Fluoglacial - Tendances Négatives

Art Morbide ? Morbid Art, Alain Leduc, 2004.


[Christ Suffers Under the Swastika, John Heartfield, 1933]


VIVE LA MORT !

"Quand je vois que les jeunes sont en train de perdre les vieilles valeurs populaires et d'absorber les nouveaux modèles imposés par le capitalisme, en courant le risque de se déshumaniser et d'être en proie à une forme d'abominable aphasie, à une brutale absence de capacité critique, à une factieuse passivité, je me souviens que telles étaient les caractéristiques des SS et je vois s'étendre sur nos cités l'ombre horrible de la croix gammée." Pier Paolo Pasolini, 1974.



[Deatho Knocko, Gilbert & George, 1982]


DOMINANTS ET DOMINÉS

Il y a peu de bonheur chez les artistes, qui doivent jouer des coudes, marcher sur le cadavre des autres pour arriver. Un milieu majoritairement blasé, faisandé, que cimentent la jalousie et la hargne, et dont l'égoïsme a de surcroît été renforcé ces dernières années par l'effondrement des valeurs laïques et républicaines. Si l'ont vient encore, le cas échéant, apporter son soutien occasionnellement au mouvement social, en tant que "vedettes", préférant des prises de positions vagues, verbeuses, "droits-de-l'hommistes", on bichonne néanmoins en parfait boutiquier sa "petite entreprise".

Mais déjà dans L'Oeuvre de Zola, tout avait été dit. L'opportunisme, ces façons de véhiculer un certain charlatanisme... Que le vent tourne et les "installateurs", les "photographes plasticiens" iront chercher leur pitance ailleurs. On est son propre maître, mais aussi son propre esclave, dans ce jeu à qui-perd-gagne de la servitude volontaire.




[Zygotic Acceleration, Jake & Dinos Chapman, 1995]


UN ART OFFICIEL

"La condition suprême pour créer c'est de ne pas pouvoir être publié. Rien n'est plus stimulant que d'être ostracisé pour quelques décennies. La littérature est un processus qui a besoin de temps, de liberté, d'indépendance. La reconnaissance, c'est la fin de l'écrivain." Imre Kertész

Démiurge ou bouffon, l'artiste émarge chez les princes ou piétine sous le pont-levis; il a un petit parc étroit, dans lequel l'autorité le laisse faire joujou, dès lors que cela ne l'égratigne pas. Mais dira-t-on à sa décharge : qui donc peut-il encore être subversif, aujourd'hui ? Maintenant, nous en sommes au clin d'œil appuyé, à l'œillade sardonique, au superfétatoire ; il faut exploiter un filon, un "truc", une "idée". Un simple "évènement" sera le spectacle hystérique de son propre spectacle.

L'apothéose du divertissement pascalien, du soma! l'art est létal - à l'étalage ! Il en est à la création d'events - vite éventés -, de "performances" ou de "dispositifs". [...] Depuis que les ateliers sont des workshops, les galeries des white cubes, tout était limpide: et les artistes déjà défaits. Qu'ils ouvrent donc désormais des show rooms et participent à des talk shows!



[VB47, Vanessa Beecroft, 2001]


L'art contemporain (du moins celui qu'on nous impose comme tel) n'a plus ni racines ni assises populaires et sociales. Il nous est - au nom du syndrome de Van Gogh, de Modigliani, ou de Basquiat -, donné à consommer sous forme d'une vérité imposée, une et indivisible. Tout ce qui n'est pas avec nous est contre nous. [...] Or l'art contemporain n'est pas un bloc. Il ne doit pas être adulé, ni vilipendé globalement. Il faut conserver un potentiel de discernement, comprendre cette hantise de ce qui est réfléchi, pluraliste.

En 1936, Goebbels fit interdire la critique d'art, en raison de ses aspects "typiquement juifs" : placer la tête plus haut que le cœur, l'individu avant la communauté, l'intellect avant le sentiment. Il se peut que je me trompe mais force m'est de constater que les attaques conjuguées contre l'art actuel visent plutôt son socle, la modernité.




