Fluoglacial - Tendances Négatives

L'homme-serpent.



"Ce pays est dur aux hommes, bien dur. Huit miles de leur sueur arrachés à la terre du Seigneur, là où le Seigneur lui-même leur avait dit de la faire couler. Dans ce monde de péché, les hommes honnêtes et travailleurs ne peuvent pas profiter. C'est ceux qui possèdent des magasins dans les villes qui, sans sueur, vivent de ceux qui suent. C'est pas le travailleur, le paysan. Des fois, je me demande pourquoi nous continuons. C'est à cause de la récompense qui nous attend là-haut, là où ils ne peuvent pas emmener leurs autos ni le reste. Tout le monde sera égal, là-haut, et le Seigneur prendra à ceux qui ont, pour donner à ceux qui n'ont pas. Mais ce n'est pas encore pour tout de suite, à ce que je crois. Ça n'est pas juste qu'un homme ait à gagner la récompense de sa bonne conduite en se bafouant, lui et ses morts."

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Parfaits comme des Machines.



"RÉJOUISSEZ- VOUS

car, à partir d’aujourd’hui, vous êtes parfaits. Jusqu’à ce jour, vos enfants, les machines, étaient plus parfaits que vous.
Chaque étincelle d’une dynamo est une étincelle de la raison pure, chaque mouvement du piston est un syllogisme irréprochable. La même raison infaillible n‘est-elle pas en vous ?
La philosophie des grues, des pompes et des presses est claire et finie comme un cercle. Votre philosophie est-elle moins circulaire ?
La beauté d’un mécanisme réside dans son rythme précis et toujours égal, pareil à celui d’une pendule. Mais vous, qui avez été nourris dès votre enfance du système Taylor, n’avez-vous pas la précision du pendule ?
Seulement, le mécanisme n’a pas d’imagination. Avez-vous jamais vu un sourire rêveur recouvrir le cylindre d’une pompe pendant son travail ? Avez-vous jamais entendu les grues soupirer et se plaindre pendant les heures destinées au repos ?

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Le Blog du Bunker



"Ça fait cinquante ans que j'en chie Cité Lenine, entre le Leader Price et le Bricorama. Les coups, les vols, les insultes. La peur, la honte... Pour moi, c'est fini le Auschwitz light, à quatre pattes en jogging rayé, entre deux rangs de waffen-racailles... L'heure de la révolte a sonné. Je me construis mon bunker et la contre-attaque va commencer... Mieux vaut mourir les armes à la main, que se faire flinguer connement pour une Playstation en panne ! Maintenant la Playstation, c'est moi qui joue dedans. C'est moi le super-héros qui mitraille les méchants dans les dédales de ciment. Je vais passer au lance-flammes ce putain de quartier !"

"Mais je sais pas pourquoi... Hier, j'écoutais France-Info.. J'ai entendu "bombe en Irak", et ça a fait boum dans ma tête. C'est comme si ma tête était la bombe. La haine est montée. Une putain de haine qui fait bander. Mais t'as pas envie de baiser, t'as envie de tuer. D'un coup, J'ai, à cinquante ans, le désir de défoncer un crâne, comme à douze ans j'avais celui de défoncer un cul. C'est vous dire la puissance du truc ! Comme je me suis branlé, dix fois par jour, va falloir que je tue !"

"Je me demande combien faut tuer de gens, et avec quel niveau de sadisme, pour qu'on te prenne au sérieux ? Tu fais le truc le plus crado de la terre, je sais pas moi... Par exemple, tu brûles une nana, les tétons, la chatte, l'anus, tout doucement, avec des petits bouts de PQ imbibés d'essence, pour qu'elle souffre un max... Et ben, une socialo se pointe à la télé pour te refuser l'auréole du Diable, et te traiter de pauvre petit bicot exploité ! Je comprends que la racaille ait la rage et fasse de la surenchère, si on reconnaît même pas ses crimes. En plus, y a la concurrence. Y aura toujours un plus méchant que toi qui fera pire. Ou bien Bush et Ben qui pètent les plombs, et tout le journal de 20 heures est pour eux, et rien sur toi. Et même si les médias parlent de toi, parce qu'il y avait rien d'autre comme gros crime ce jour là, ils te font passer pour un "forcené". Un taré quoi !"

Un bunker en banlieue, Jean-Louis Costes, 2008.

Détruire l'Art !



"L’envie, une envie furieuse, s’était emparée de Tchartkov. Dès qu’il voyait une œuvre marquée au sceau du talent, le fiel lui montait au visage, il grinçait des dents et la dévorait d’un œil de basilic. Le projet le plus satanique qu’homme ait jamais conçu germa en son âme, et bientôt il l’exécuta avec une ardeur effroyable. Il se mit à acheter tout ce que l’art produisait de plus achevé. Quand il avait payé très cher un tableau, il l’apportait précautionneusement chez lui et se jetait dessus comme un tigre pour le lacérer, le mettre en pièces, le piétiner en riant de plaisir.

