Fluoglacial - Tendances Négatives

Spike Lee (1986-1998) : Puissance des Noirs



Non à la demi-marche. En 20 ans de cinoche, Spike Lee le politiquement incorrect aura bien su mené sa barque. Malgré quelques coups de fringale, il a maintenu un niveau correct dans l'humour et les sujets qui font mal tout au long de la décennie 90, celle qui l'a sacré premier porte-parole de la noirance américaine. Cette sélection concerne 9 films aux héros 100% noirs (si tu en veux 12 de plus, clique clique là). Il y a les bons racistes et les mauvais racistes. En appelant un chat un chat, Spike Lee fait clairement partie de la première catégorie. Tout ce que sa communauté mange au long de sa filmographie l'appuie. Allez, vous me mettrez 40 hectares et une mule.


SHE'S GOTTA HAVE IT (1986)



Spike Lee a été bien éduqué. Il fait ses débuts de réalisateur dans une prestigieuse faculté. Plusieurs essais dont le JOE'S BED-STUY BARBERSHOP en 1983 le forgent. Il change de braquet et, ses études finies, publie son premier film 3 ans après. Nola Darling n'en fait qu'à sa tête. Une jeune artiste indépendante new-yorkaise jongle entre 3 petits amis qui sont au courant de la concurrence (la scène du repas à 4 est pimentée). Jamie, le brave type, courageux et amoureux. Greer, le sportif, riche et maniéré. Et Mars Blackmon (Spike Lee), la petite fouine de Brooklyn, toujours à marchander et déconner. Parfois prétentieux (noir & blanc + monologues nouvelle vague), ça reste un original état des lieux des rapports sentimentaux (et sexuels) de cette jeunesse afro-américaine du milieu des années 80. C'est souvent drôle (merci Mars), et Spike Lee a le même vélo que Fishburne dans QUICKSILVER. La comédie sérieuse, style de prédilection de Lee, s'établit ici.



SCHOOL DAZE (1988)



C'est le temps de retourner au collège. Au cœur de ce film d'adulescents, deux visions du cheminement universitaire s'affrontent. L'une représentée par Laurence Fishburne, prônant la quête du savoir et le rester noir, africanisme et compagnie. L'autre dirigée par le génial Giancarlo Esposito, le boss des Gamma Iphi Gamma, respectant la tradition des confréries grecques, bouffonnerie et tirage sur l'élastique. Le bleu Spike Lee fera tout (vraiment tout) pour se faire accepter par les Gammas jusqu'à une cérémonie finale de dépucelage hilarante. Malgré les passages "comédie musicale" légèrement bidons, on se met bien. Une bande son pleine de rythme, des personnages forts en gueule, des filles blanchies, un climat sexuel. L'univers 2 en 1 léger et social de Spike Lee commence à jizzer à l'écran avant le feu d'artifice de son prochain métrage. Et le monde découvre Samuel L. Jackson le bad man.



DO THE RIGHT THING (1989)



Le meilleur, sans aucune hésitation. Je ne m'attarde pas sur le scénario, here we go yo here we go yo, mais plutôt sur la réédition qui vient de sortir fêtant le 20ème anniversaire du film sorti en juin 1989, et tourné pendant le très chaud été 88. Inspiré de la ratonnade d'Howard Beach, où une dizaine d'italiens avaient savaté trois noirs tombés en panne dans le coin, Spike Lee touche à plein de sujets chauds du New-York de l'époque contrôlé par Ed Koch (racisme, interracialité, brutalités policières, boulot...). Et tout ça avec un style zulu incroyable et un humour au top, jamais tu n'as ressenti une telle chaleur te pénétrer qu'en regardant ce film. Les personnages sont géniaux, en particulier Buggin Out, Radio Raheem, Mister Señor Love Daddy et Sweet Dick Willie. Ce ne sont clairement pas les noirs d'Hollywood. PUBLIC ENEMY et Nike Air's s'entrelacent dans un Brooklyn magique.



Le making-of d'une heure est très instructif. Diffusé à la télé en 89, il montre comment l'occupation du quartier dit craignos de Bedford-Stuyvesant a été vécu de l'intérieur. Interviews des locaux, des techniciens, des acteurs, etc. C'est très complet et le son de cloche est rarement le même. Behind the scenes rentre dans l'intimité des acteurs et la préparation de leurs rôles. Beaucoup de rigolade, comme lorsque Spike Lee, à la block party finale, reçoit de la part de l'équipe un maillot de Larry Bird en cadeau ! La conférence de presse à Cannes (45mn) est assez surréaliste. Spike en t-shirt X'é répond aux journalistes blancs un à un en enfonçant le clou à chaque fois. "Pourquoi vous ne parlez pas de la drogue ?", "Vous pensez que ça va péter à NY ?", "Pourquoi citer Malcolm X et pas Luther King ?", etc etc. On trouve aussi 11 deleted scenes, sans vraiment d'intérêt, et puis une rétrospective 20 ans après avec les participants directs au film. Chope donc ça.