[Les Somnambules, Alain Séchas, 2002]


UN CORPS-MARCHANDISE

Une économie de la survie, de la subvention, qui l'assujettit à produire un art contrit, formaté, normatif, sans aucune insolence, pour telle ou telle galerie (momentanément) branchée. L'artiste doit à tout prix dénoncer cette pensée molle, l'hyperfestif, le dérisoire ; fuir la démagogie du "succès populaire", de l'audience, de l'audimat.[...] Il faut cesser de désacraliser l'art, de le jeter dans la rue, dans la crotte ! L'art ne se singe pas, ne s'improvise pas. On ne se décrète pas artiste, on le devient.



[In Nomine Patris, Damien Hirst, 2005]


JAMBON PURÉE

"L'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art". Robert Filliou

Futiles, ridiculement grimés dans leur paraître, les "bobos", ces "bourgeois bohèmes", sniffent comme coco l'impuissance, le renoncement. En lieu et place du beau, du sublime, ils goûtent le presque-rien des formes volontairement sans grâce, sans aucune magie. Un flux de médiocrité taraude la société toute entière qui a sombré corps et âme dans le populisme.



[L'Ange de la Métamorphose, Jan Fabre, 2008]


La croissance exponentielle de la Bande dessinée, des tags, des jeux électroniques, des jeux vidéos a sciemment contribué à brouillé les pistes, à transformer l'art en communication ou en "pub'".

L'art contemporain n'a rien d'autonome ; il est essentiellement déterminé par le marché, lui même cautionné par l'institution, chacun jouant au plus régulé son rôle. L'artiste ne défend pas une classe sociale, mais une situation sociale. Selon le bon mot de Philippe Sollers, la lutte des places aura remplacé la lutte des classes.

La Rue braquée sur le Temple.



La souffrance dans mon corps était terrible, le froid, la peur, la crainte, la haine, le manque... je voulais tous les tuer. Je n'étais qu'à quelques kilomètres de mon appartement quand j'ai dû grimper sur ce portail en fer forgé pour échapper à une voiture de police qui venait dans ma direction. Mais au moment de passer derrière cet obstacle, en me laissant retomber ma cuisse s'est empalée sur la pointe du portail, et je suis resté là, suspendu de cette façon dans le vide, la tête en bas.

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C'est dans cet esprit que commence le témoignage autobiographique de René Philipps, ex-guitariste des NO FUCK BÉBÉ, gloire punk rock éphémère de Montbéliard dans les années 80. Chasse à l'homme dans les cités HLM de Peugeot, 3x8, défonce, et le rock comme seule échappatoire. LA ZONE. Le groupe n'avait rien enregistré à l'époque mais est resté célèbre pour leur passage dans l'émission LES ENFANTS DU ROCK en 1982. Plus que de la musique, une attitude. L'accent et le bagout de Jimmy (le batteur) made in le Doubs font carrément la différence.



Sur son CV il n'y avait qu'un mot d'écrit "Punk", et il avait la gueule de l'emploi. Si tu te trouvais à côté de lui dans sa Renault turbo, tu te chiais dessus tellement sa conduite était hard-core, toujours un litron entre les jambes, une main sur le volant et l'autre dans l'air comme s'il fouettait un cheval, la sono à fond et reprenant en chœur les standards des Ramones, qu'est ce qu'il m'a fait flipper. La première fois qu'il m'a présenté à sa mère il lui a dit : Maman ! Je t'amène un bougnoul, ça, c'était Chamex.



Le premier tiers du livre est donc fourni en anecdotes délicieuses (agrémentées de photos d'Alain Dister), dont leur rencontre rocambolesque avec La Souris Déglinguée et la crise de leur manager alors qu'ils gueulaient "On roule sans assurance, ça n'a pas d'importance" vu que c'était vrai ! Puis, la drogue et la violence emportant tout sur leurs passages, c'est le moment que choisit René pour se tourner vers la religion, à la fin des années 80. On suit alors le parcours initiatique d'un nouveau dévot du Christ, qui se libère difficilement de ses démons et réalise la rigidité de l'Église.



Avec le Christ tu n'auras aucune mauvaise surprise et ça je peux te l'affirmer.