Les grandes richesses qu’il avait amassées lui permettaient de satisfaire son infernale manie. Il ouvrit tous ses coffres, éventra tous ses sacs d’or. Jamais aucun monstre d’ignorance n’avait détruit autant de merveilles que ce féroce vengeur. Dès qu’il apparaissait à une vente publique, chacun désespérait de pouvoir acquérir la moindre œuvre d’art. Le ciel en courroux semblait avoir envoyé ce terrible fléau à l’univers dans le dessein de lui enlever toute beauté. Cette monstrueuse passion se reflétait en traits atroces sur son visage toujours empreint de fiel et de malédiction. Il semblait incarner l’épouvantable démon imaginé par Pouchkine. Sa bouche ne proférait que des paroles empoisonnées, que d’éternels anathèmes. Il faisait aux passants l’effet d’une harpie : du plus loin qu’ils l’apercevaient ses amis eux-mêmes évitaient une rencontre qui, à les entendre, eût empoisonné toute leur journée."

Le portrait, Nicolas Gogol, 1843.

Le Monde qui fait le Malin



"Aussitôt après nous commence le monde que nous avons nommé, que nous ne cesserons pas de nommer le monde moderne. Le monde qui fait le malin. Le monde des intelligents, des avancés, de ceux qui savent, de ceux à qui on n’en remontre pas, de ceux à qui on n’en fait pas accroire. Le monde de ceux à qui on n’a plus rien à apprendre. Le monde de ceux qui font le malin. Le monde de ceux qui ne sont pas des dupes, des imbéciles. Comme nous. C’est-à-dire : le monde de ceux qui ne croient à rien, pas même à l’athéisme, qui ne se dévouent, qui ne se sacrifient à rien. Exactement : le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et qui s’en vantent.

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Nous les cherchons toujours...



"- Mais regardez-les donc, ils tremblent pour leurs économies. Ça n'est pas possible, il doit y avoir autre chose dans ce pays que cette affreuse passion pour l'argent, balzacienne, démodée, odieuse, grandiloquente.
Mais où trouver la nouveauté et des hommes dans ce pays devenu le banquier du monde? En France, l'officialité et la légalité revêtent et engoncent toutes les formes de la vie. Joli costume des académiciens. L'instruction obligatoire aboutit au plus bel élagage de la personnalité. On enseigne le conformisme aux enfants. On leur inculque le respect du formalisme. Bon ton, bon goût, savoir-vivre. La vie de la famille française se passe en cérémonies solennellement ridicules et vieillottes. L'ennui est le seul prodige. La seule ambition d'un adolescent est de devenir rapidement fonctionnaire, comme son père. Notariat, pompes funèbres, tradition.

Napoléon a peuplé Paris d'effigies. Pâle allégorie, le Louvre apparaît certains jours transparent et bleuté comme un immense billet de banque et, comme le papier monnaie qui ne correspond plus à rien quand le trésor de l'État est épuisé, le Louvre vidé de ses rois, la France sans ses anciennes provinces, le citoyen français tiré en série sur les Déclarations des droits de l'homme comme les assignats sur la planche n'ont plus cours et ne valent rien. Inflation sentimentale. Si en 1912, le monde entier désirait encore de cette valeur, France, c'est que chacun voulait posséder une vignette, un cliché, une petite femme, la grue, Paris, d'où faillite de la Troisième République qui crève de mettre continuellement au monde une Sarah Bernhardt, une Cécile Sorel, une Rirette Maitrejean et, plus tard, la mère Caillaux. Et pas un homme, pas un homme.
Mais où était donc l'or de la France, la nouveauté, les hommes nouveaux ?
Instinctivement, nous les cherchions."

Moravagine, Blaise Cendrars, 1926.

L'amour, la femme, le masochisme.



"Maintenant, je comprends que le Marquis de Sade était innocent. Le plus grand malheur qui puisse arriver à un homme, et ce n'est pas tant un désastre moral qu'un signe de vieillesse prématurée, c'est de prendre une femme au sérieux. La femme est un joujou. Tout être intellectuel - l'intelligence est un jeu, n'est-ce pas, un jeu désintéressé, c'est-à-dire divin - tout être intellectuel a le devoir de lui ouvrir le ventre pour voir ce qu'il y a dedans, et s'il y trouve un enfant, n'est-ce pas, ça c'est triché !"

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Ernest Hello nous toise d'en haut...



"Combien d'hommes sont insensibles à la Beauté, à l'Art et au Génie, et rêvent, au milieu des splendeurs, d'aller se rouler dans cette belle boue! L'immonde leur manque; ils ont la nostalgie de la fange. Aussi, des écrivains d'un incontestable génie comme, par exemple, en France, Victor Hugo et bien d'autres, hélas! ont-ils jugé bon de mettre beaucoup de boue dans leurs oeuvres, et de capter par là l'enthousiasme et la fidélité des viles multitudes. De Maistre, de Bonald, Hello n'ont pas mis de boue: ils ne seront jamais populaires. La foule les fuira; et ils ne seront fréquentés de siècle en siècle que par l'élite de l'esprit humain." Henri Lasserre.