MO' BETTER BLUES (1990)



En 1988, Clint Eastwood tourne BIRD, sur la vie de Charlie Parker. Spike Lee, sans doute vexé qu'un blanc ait tourné le meilleur film sur le jazz, choisit l'épopée d'un quintette jazz comme trame. Ce sera bien moins réussi, et les 2 resteront ennemis à vie. Embrouille ravivée dernièrement lorsque Lee reprocha à Eastwood de n'avoir mis aucun noir dans FLAGS OF OUR FATHERS. Bref. C'est l'occase d'y voir un Denzel Washington (Bleek) en pleine confiance à l'aube des 90's, et un Wesley Snipes (Shadow), démon au saxophone. Toujours sexuel, Bleek qui se tape 2 meufs s'en fera piquer une par Shadow, qui montera ensuite son propre groupe dans le dos du trompettiste. Après un baston causé par les mauvaises fréquentations de leur manager bidon (Spike Lee), Bleek défiguré traversera son désert, puis tout rentrera dans l'ordre dans une fin chamallow en forme de mariage. Mouais. Fadasse tout ça.




JUNGLE FEVER (1991)



La fièvre de la jungle c'est quand un noir sexe une blanche, ou inversement. Ce film aux allures inoffensives renoue avec le verbe acéré et le racisme latent de DO THE RIGHT THING. Spike Lee gueule toujours ce que les new-yorkais chuchotent. Flipper (Wesley Snipes) est un honnête père de famille, architecte, réussite totale pour ce troisième homme, noir, dans un cabinet 100% blanc. Mais lorsque Angie (Annabella Sciorra), la nouvelle secrétaire débarque, son slip se tend. Pris de fièvre un soir d'heures supp, il la prend façon jungle sur le bureau. Aïe.

Il se confie, confiant, à son meilleur ami et voisin, Cyrus (Spike Lee), mais dès le lendemain, sa femme (mulâtresse traumatisée) en furie, le fout dehors. Traître. Pareil pour la belle italienne, qui se fait chasser à coups de poings du domicile familial par le padre. Au fur et à mesure, la température baissera entre les deux amants... et tout redeviendra presque comme avant... Samuel L. Jackson en crackhead, Hale Berry en pute camée, John Turturro en épicier attardé, Anthony Quinn en vieux rital obtus, Stevie Wonder à la musique... Spike Lee n'a pas lésiné sur le casting, ni sur les dialogues provocants, et le résultat est chouette.



MALCOLM X (1992)



Biopic de plus de 3 heures, adapté de l'autobiographie du leader nationaliste noir, le travail est fait dans le moindre détail. C'est Denzel Washington qui incarne le célèbre Malcolm Little, pour un de ses rôles les plus marquants. Bon, c'est long. Le début du film est un peu pénible et fait parodie de film mafia. Il recouvre l'existence malsaine et blanchie de Malcolm dans ses jeunes années, avant sa détention et sa découverte de l'Islam. Il se fera coffrer avec son compagnon de cambriole Shorty (Spike Lee) et leurs 2 compagnes blanches, accusées de traîtrise ! Le meurtre de son père lorsqu'il était enfant, tué par des Klansmen, ne semble pas avoir été déclencheur de sa foi, mais c'est sa rencontre avec le frère Baines en prison qui le fera prendre conscience des problèmes de son peuple.

Lorsqu'il sort, il devient très vite le bras droit d'Elijah Muhammad, le patron de la Nation of Islam, grâce à la théâtralité de ses discours acclamés par la foule. Après un long voyage en Égypte et son pèlerinage à la Mecque, X reviendra transformé, et modèrera ses prises de positions sur l'apartheid et ses menaces envers la communauté blanche, privilégiant une alliance pour la paix entre ses frères. Mais c'est trop tard, l'homme libre devient vite gênant pour l'organisation et attire toute l'attention des médias. Sa déclaration de basse-cour suite à l'assassinat de JFK ne fera que l'enfoncer. Le 12 novembre 1965, Malcolm X meurt après avoir reçu 18 balles dans le corps. Attentat signé par ses anciens alliés de la N.O.I., sans doute appuyés par d'autres forces blanches américaines... Un film puissant.