Au fil d'extraits de psaumes, René le bac-5 tente de nous faire partager son amour pour Jésus à travers ses révélations et ses miracles. Bon c'est pas du Léon Bloy. Je ne m'attendais pas à ça, mais, même si certains passages sont pénibles voire risibles, ça prouve qu'il y a finalement un futur pour les no future ! Pour reprendre l'expérience similaire de Patrick Fontaine, ex-punk devenu pasteur. Sans nostalgie, sans étaler son passé, le punkotiste publie un livre salutaire en apportant sa vision de la chose, différente et inattendue.



Nous, nous voulions tout faire sauter, nous vivions dans nos ghettos HLM, ayant pour la plupart d'entre nous le même avenir que nos parents. Le travail à la chaîne dans l'industrie automobile, moi-même j'y travaillais déjà. [...] Payant le prix fort par nos vies, livrant notre jeunesse sacrifiée sur l'autel de cette idée nommée le "Punk". On nous surnommait quelques fois les Sex Pistols français, on commençait à être interdit de concert : scandales, provoc, bastons... [...] Les No Fuck incarnaient un état d'esprit, nous étions membres d'une bande d'individus, plus étendue au sens large du terme, nous formions un gang. Une tribu issu d'un territoire géographique qui était un no man's land dangereux pour ceux qui ne nous ressemblaient pas. [...] Nous faisions de la résistance, bien plus encore, c'était de la survie, notre combat rock. [...] La culture "Kpon" n'a fait que passer, mais a tout explosé devant elle. J'ai mis des années à m'en remettre mais je ne regrette rien.


NO FUCK BÉBÉ, le disque

Le Capitalisme de la Séduction, Michel Clouscard, 1981.



L'INTELLECTUEL DE GAUCHE

Maintenant, l'intellectuel de gauche vient d'accéder à la consommation mondaine. Et il en est même le principal usager. Pire, encore, il est devenu le maître à penser du monde. Il propose les modèles culturels du mondain. Non seulement il a accédé à la consommation mondaine, mais il en est l'un des patrons. Il a la toute-puissance de prescrire. Et de codifier l'ordre du désir.

Aussi peut-on encore demander à ce nouveau privilégié de renoncer à ce qu'il vient à peine de cueillir ? Il est enfin invité au festin et nous le prions de cracher dans le caviar et de lâcher le morceau. Mais ce qui est le plus grave, le plus décourageant, le plus inquiétant, c'est que cet intellectuel de gauche présente ses nouveaux privilèges comme des conquêtes révolutionnaires. Et nous venons lui demander de reconnaître qu'il est pris la main dans le sac, alors qu'il prétend, de cette main, brandir le flambeau de la liberté.

Et voici ce clerc au pouvoir. Le mensonge du monde va devenir vérité politique, vertu civique. Ce phénomène est d'une portée incalculable. Ce qui était censé être l'opposition au pouvoir va devenir l'alibi même du pouvoir. C'est le principe du pourrissement de l'histoire. Et le triomphe de la "bête sauvage" : la société civile. Topaze est devenu le maître à penser du monde, avec les pleins pouvoir d'une mondanité social-démocrate triomphante.





LES GADGETS

Ces objets - du jeu capitaliste : flipper, juke-box, poster - ne sont pas des surplus utilitaires. Mais des gadgets. Ils ont une fonction économique très précise: ce sont des primes à l'achat. Ils ont été les surplus publicitaires du Plan Marshall, comme cadeaux, comme primes. Ce sont des enjoliveurs. [...] Tous ces gestes ludiques seront comme des modes d'emploi pour le bon usage du Plan Marshall. Flipper, juke-box, poster initient à la civilisation américaine du geste facile, car usage de surplus. Geste ludique, de consommateur désinvolte qui utilise et qui jette: supplément d'âme de la pacotille qui se fait culturelle.




L'ARTISTE ET LA BANDE

De Don Quichotte au Neveu de Rameau, de Flaubert à Artaud, la folie de l'artiste n'est que l'histoire de l'atroce blessure narcissique de celui qui est de trop dans l'être de classe. Le laissé-pour-compte objectif, le déchet, la bouche - et l'esprit - inutile. Quand il n'y a plus de Croisade ou d'Empire colonial, l'idéalisme subjectif devient absolu. [...] Que reste-t-il ? Saint-Germain-des-Prés. Des bandes d'artistes. Puis le campus. Des bandes d'étudiants. Et quelle concurrence alors. La névrose ne suffit plus pour faire une carrière d'artiste. Car elle est devenue objective, de consommation courante. Il faudra politiser, à outrance. Pour se différencier. Ce sera le gauchisme. Une autre carrière. La bande à Cohn-Bendit.

