Fluoglacial - Tendances Négatives

Le Choc du Futur



LA 800EME GÉNÉRATION

" Au cours des trois cents dernières années, la société occidentale a été prise dans un tourbillon de transformations, tourbillon qui, loin de s'apaiser, semble être maintenant en plein regain de puissance. Il se répand sur les pays fortement industrialisés en rafales d'une violence jusqu'ici inconnue et dont la vitesse ne cesse de s'accroître. Une flore sociale des plus curieuses se développe dans son sillage: églises psychédéliques, "universités libres", villes scientifiques dans l'Arctique, clubs d'échanges de femmes en Californie, que sais-je encore.

En outre, il engendre des personnages bizarres, des enfants qui, à douze ans, n'ont plus rien d'enfantin, des hommes de cinquante ans qui se conduisent comme des enfants de douze ans, des riches qui singent la pauvreté, des programmeurs qui s'intoxiquent au L.S.D., des anarchistes qui, sous leur pull sale, sont d'un conformisme navrant, et des conformistes qui, dans leur complet-veston, sont en fait des anarchistes à tout crin. Il existe des prêtres mariés, des pasteurs athées et des juifs adeptes du bouddhisme zen. Nous avons le pop... et l'op... et l'art cinétique... des clubs play-boy, des cinémas pour homosexuels... des amphétamines et des tranquillisants,... la colère, l'abondance et l'oubli. L'oubli surtout.

Est-il possible d'expliquer un spectacle aussi singulier sans avoir recours au jargon de la psychanalyse ou aux clichés abscons de l'existentialisme? De toute évidence, une société nouvelle et étrange est en train d'éclore tumultueusement parmi nous. Existe-t-il un moyen de la comprendre, et d'en contrôler l'évolution ? Comment pouvons-nous nous en accommoder ?

Bien des choses qui semblent actuellement incompréhensibles seraient beaucoup plus claires si nous jetions un regard nouveau sur cette évolution dont le rythme effréné fait parfois ressembler la réalité à un kaléidoscope en folie. Car l'accélération du changement n'a pas pour seul effet de bouleverser nations et industries, c'est une force tangible qui nous atteint au tréfonds de notre vie personnelle, qui nous oblige à jouer de nouveaux rôles, et qui fait peser sur nous la menace d'un malaise psychologique nouveau et redoutable par sa violence. À celui-ci on peut donner le nom de "choc du futur"... "



LA SOCIÉTÉ DU PRÊT-A-JETER

" Le fait que les modes soient dans une large mesure une création artificielle ne fait que confirmer leur importance. Les modes imposées de toute pièce ne datent pas d'aujourd'hui, mais jamais auparavant elles ne s'étaient succédé à la vitesse de l'éclair et jamais il n'y avait eu une coordination aussi parfaite entre les créateurs d'une mode, les mass media prêts à bondir sur elle et les sociétés mises sur pied pour l'exploiter instantanément. L'économie moderne compte désormais parmi ses rouages essentiels une machine bien huilée se consacrant à la création et à la diffusion des modes. Les méthodes en seront progressivement adoptées par d'autres secteurs ayant compris que la rapidité sans cesse accrue des cycles est une évolution inévitable. La ligne de partage entre le "gadget" et le produit ordinaire s'efface peu à peu. Nous entrons à grands pas dans l'ère du produit éphémère, confectionné selon des méthodes éphémères pour répondre à des besoins éphémères.

