement de libération des pays de l'Est. Dans ces pays, on se débarrasse de la contrainte des régimes totalitaires. Ils sont décidés à accorder beaucoup plus d'importance aux valeurs humaines, beaucoup plus que les autres Européens qui en profitent, sans connaitre cette grâce de la libération, je dirais cete grâce divine." (GENERAL AOUN)
EX-YOUGOSLAVIE
"Dans l'abri, les Croates rigolent, vérifient leurs armes, évaluent la puissance de feu des Serbes, fument des cigarettes, racontent les jeux de guerre du camp de base. Quand les mecs sont pétés au slivovic, ils viennent à Kuposco provoquer les Serbes. Le jeu est simple. Il consiste à courir jusqu'au virage et à dévaler la pente, face à la colline serbe, en hurlant des insultes. Le type remonte aussitôt, sous une pluie de roquettes. Certains ne sont jamais revenus. Ils finissent de pourrir, en bas, dans le vallon. Criblés de balles, ils servent de cibles d'entraînement aux snipers serbes."

CONCLUSION
"Rencontre avec Michel Desgranges, l'éditeur des "Belles Lettres" [...] Il est l'auteur d'un grand livre nihiliste, injustement méconnu, Je vous hais, véritable grenade quadrillée, épopée urbaine impitoyable, travaillé au vitriol.
Il y a des signes magiques, sur la route du sorcier. Le magazine L'Express révèle qu'un exemplaire de Je vous hais a été trouvé sur la table de chevet de Richard Durn, le tueur de Nanterre, qui a flingué les notables du Conseil municipal. En voilà un qui n'aura pas eu son fort Alamo -, "défenestré" chez les flics, alors qu'il était menotté et sous surveillance. [...] S'il n'y avait pas eu cet "accident" dans le local de la PJ, Durn pouvait devant tout un tribunal faire le procès de la société dite "libérale", repue d'humanisme et de droits de l'homme, qui ose juger au nom de la sacro-sainte administration."
ICI ET MAINTENANT
Banni et lynché pour avoir au-delà du bien, du mal et du politiquement correct, été trop loin dans la transcendance ! Jean-Paul Bourre, à aujourd'hui 63 ans, est toujours là. Ses aspirations évoquées à la fin du livre, d'une vie de famille vraie, au calme, ne l'empêchent pas de continuer ce qu'il a toujours fait. Il a dernièrement publié "Sexe, sang et rock'n'roll", "Johnny Hallyday, confidential" et ce fameux "John Lennon, le Beatle assassiné".
Années 50. Jean-Paul Bourre, alors adolescent dans la mystique commune d'Issoire en Auvergne, bascule pleinement dans la fosse aux serpents du rock'n'roll. Elvis De Lautréamont, Comte de Presley, la poésie rock s'enfourne dans les tripes du petit Jean-Paul qui rêve d'aventure et de westerns. En attendant la révolution, il rencontre les durs du bassin minier, commence à palper la carcasse des motocyclettes et puis celle des filles, avec un succès mesuré !
ISSOIRE ON THE STREETS
"En 1961-62, les jeans délavés n'existent pas. Pour ressembler à un vrai cow-boy d'Abilène ou de Dodge City, et transformer le jean de toile neuve en jean délavé, usé jusqu'aux fils; il faut trois mois, en le portant tous les jours. Nous, on accélère le processus d'usure en moins d'une heure, à l'aide d'un chiffon d'eau de Javel et d'une brosse en chiendent. [...] On travaille ardemment à l'esthétique rebelle des sixties, en frottant méthodiquement les fesses, les cuisses et les genoux, jusqu'à ce que la toile blanchisse. La rébellion n'est pas encore manufacturée. On travaille comme des artisans-guérilleros, ou les guerriers chéyennes, qui fabriquent eux-mêmes leurs armes."
LES FILLES DU COLLÈGE
"On se colle au cul des filles. On forme l'arrière-garde remuante du cortège. Chaleil se tient les couilles en rigolant, Rocky branle le goulot de sa bouteille sous le nez d'une fille. Lucky me balance les seuls mots qu'il connait en manouche: "Hé! prends-lui la cramouille par derjo!" On est sur la même ligne télépathique. Je guette la monitrice qui marche devant moi. C'est une proie magnifique. Elle a au moins dix ans de plus que moi. Je me dis: "C'est une adulte, mariée ou fiancée, c'est sûr, pas une des blanches brebis du troupeau. Vas-y, Teddy, pose la main sur elle, caresse son cul, boulevard de la Manlière, jeudi après-midi, devant tout le monde!
C'est un geste de grande magie, capable de déplacer les montagnes. En un quart de seconde, je fous en l'air la limite, et bascule derrière la ligne d'horizon. Elle est la squaw de Fort Apache. Elle a beau feindre l'indifférence, et marcher d'un pas rapide, je tends la main vers elle, empoigne brutalement ses fesses, joue un instant avec les doigts dans la fente de son cul. La fille se retourne en hurlant, me repousse, tape dans le vide, agite les bras comme une dingue. Je sors mon couteau à cran d'arrêt, et je lui dis, la lame ouverte: "Tu veux une coupe au bol !" [...] Me voilà menotté, dans les bureaux du commissariat d'Issoire."