Tels sont les éléments constitutifs de la bande: l'intellectuel et l'artiste; le chic type et le dévoyé; le naïf et le malin; le bourgeois et le sous-prolétaire; le raté et l'arriviste. Autour d'eux gravitent ceux qui n'ont pas de rôle bien défini, mais qui en définitive proposeront la majorité sociologique, silencieuse. C'est un auditoire devant lequel se joue le drame de la bande. Trois rôles sociaux ordonneront le relationnel du groupe : le rôle du bouffon, de l'entremetteur, du truand. [...] Le leader sera celui qui sait manipuler ces rôles et ces personnages. [...] Apprentissage au métier d'animateur idéologique, fonction essentielle du néo-capitalisme.

La bande à Manson et la bande à Baader seront des garde-fous, les limites qu'il ne faut surtout pas franchir La subversion doit rester de bon goût: contestataire. Lorsque la bande échappe à la normalisation libérale, elle se tourne contre sa finalité qui est de promouvoir la social-démocratie libertaire. [...] La libéralisation du néo-capitalisme deviendra la liberté.





CULTURE MUSICALE ?

L'implantation, en France, du capitalisme monopoliste d'État (et du modèle américain) va se mesurer d'après l'irrésistible progression de cette nouvelle culture bourgeoise, hybride, syncrétique, commerciale, qui, partie de rien - de la surboum - va monopoliser tout le champ culturel et laminer les traditions populaires: le jazz sera quasi anéanti, interdit et l'accordéon récupéré par la mode rétro. Cette culture musicale est un inépuisable filon commercial, idéologique, mondain. Implacable terrorisme culturel de l'inculture du libéralisme.

La culture jazz se révèle un barrage pour la nouvelle génération mondaine d'une radicale inculture musicale. Il aurait fallu apprendre. Écouter. Travailler. C'est-à-dire perdre les prestiges de l'émancipateur. Se soumettre à des précepteurs. Ainsi le leader va éloigner la bande de ces boîtes savantes. Mais tout en récupérant soigneusement les signes culturels du jazz, les usages mondains de la Boîte, les canevas musicaux. Il a récupéré, de même, "l'ambiance" de la Fête, son animation spontanée. [...] Rejeté par deux cultures populaires, il les utilise pour les snober, en récupérant leurs signes pour trahir leur esprit.



Le jazz sera perverti en rock: La Fureur de vivre. La musique de la subversion et de la révolte. C'est à dire l'arrivisme mondain de la nouvelle génération blanche. [...] L'acte subversif étymologique - la fauche - va devenir le gestuel même de l'incivisme. La Fureur de vivre sera le raccordement de deux dynamiques: celle du rythme - et non du swing -, celle de la contestation - et non de la révolution. Double prestige du leader, initiateur à la musique et au politique. Double suffisance, arrogance de la bande. De la surboum aux Rolling Stones.

Temps de la foule solitaire. Du psychédélique. Chacun enfermé en son rythme: chacun danse pour soi, corps machinal. [...] Nouvelle sécurisation: l'Autre est aussi refus de l'Autre. De l'Échange. Il est emmuré, lui aussi, en sa solitude. Il ne tentera rien pour en sortir. [...] Le rock est la musique de la majorité "bruyante" de la nouvelle petite bourgeoisie, du consentement au système (complément à la majorité "silencieuse" des "anciens" petits bourgeois). Surtout ne pas être dérangé de son conformisme. Que ça continue. Que ça se répète. À jamais.





LE CORPS MONDAIN

Ce qui se dit contestation n'est qu'initiation mondaine, niveau supérieur de l'intégration au système, à la société permissive. Tel est le mensonge du monde. Le grand combat contre l'institutionnel n'est que la substitution de l'institutionnel de demain à celui d'hier.[...] Ce corps mondain est le constant double jeu d'un faux jeton. L'économie du plaisir est celle de la mauvaise foi politique. Elle est le constant opportunisme d'une double vie. [...] Il est cette hypocrisie, cette mauvaise foi, ce pouvoir de l'idéologie: être à la fois le sensualisme machinal et l'institutionnel de la nouvelle société, l'instinct pulsionnel et la gestion de l'économie, le naturel spontané et le modèle culturel, l'ordre et le désordre. Ce corps mondain est l'incarnation du nouveau pouvoir de classe.