CROOKLYN (1994)



Après cette première salve de films relativement vindicatifs, voire racistes (pour la bonne cause ?), Spike Lee se laisse gagner par la nostalgie et nous conte les joies et les peines d'une famille Brooklynite des années 70. Il n'oublie pas son patelin. Éducation stricte, père musicien (Delroy Lindo), mère au foyer (Alfre Woodward) et la petite Troy au milieu de ses 4 frères. Les samedis matins devant Soul Train, les repas mouvementés, les vacances chez l'Oncle de province, les déambulations dans la cage d'escalier et le quartier, le divertissement, le grandissement... puis la rupture, les ennuis, le père éloigné. Avec une superbe bande son soul 70's, Spike Lee nous fait revivre une part de son enfance. C'est pas géant mais émouvant. (Les rappeurs BUCKSHOT et MASTA ACE l'ont immortalisé avec leur duo CROOKLYN DODGERS)



CLOCKERS (1995)



Spikie se lance dans l'aventure policière spectacle. Toujours sur les pas de Scorsese, il lui emprunte donc son acteur fétiche, Harvey Keitel, et blanchit légèrement son casting de tête, en mettant John Turturro en coéquipier. C'est à la base un roman de Richard Price, et ceux qui l'ont lu affirment que Lee a complètement enculé le scripte. Le mystérieux a dû être perdu au profit de l'action hollywoodienne. Mekhi Phifer est un jeune décrocheur qui vit de la drogue au milieu des projets. Il occupe son temps à tenir les bancs du square avec ses potes défoncés (dont Sticky Fingaz et Fredro Starr d'ONYX) tout en surveillant la présence des képis et le flux des consommateurs. Le pousseur est sous le tutorat de Delroy Lindo, le taulier du district. Mais lorsque son frère est mis au trou pour couvrir une sombre affaire de meurtre, tout se barre en couilles dans la cité. 1995, l'année rap, la bande son est encore tonitruante et c'est O.C., JERU THE DAMAJA et CHUBB ROCK qui en parlent le mieux : Return of the CROOKLYN DODGERS.



HE GOT GAME (1998)



C'est au milieu des 90's que Spike Lee va se lancer plus concrètement dans le documentaire. 4 LITTLE GIRLS sort en 1997 et revient sur l'attentat d'une église afro-américaine d'Alabama en 1963. Je passe l'horrible GIRL 6 et le road-movie GET ON THE BUS pour filer au panier. Jesus a envoyé sa femme au cimetière après une anicroche à la maison. Bible revisitée. Denzel Washington a encore le droit à un rôle où la performance est obligatoire. Il a élevé et entraîné son fils pour qu'il soit le meilleur, et ça a marché. Sauf que Jesus est toujours derrière les barreaux et a seulement vent des exploits de Jake (Ray Allen, le vrai) de l'extérieur. Le directeur de la zonze lui propose un deal simple, s'il arrive à convaincre son fils de signer un contrat avec l'université de Big State qui appartient à son pote gouverneur, Jesus est libre.

Dur. Surtout que le fiston a de tout autres projets. Mais le combat le plus dur sera de regagner le respect de son fils, pour reprendre son statut de patron comme autrefois. Parfois un peu lourd, ça reste un bon film. B.O. de PUBLIC ENEMY comme en 89. Si t'aimes la pression, le basket, le rap et les jolies filles (Milla Johovich, Rosario Dawson), c'est encore mieux. Par contre en 98, les Air Jordan c'est plus ce que c'était en 89. Ce film clôt 12 ans de puissance des noirs au cinéma, et ferme la parenthèse de la Nouvelle Blaxploitation que j'avais déjà évoqué précédemment, conclue elle aussi par un excellent film de basket, SOUL IN THE HOLE.




En 1999, le premier héros blanc d'un film de Spike Lee sera interprété par Adrian Brody, dans le superbe SUMMER OF SAM. Été 1977. Un tueur fou terrorise la population. L'avènement du punk prend place à Manhattan. Les guidos jouent avec leurs battes, et c'est pas au baseball (John Joseph parle très bien de ces italiens que personne piffrait à NY dans son INDISPENSABLE LIVRE). Un classique à voir. Puis en 2002, ce sera autour d'Edward Norton de starifier le somptueux THE 25TH HOUR. Identitairement fort une fois de plus, un immigré irlandais passe sa dernière journée avant de purger une peine de 7 ans de prison. Un film rongé par l'angoisse. Depuis la fin des années 90, le négrito se spécialise dans le documentaire et le film TV. INSIDE MAN (2006) marque un retour bluffant au plus haut niveau dans les salles. Une suite est d'ailleurs en cours. Regarde dehors.


Trackbacks

Aucun trackback.

Les trackbacks pour ce billet sont fermés.

Commentaires

Aucun commentaire pour le moment.

Ajouter un commentaire

Les commentaires pour ce billet sont fermés.