PARIS BEAT
1963. Les yé-yés commencent à pourrir le rock de l'intérieur. Les grands romantiques ont laissé la place à de nouveaux héros maudits sur l'étagère de Jean-Paul, ils se nomment Ginsberg ou Kerouac. L'aventure c'est l'aventure. Mis à la porte de son collège, il prend rencard avec Paris, "pour écrire des livres". C'est surtout le bol de pollution magnifique pour le jeune rural, les spots sont multiples et appellent aux références passées, au présent et au futur. Boul' Mich', rue de la Huchette, rue des Carmes, rue Visconti, place du Tertre, le squat du 34 rue St Maur puis les lieux de débauche, d'idées et de musique, la Loco, le Palladium, le café Bonaparte, la Pergola, etc. etc.
Paradoxe hippie, Bourre est appelé sous les drapeaux. Dur de partager ses passions au milieu des calots et des képis. Pourtant, la fascination du militaire est avouée sans gène, la race des héros, la gloire du combat, et le fantasme inaccessible de la légion ou de l'école de St Cyr reviennent souvent dans sa tête. Ordre/Désordre. En service en Allemagne, il sera muté dans le sud Sahara où l'Algérie rebelle lui sautera telle une mine à la face.
Retour au zonage. 1965-67, les années d'amour, virée en Italie avec les anglaises et les amis. Et le grand romantisme revient au galop. "Je me suis endormi un doigt enfoncé dans son cul. Je l'ai aimée ainsi. Un doigt dans l'anus, ma boucne dans ses cheveux." La drogue s'est durcie, le LSD offre de nouvelles perspectives aux moujingues. Les changements de cap sont réguliers. Paris-Clermont-Marseille. Et l'inverse.

BEAT PARIS
"J'ai vécu le Paris insurrectionnel sans l'intégrer à des codes, à des schémas politiques, sérieux, responsables. [...] La journée, les discours dans les facs occupés me font passablement chier. Les maoïstes avaient des discours extrémistes, collectivistes, totalitaires. Les anars, une vision utopique, urbaine et sociale du bonheur des hommes, les communistes un pouvoir historique à gérer, toute la mémoire militante du drapeau rouge, l'éternel drapeau des révolutions. Les marxistes-léninistes tenaient le même discours piégé, verrouillé, totalitaire, que les maoïstes... pour le bonheur du peuple. Abnégation, don de soi à l'entité collective, renoncement à l'individualisme, sous peine de poursuites. Ils étaient dans des "trips" et ils ne le savaient pas, se regroupaient dans un réflexe pavlovien, et croyaient détenir la vérité."
Les zoulous avaient flairé le chaos qui régnait à la capitale. En maraudeurs de la nuit, Bourre et ses acolytes (Petit Pierre, La Rouille, Daniel Rodde...) jouent le SO à la Sorbonne, profitant de l'état d'urgence général pour se créer un rockin' squat post-apocalyptique.
HELTER SKELTER
Etape Hopital Psychatrique. Tout se bouscule dans le livre. Ordre/Désordre. Mais l'important est que la substance reste. 1969. Les hippies exterminateurs frappent un grand coup sur Hollywood. La femme de Polanski et ses amis sont abattus dans leur villa par les membres d'Helter Skelter, guidés par les versets démoniaques de l'album blanc des Beatles. Bourre prendra plus tard la défense de Charles Manson, le fils de l'Homme, alors que Steve McQueen se promènera flingue à la main en cas d'averse de chevelus sur les boulevards de L.A.
Les évènements vont à nouveau devenir changeant, comme ces revues de presses brèves et symptomatiques de l'époque présentes tout au long du livre. L'ésotérisme et l'occultisme vont accaparer Jean-Paul. Les voyages par la drogue ou l'espace vont s'intensifier. L'Inde, l'Iran. Puis la double-cure, désintoxicante, l'appartement à Clermont-Ferrand, la femme, l'enfant. Le retour à Paris s'impose. Boulevard Clichy, le peintre P. Yotl est de la partie, et ses alliés d'antan répondent présents.
SAMEDI SOIR CHEZ BOUVARD
"- Putain, mec! Je viens d'avoir le bureau de Philippe Bouvard, à la télé, tu sais, son émission "Samedi Soir"! Je lui ai dit qu'on pouvait faire décoller une table du sol, un guéridon, comme dans le spiritisme, et qu'un jour on était arrivé à l'arracher centimètre par centimètre et à la coller au plafond. Il semble intéressé. On fera ça en direct dans son émission. Imagine le truc! On y va sous acide, en en plus on empoche un salaire, un cachet, comme les autres artistes, et peut être que Bouvard me laissera faire une chanson!"
"Pendant l'interview d'Yvette Horner, Rodde s'est planqué derrière le rideau qui sert de décor à la chanteuse. [...] Il s'amuse, il glousse, il en profite pour balancer des injures qu'elle est la seule à entendre: "Pouffiasse! Je te bouffe la chatte! T'as le cul propre quand tu parles à Bouvard ? - Hé, je me branle en t'écoutant!"..."
Et dire que Johnny aussi était invité ce soir là ! Il y aura d'autres faits d'armes, bien sûr impossibles à revisionner après tant d'années. Une messe rouge dans "Mi-Fugue Mi-Raisin" animé par Patrice Laffont ou encore une "Possession" sur les Dossiers de l'Écran. La plongée dans l'obscur de Jean-Paul l'amène à rencontrer de grandes figures sombres tel Serge Hutin, écrivain franc-maçon, passé du CNRS à l'alchimie, ou bien David Farrant, le futur président de la British Psychic & Occult Society.