LA DROGUE

Les rejetons de la bourgeoisie ont longtemps pu croire et surtout faire croire qu'ils étaient les maudits, les suicidaires, les héros des ténèbres. Puisque le hasch était la drogue. Et celle-ci la déchéance. Alors qu'ils n'étaient que les pères tranquilles de la consommation marginale. Voilà le modèle parfait de la malédiction-bidon.

Cette image, le type "qui-se-détruit-parce-que-le-système-le-dégoûte" est un remake de l'imagerie romantique. Mais quelle extraordinaire dégradation du contenu et du message. Le romantique n'éprouverait plus - avec la drogue - ce que les autres veulent obtenir - par la drogue. Le romantisme est une ascèse. Un acte, une volonté. L'extase de l'idéalisme subjectif est l'amère récompense d'avoir tenté de vivre.

Le drogué, au contraire, consomme. Et consommation idéologique du corps. Il cherche à obtenir ce à quoi le romantique et le mystique cherchent à s'arracher. Le drogué est l'essence même de la société de consommation. Alors que son image idéologique prétend le contraire. La drogue est le fétiche par excellence. [...] L'acte d'achat est l'essence de la drogue. Un acte d'achat parfait: clandestin, subversif, sélectif. Une élite achète l'essence même de la valeur. L'extase ne peut que suivre.



Le hasch est bien un fléau social: la fétichisation d'une consommation initiatique à la vraie société de consommation. Il est intronisation au snobisme de masse, initiation mondaine à la civilisation capitaliste. Il est le plus pur symbole de cette civilisation de la consommation - transgressive. Osons le mot: le hasch est l'initiation au parasitisme social - de la nouvelle bourgeoisie.

Le bonheur est devenu le moyen d'avoir moins mal. De pouvoir encore tenir le coup. Le capitalisme se dénonce lui-même. [...] La conquête du plaisir s'achève à l'infirmerie. [...] On achète dans le même acte, la maladie et le remède. C'est le même produit. [...] La drogue permet d'atteindre la perfection diabolique du dressage de corps: la meilleure soumission au système par la plus grande tromperie sur la marchandise vendue. Le capitalisme, marchand de rythme et de drogue, entremetteur de l'imaginaire.





LE FÉMINISME

Comment le nouveau phallocrate ne serait-il pas féministe, puisque le féminisme est le vieux projet phallocrate adapté au libéralisme avancé jusqu'à la sociale-démocratie libertaire ? De toute son hypocrisie sexiste, il a voulu que la femme "réussisse" son divorce comme elle a déjà "réussi" ses avortements. De même, en lançant la femme sur le marché du travail, il réussira à en faire une chômeuse.

Car là aussi les dés sont pipés: toujours deux destins de femme. Celles qui profitent du système. Celles qui en sont victimes. Les bourgeoises, nanties de diplômes et qui se sont casées avant la récession. Ou qui, maintenant, bénéficient d'une qualification professionnelle qui leur permet d'exercer un métier libéral, ou d'occuper les secteurs de pointe des public-relations, des mass-medias. Celles qui ont le pouvoir de choisir.

Et les femmes d'origine populaire. Sans diplôme. Sans qualification professionnelle. Même pas ouvrières. Même pas OS. [...] L'immense armée des femmes à tout faire. Contraintes de prendre n'importe quel travail. [...] Le féminisme est cette idéologie qui consacre une nouvelle ségrégation dans le sexe féminin. Ségrégation de classe qui organise deux destins de femme.





LUTTE DES CLASSES > LUTTE DES SEXES

Dans la classe dominante, la femme profite aussi de l'extorsion de la plus-value. [...] Donc, comme exploitation de l'autre femme, de la classe dominée. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi, éventuellement, "exploitée" par l'homme de la classe dominante. [...] Alors on peut proposer cette formule, objective: exploitation de la classe dominée > exploitation de la femme par l'homme dans la classe dominante.