Les choses défilent dans nos vies à une allure de plus en plus frénétique. Nous sommes assaillis par une marée montante d'articles à jeter, de constructions temporaires, de structures amovibles et modulaires, d'objets à louer et de denrées fabriquées pour une mort quasi instantanée. Tous ces phénomènes exercent des poussées considérables qui débouchent sur un même objectif: la fugacité inéluctable des rapports entre l'homme et les choses. "



LES ORIGINES DE L'HYPER-CHOIX

" Réalisme, expressionnisme, surréalisme, art abstrait, cubisme, pop art, art cinétique et une centaine d'autres styles envahissent en même temps la société: l'un ou l'autre peuvent temporairement prédominer sur les cimaises mais il n'existe aucun critère, aucun style universels. C'est un marché très diversifié. Lorsque l'art était une activité religieuse et tribale, le peintre travaillait pour la communauté toute entière. Par la suite, il a travaillé pour une petite élite aristocratique. Plus tard encore, le public lui est apparu comme une seule masse indifférenciée. Aujourd'hui il a affaire à un vaste public divisé en une multitude de sous-groupes. [...] Bien entendu, les artistes n'essaient plus d'atteindre un public universel. Même lorsqu'ils croient y arriver, ils répondent généralement aux goûts et aux styles de l'un ou l'autre sous-groupe de la société. Tout comme les fabricants de sirop d'érable ou d'automobiles, les artistes, eux aussi, produisent pour des "mini-marchés". Et plus ces marchés se multiplient, plus la création artistique se diversifie. "



LA PROLIFÉRATION DES SECTES

" Les sociétés hautement techniques, au lieu d'être monotones et standardisées, sont ainsi constellées de ce genre de groupuscules hauts en couleur qui rassemblent hippies et pêcheurs à la ligne, théosophes et fanatiques des soucoupes volantes, homosexuels, "ordinatolâtres", végétariens, carrossiers et musulmans noirs. Aujourd'hui, les coups de boutoir de la révolution super-industrielle font littéralement éclater la société. Nous voyons se multiplier ces enclaves sociales, ces tribus et ces mini-sectes au milieu de nous presque aussi vites que les options personnelles. Ces mêmes forces de déstandardisation qui offrent de plus grandes possibilités de choix individuel dans les domaines matériel et culturel, provoquent également la déstandardisation de nos structures sociales. C'est pourquoi nous avons l'impression que de nouvelles sectes comme celles des hippies éclosent en un jour. Nous vivons, en fait, au milieu d'une "explosion de sectes". "



LA GÉNÉRATION DE L'IMMÉDIAT

" Nous assistons à un regain tapageur de mysticisme. [...] On nous dit qu'il est plus important de "sentir" que de "penser", comme s'il y avait une contradiction entre les deux. [...] Ce retour à des attitudes pré-scientifiques s'accompagne, fort naturellement, d'une vague immense de nostalgie. Les meubles anciens, les affiches d'une ère révolue, les jeux basés sur le souvenir de futilités d'hier, la vogue de l'Art Nouveau, la mode des habits romantiques, la redécouverte d'idoles d'antan aussi poussiéreuses qu'Humphrey Bogart ou W.C. Fields, tous ces traits sont le reflet d'une convoitise psychologique pour un passé plus simple et moins turbulent. Les toutes-puissantes usines à gadgets se mettent en branle pour exploiter cette soif: l'industrie du passé monte en flèche.

L'échec de la planification technocratique et le sentiment de perte de contrôle qui en découle alimentent aussi la philosophie de l'"immédiat". Chansons et publicité saluent l'apparition de la génération de l'immédiat, et de savants psychiatres, dissertant sur les dangers présumés de la répression, nous invitent à ne pas remettre nos plaisirs à plus tard. On encourage le défoulement et la quête d'une récompense instantanée. [...] La spontanéité, qui est l'équivalent sur le plan psychologique de l'absence de planification sur le plan social, est érigée en vertu cardinale. "



Photos: "Découvrir la France: Paris", Larousse, 1972.

Livre: Future shock, Alvin Toffler, 1970.

Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

1. Le mercredi 11 mai 2011 à 14:25, par Depardon ou trois ?

Les photos sont plus pertinentes que le texte. Les sectes, oui et alors ? On ne voit pas ou est la problématique que Toffler tente de développer.

2. Le mercredi 11 mai 2011 à 16:17, par Alvin


Prolifération des sectes x multiplication des communautés = fractionnement de la société = replis = mort

3. Le dimanche 15 mai 2011 à 21:14, par J

c'est ca

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.