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un Fataliste



"J'étais prêt à aimer le monde entier; personne ne me comprenait et j'appris à haïr. Ma jeunesse incolore s'épuisa dans mes luttes contre moi-même et contre le monde entier. Craignant les railleries, j'enterrai au fond de mon cœur mes meilleurs sentiments : ils y sont morts. Je disais la vérité et on ne me croyait pas; alors je me mis à mentir. Ayant appris à bien connaitre le monde et tous ses ressorts, je devins habile dans l'art de la vie, mais je voyais les autres heureux sans art aucun, profitant gratuitement de ces avantages pour lesquels je combattais sans cesse. Et alors le désespoir envahit mon âme; non pas ce désespoir auquel remédie le canon d'un pistolet, mais ce désespoir glacé, impuissant, que masquent l'amabilité et le sourire agréable. Je devins un malade moral : toute une moité de mon âme n'existait plus; elle s'était desséchée, elle était morte; je la coupai, je la jetai."

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Plutôt la mort que la souillure !



"Jean marchait ; les clichés du media d'État repassaient dans sa tête, et il savait que le matériau du spectacle, c'était des hommes, c'était des femmes, dont on avait volé la substance pour la réduire à des images.
Sur le grand boulevard, Jean s'arrêta devant un kiosque à journaux. Les mêmes photos toujours, guerres, politiciens, cataclysmes, meurtres et en prime, blafardes, d'innombrables revues de cul proposant des putes dénudées en quadrichromie, seins aguicheurs, fesses racoleuses, désormais concurrencées par les revues pédés avec culturistes en slip de cuir noir à la une. "Achetez et branlez-vous!" criait la section imprimée de la civilisation de l'image ; Jean se détourna et reprit sa marche, accompagné de toujours plus d'images, images de film, de télé, de papier, images sonores des radios, images des magazines au texte écrasé par le graphisme lus à Beaubourg, images des bédés-pour-adultes - sexe et violence - parcourues au Bazar de la culture assis par terre le dos à un comptoir, et des romans américains où chaque ligne se voulait une image... Dans ce flot ininterrompu d'images que le monde crachait sur lui, jamais Jean ne trouvait une pensée, une réflexion, ni la marque de ce qu'avait été l'homme jadis, jadis - peut-être.
À ce flot ne pouvait s'opposer qu'un mot - détruire, et ce verbe avait pour Jean un goût de serment.

Place de la Bourse, devant le sanctuaire clos de la spéculation, Jean vit de nouveau des pigeons mutilés. Dans l'exaltation de sa marche, il rendit conquérante la gangrène, la lança à l'attaque des compagnons choyés des citadins, ces tristes fauves domestiqués pour une assiettée de pâtée usinée, et licenciés sans indemnité au 31 juillet... Sur les chaussées, des chats rampaient sur des trognons de pattes purulents, des chiens gisaient sur le flanc, le ventre hideusement ouvert pour qu'y festoyât la vermine, puis le mal gagnait l'arrogant animal supérieur. Enfin, l'Homme occidental voyait, sentait, humait son corps réduit à une abjecte sanie qui n'était que le reflet fidèle de ses actes, enfin, l'Homme était dévoré par le maître qu'il avait engendré, lien unique des images qui obsédaient Jean, axe suprême de la Civilisation, dont les noms multiples étaient pourriture, corruption, décomposition - mais qui toujours s'épelait : société.
Jean sourit. Tous étaient condamnés, et lui-même n'échapperait pas. Il n'était pas innocent. Personne n'était innocent. Personne ne serait sauvé.

"Il est vrai que l'anarchie m'a tenté, elle a l'attrait d'un paradis perdu, mais je dois la rejeter, elle n'est qu'une utopie... Et je ne peux pas plus accepter une société qui écrase les humbles et exalte les débrouillards les plus cyniques, une société qui a établi un modèle de citoyen et étouffe tout individu qui ose penser différemment... Et il est interdit de vivre seul, vous nous poursuivez de vos lois, de votre conformisme, de votre autorité, il n'existe nul endroit où se cacher...
"Mais votre crime est plus grand encore... Cet ordre que vous nous imposez, si au moins il reposait sur une conviction, une volonté, un espoir - mais vous ne croyez en rien, vous ne connaissez d'autre fin que perpétuer vos misérables existences, avec son cortège de privilèges risibles et de malversations grossières. Il n'y a rien en vous qui vous dépasse et pourrait élever ceux que vos dominez, vous n'êtes que mensonge, médiocrité, bassesse - où aurais-je pu trouver la force de ne pas vous haïr ?"

Je vous hais, Michel Desgranges, 1999.