L'antériorité logique, économique, politique - de la lutte des classes - fait de la lutte des sexes une conséquence, un effet. La chronologie historique est soumise à la causalité politique et économique. La lutte des classes réactive la lutte des sexes. Celle-ci n'était plus qu'une forme vide qui va véhiculer le nouveau contenu historique. La lutte des sexes n'a de sens que par la lutte des classes.

Cette logique se vérifie abondamment au niveau empirique. Quelques questions très "naïves" permettent de le constater. Quel était le pouvoir du charbonnier sur la châtelaine ? Quel est celui du travailleur étranger sur Delphine Seyrig ? Voit-on souvent les dames des classes dominantes être soumises à des hommes de telle manière qu'elles acceptent de vivre comme et avec les femmes des classes dominées ?








LA CLASSE UNIQUE

Ce système de différences doit aboutir à la classe unique. C'est une stratégie. Le droit à la différence débouche sur la ressemblance de tous les différents. La classe unique sera la fédération de tous les corporatismes de consommateurs. Homogénéisation d'abord des couches moyennes. Puis de la société globale. Le procès de consommation imposerait ses valeurs au procès de production.

Cet égalitarisme de la différence autorise un autre système de hiérarchies. Alors qu'il prétend dépasser les hiérarchies de classes il les renforce par les hiérarchies mondaines. A chaque moment, un signe signifie barrière et niveau. Cascade des différences, cascade des mépris, cascade des snobismes. Et dans la hiérarchie "horizontale" du système mondain. Chacun snobe l'autre dans la mesure où l'autre peut le snober. Le pouvoir de snober est consenti à ceux qui consentent à se faire snober. Ainsi est-on différent.

C'est une guerre froide idéologique dans le contexte d'une coexistence pacifique. Chacun vit sa vie. C'est un snobisme de masse. Et avec quelle suffisance métaphysique ce conformisme sociologique sera revendiqué: l'individu contre le système. La libéralisation du libéralisme doit être vécu comme la conquête de la liberté. L'idéologie néo-capitaliste aura atteint son but. La révolution du libéralisme sera la Révolution. Celle qui a mis en place la social-démocratie libertaire.





LE CLUB

Pouvoir dans le pouvoir, quasi occulte. Ceux qui ont fait la bande, devenue boîte, devenue club. Trois moments de leur arrivisme, trois moments d'un terrible combat. Aussi sont-ils comme de vieux briscards, vieux complices qui en ont vu de vertes et de pas mûres, mais qui, maintenant, monopolisent le pouvoir mondain.

Quelle est la sous-boîte de l'autre ? Car là aussi, et surtout là, la "différence" est énorme. Castel snobe-t-il vraiment Régine ? De quel droit ? L'établir serait faire progresser la connaissance "des secrets du grand monde", ce caché révélateur des pouvoirs du prince de ce monde. [...] Quatre élites - Jeunesse, Beauté, Vedette, Argent - se sont donnés rendez-vous pour refaire l'Olympe. Celui du capitalisme.

En ces lieux, en ces clubs, règne un pouvoir implacable. Ce pouvoir est même un terrorisme, celui de la désacralisation. Car ce sont les lieux mêmes combien méconnus de la fin des tabous. Tous les interdits mythiques ont été balayés. Là, on a osé. On a pu aller jusqu'au bout. C'est le temps et le lieu du pourrissement des valeurs occidentales. En ces lieux, le capitalisme atteint la perfection mondaine.





LE SAMEDI SOIR

Castel et Régine, c'est permanent. Ibiza ne dure qu'une saison. Un mois même. Après, "ce n'est plus ça". "La fièvre du samedi soir" (ou du vendredi soir) ne durera que quelques heures. Aussi le bal organisé par une association sportive ou professionnelle, ou la boite qui draine la jeunesse plusieurs lieues à la ronde devront proposer, à l'usage du vulgaire, un condensé explosif... Il faut en prendre pour la semaine. Une bonne et grosse soupe pour les rustauds du mondain. Dressage sommaire: boum-boum et pam-pam. Le rythme et la "violence". Et allez vous coucher.