RELIGION DE LA MORT
"Je rameute les spectres pour m'aider à vivre, ceux qu'on ne voit pas et qui nous accompagnent pourtant, dans la doublure invisible des choses. J'invoque les dieux de Ninive et de Babylone, le shivaïsme de l'ombre, l'Inde des ténèbres. Rue Grégoire-de-Tours, j'ai peint en noir le manteau de la cheminée et je ne paie plus mon loyer. Rodde et une bande de mutants mansoniens, déjantés, m'ont aidé à peindre le bouc du Sabbat, une torche entre les cornes, en rouge sur la façade du premier étage, au-dessus du balcon.
On l'aperçoit dès qu'on rentre dans la cour. Il s'agit d'une nouvelle religion, tournée vers la mort, avec Lucifer comme archange. Je descends dans l'obscurité, cercle après cercle. J'ai formé une armée, prête à l'attaque. Daniel Rodde et la bande de déjantés lucifériens. On prépare un défilé, avec cagoules et pancartes en écoutant Nico - The End sur l'électrophone - comme pour une manif, banderoles et slogans. C'est ainsi qu'on est descendus dans la rue - une quinzaine de cagoules noires et rouges, brandissant des pancartes "Les Témoins de Lucifer" - "L'Enfer est avec vous !"
1970's
"Les années Giscard-Mitterand, comme celles qui précèdent et qui viendront après, seront sans doute rangées par les historiens du futur sous l'appellation : "suite de gouvernements démagogiques". On ne retiendra pas les noms. Sous le terme de "progrès" on dénoncera la politique du court terme et le saccage de la planète. Ce seront des temps d'obscurantisme, dominés par la même pensée matérialiste, engluée dans un misérable monde à trois dimensions. Alors nous aurons fait oeuvre de pionniers, en ouvrant des brèches pour respirer plus loin, plus large. Un citoyen pris dans l'urgence des années 70-80 doit-il s'attacher aux signes, guetter des voix, comme un sorcier du néolithique, ou doit-il se conformer à la pensée carcérale à trois dimensions du monde moderne, se faire l'adepte de la nouvelle réalité ? Pour ma part, j'ai choisi depuis longtemps."
1980's
Bourre continue à écrire, il rentre dans le vif du sujet (après des publications de poèmes) avec ce qui restera son livre clé, sorti en 1978, "Les Sectes Lucifériennes aujourd'hui". Son autobiographie dépictée ici, au style fluide et percutant, ne manque jamais de recul et d'humour (noir). Il publie toujours en 2010 et est déjà l'auteur d'une soixantaine d'ouvrages (la liste ici) sur ses héros, ses idoles, sa vie, et tout ce qui touche de près ou de loin au bizarre. Il sera d'ailleurs rédacteur en chef de la revue paranormale "L'Autre Monde" dans les années 80.
Hyperactif à l'écrit mais aussi à l'oral, Bourre sera un pionnier dans les radios pirates, culte résident de l'occulte, d'abord sur Radio Mégalo hébergé par Gonzague Saint-Bris, mais surtout animateur du vendredi soir sur la radio Ici et Maintenant, dont il se fera finalement jeté, engagé trop viscéralement dans toutes les causes perdues.
(Anecdote: Lors d'une étape hilarante à Londres, en pleine écriture de son livre sur John Lennon, Bourre fait croire aux médias anglais que des membres de la secte de Charles Manson suivent la tournée anglaise de Rod Steward pour l'enlever et l'échanger contre Charlie toujours en prison, l'effet sera escompté!)

LA FRANCE DES BRAVES GENS
"J'avais besoin de ça, pour me purifier de tous les poisons. Il me fallait revenir en arrière, retrouver cette France perdue - les villages, les grands espaces, le commencement du monde. Les photographies sont en noir et blanc et Lucienne Delyle chante dans le poste TSF. C'est une époque éternelle, puisque ma mère et ma soeur s'y trouvent, et qu'elles ne sont pas mortes. La France est belle, plus lente, elle prend son temps, et il y a moins de monde dans les rues. [...] J'avais besoin de cette France rurale, celle de ma grand-mère, et de mon arrière-grand-mère. La France des braves gens."
Bourre chope une Bernanosragie. Après les trois grands cycles de sa quête de mysticisme et d'absolu, le rock, la route, le rite, c'est le retour à la Terre, la période de l'exode urbain. Direction l'Auvergne, toujours. Malgré la communauté reformée, le destin morose de ses anciens compagnons (mort, prison, alcool) forcera Jean-Paul à dire adieu à son berceau. Toujours sur le terrain du combat, qu'il soit rock, occulte ou militaire, Bourre le reporter se rend au Liban et en Yougoslavie.

LEBANON
"- Ils sont amoraux. Ils s'arrangent au jour le jour, comme le négociant cupide. Ce qui ne les empêche pas de faire des actes de contrition, comme pour le Vietnam. En Europe, le modèle américain est resté intact, dans la musique, les mœurs, les loisirs. J'ai par contre un grand espoir, quand je vois le mouvement de libération des pays de l'Est. Dans ces pays, on se débarrasse de la contrainte des régimes totalitaires. Ils sont décidés à accorder beaucoup plus d'importance aux valeurs humaines, beaucoup plus que les autres Européens qui en profitent, sans connaitre cette grâce de la libération, je dirais cete grâce divine." (GENERAL AOUN)
EX-YOUGOSLAVIE
"Dans l'abri, les Croates rigolent, vérifient leurs armes, évaluent la puissance de feu des Serbes, fument des cigarettes, racontent les jeux de guerre du camp de base. Quand les mecs sont pétés au slivovic, ils viennent à Kuposco provoquer les Serbes. Le jeu est simple. Il consiste à courir jusqu'au virage et à dévaler la pente, face à la colline serbe, en hurlant des insultes. Le type remonte aussitôt, sous une pluie de roquettes. Certains ne sont jamais revenus. Ils finissent de pourrir, en bas, dans le vallon. Criblés de balles, ils servent de cibles d'entraînement aux snipers serbes."

CONCLUSION
"Rencontre avec Michel Desgranges, l'éditeur des "Belles Lettres" [...] Il est l'auteur d'un grand livre nihiliste, injustement méconnu, Je vous hais, véritable grenade quadrillée, épopée urbaine impitoyable, travaillé au vitriol.
Il y a des signes magiques, sur la route du sorcier. Le magazine L'Express révèle qu'un exemplaire de Je vous hais a été trouvé sur la table de chevet de Richard Durn, le tueur de Nanterre, qui a flingué les notables du Conseil municipal. En voilà un qui n'aura pas eu son fort Alamo -, "défenestré" chez les flics, alors qu'il était menotté et sous surveillance. [...] S'il n'y avait pas eu cet "accident" dans le local de la PJ, Durn pouvait devant tout un tribunal faire le procès de la société dite "libérale", repue d'humanisme et de droits de l'homme, qui ose juger au nom de la sacro-sainte administration."
ICI ET MAINTENANT
Banni et lynché pour avoir au-delà du bien, du mal et du politiquement correct, été trop loin dans la transcendance ! Jean-Paul Bourre, à aujourd'hui 63 ans, est toujours là. Ses aspirations évoquées à la fin du livre, d'une vie de famille vraie, au calme, ne l'empêchent pas de continuer ce qu'il a toujours fait. Il a dernièrement publié "Sexe, sang et rock'n'roll", "Johnny Hallyday, confidential" et ce fameux "John Lennon, le Beatle assassiné".
UN LONG ENTRETIEN VIDEO DE 2009, ICI.
Commentaires
1. Le mercredi 15 septembre 2010 à 00:36, par Mouais
2. Le jeudi 14 octobre 2010 à 21:55, par Bruno
3. Le mercredi 9 mars 2011 à 14:19, par Alavilla
4. Le mercredi 9 mars 2011 à 14:39, par Alavilla
5. Le dimanche 29 mai 2011 à 14:14, par steve steve o'beach
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