LES ROBOTS

Le nouveau statut du corps est la mesure de cette première civilisation sensuelle de l'histoire. Le corps a été effectivement "libéré". Il vient d'accéder à un statut politico-anthropologique d'une radicale originalité. Ce corps a aquis une autonomie quasi totale. (Nous disons bien le corps, et non l'homme, le citoyen, la personne) Il s'autogestionne. Il est devenu cet atome social qui fonctionne sans aucune transcendance. Sans aucune référence à la transcendance verticale (Dieu, les Dieux...) ou à la transcendance horizontale (le devoir, l'état, la société) Le corps est à lui-même ses propres fins et moyens.


(Les photos proviennent du film LA BANDE DU REX, 1980)

Aux Origines du Mal : Chapitre III

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L'ENSORCELÉE - JULES BARBEY D'AUREVILLY - 1852.


LE CHOUAN

C’était tout simplement l’écusson de la monarchie, les trois fleurs de lys, belles comme des fers de lance, dont la France avait été couronnée tant de siècles, et dont son front révolté ne voulait plus ! Aux yeux de ce Chouan, un tel signe était le saint emblème de la cause pour laquelle il avait vainement combattu. Il l’embrassa donc à plusieurs reprises, comme Bayard expirant embrassa la croix de son épée. Mais, si la passion de ses baisers fut aussi pieuse que celle du Chevalier sans reproche, elle fut aussi plus désolée, car la croix parlait d’espérance, et les armes de France n’en parlaient plus !

Quand il eut ainsi apaisé la tendresse de sa dernière heure, lui qui n’avait pas sur son glaive le signe du martyre divin qui ordonne même aux héros de se résigner et de souffrir, il saisit près de lui sa compagne, son espingole, chaude encore de tant de morts qu’elle avait données le matin même, et, toujours silencieux et sans qu’un mot ou un soupir vînt faire trembler ses lèvres, bronzées par la poudre de la cartouche, il appuya l’arme contre son mâle visage et poussa du pied la détente. Le coup partit. La forêt de Cerisy en répéta la détonation par éclats qui se succédèrent et rebondirent dans ses échos mugissants. Le soleil venait de disparaître. Ils étaient tombés tous deux à la même heure, l’un derrière la vie, l’autre derrière l’horizon.


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Aux Origines du Mal : Chapitre II

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MELMOTH - CHARLES ROBERT MATURIN - 1820.


L'INVERSION

- Si j'ai consenti, repris t-il, à travailler à leur œuvre obscure, à devenir un apprenti de Satan, à recevoir des leçons de torture, si j'ai décrit les souffrances qu'elles produisent, je n'en méprise pas moins toutes ces choses, les hommes tout autant que leurs œuvres. Leurs croyances sont fausses et n'aboutissent à rien. Un credo est nécessaire, dit-on ; le plus faux est le meilleur, car le mensonge du moins est flatteur. Le plus grand coupable peut être absous en espionnant un ennemi du ciel. Je deviens innocent en devenant le bourreau du délinquant que je trahis et dénonce ; dans le langage judiciaire des Anglais on appelle cela espion (king's evidence). On peut sauver sa vie en en sacrifiant une autre. C'est là un marché que chacun est disposé à conclure.

Chaque tison de votre bûcher sera en moins dans mon enfer; chaque goutte d'eau dont je vous prive, je la boirai dans le feu de soufre où je dois être précipité ; chaque larme que je fais couler, chaque gémissement qui s'exhale par mon fait sera diminué des miens. [...] Ma théologie est la meilleure. C'est une hostilité complète contre tous ceux dont les chagrins peuvent diminuer les miens. Vos crimes remplaçant mes vertus, je peux donc m'en passer. J'ai outragé la nature, mais vous avez offensé Dieu et l'Église. Vous êtes mon triomphe, ma vengeance. Je n'ai nul besoin de croire, vous souffrez, cela me suffit.


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Aux Origines du Mal : Chapitre I

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LE MOINE - MATTHEW GREGORY LEWIS - 1796.

Retour à rebours à travers quelques ouvrages du grand 19ème siècle. Une époque sous l'emprise du Mal, où la religion ensorcelait encore les écrivains et les transcendait. Une ère refusant la médiocrité, fascinée par l'obscur, où l'ombre meurtrière de l'Inquisition et la crainte du Patron planaient toujours. Un temps qui nous conte les plus folles tortures et atrocités légitimées par un seul mot : Dieu. Au-to-da-fé ! Des couvents transformés en pénitenciers, peuplés de moines sadiques, de la sorcellerie et de la superstition, des lynchages et lapidations en tous genres, de la souffrance à n'en plus finir, tel sera le lot de ces sombres récits anglais puis français, constatant la perte définitive du Paradis. Un vortex d'infamie mélangeant restes barbares du Moyen-Âge, mystique et romantisme noir. Commencement par le plus marquant de tous : THE MONK. Bienvenue au Purgatoire. (À suivre : MELMOTH)


LA TENTATION

L'homme est né pour la société. Si peu qu'il soit attaché au monde, il ne peut ni l'oublier entièrement, ni supporter d'en être oublié. Dégoûté des crimes ou de l'absurdité des hommes, le misanthrope les fuit ; il se résout à se faire ermite, s'enterre dans le creux de quelque sombre rocher. Tant que la haine enflamme son sein, il peut se trouver satisfait de sa condition ; mais quand son ressentiment commence à se refroidir, quand le temps a mûri ses chagrins et guéri les blessures qu'il avait emporté dans sa solitude, croyez-vous que cette satisfaction demeure sa compagne ?

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Ce qu'il nous faut c'est la haine...

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Mon art consistant à exploiter le mal, puisque je suis poète, on ne peut s'étonner que je m'occupe de ces choses, des conflits par quoi se caractérise la plus pathétique des époques. Le poète s'occupe du mal. C'est son rôle de voir la beauté qui s'y trouve, de l'en extraire (ou d'y mettre celle qu'il désire, par orgueil?) et de l'utiliser. L'erreur intéresse le poète, puisque l'erreur seule enseigne la vérité. Je répète ici que le poète est asocial (apparemment), il chante les erreurs, il les enchante ensuite afin qu'elles servent - ou la soient - la beauté du lendemain. La définition du mal me fait croire qu'il n'est que le résidu de Dieu. La poésie ou l'art d'utiliser les restes. D'utiliser la merde et de vous la faire bouffer. Par mal, j'entends ici le péché contre les lois sociales ou religieuses (de la religion d'État) alors que le Mal n'existe que dans le fait de donner la mort, ou d'empêcher la vie. N'essayez pas de prendre appui sur cette définition rapide pour condamner les meurtres. Tuer c'est souvent donner la vie. Tuer peut être bien. On le reconnait à l'exaltation joyeuse du meurtrier. [...] Il tue pour qu'il vive puisque ces meurtres sont le prétexte et le moyen d'une vie plus haute. Le seul crime serait de se détruire soi-même car du coup c'est tuer la seule vie qui compte, celle de son esprit.

Pompes Funèbres, Jean Genet, 1947.

L'Homme est un automate...

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En principe, l'homme est un automate, et il semble que dans l'homme la conscience soit un gain, une faculté surajoutée. Il ne faut pas s'y tromper : l'homme qui marche, qui agit, qui parle n'est pas nécessairement conscient ni jamais tout à fait conscient. La conscience est sans doute, si on prend le mot dans son sens précis et absolu, l'apanage du petit nombre. Réunis en foule, les hommes deviennent particulièrement automatiques, et d'abord leur instinct de se réunir, de faire à un moment donné tous la même chose témoigne bien de la nature de leur intelligence. Comment supposer une conscience et une volonté aux membres de ces cohues qui, aux jours de fête ou de troubles, se pressent tous vers le même point, avec les mêmes gestes et les mêmes cris ? Ce sont des fourmis qui sortent après l'ondée de dessous les brins d'herbe, et voilà tout. L'homme conscient qui se mêle naïvement à la foule, qui agit dans le sens de la foule, perd sa personnalité ; il n'est plus qu'un des suçoirs de la grande pieuvre factice, et presque toutes ses sensations vont mourir vainement dans le cerveau collectif de l'hypothétique animal ; de ce contact, il ne rapportera à peu près rien ; l'homme qui sort de la foule n'a qu'un souvenir, comme le noyé qui émerge, celui d'être tombé dans l'eau.

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Contre les tâches de sang intellectuelles.

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Le mal s’insurge contre le bien. Il ne peut pas faire moins. C’est une preuve d’amitié de ne pas s’apercevoir de l’augmentation de celle de nos amis. L’amour n’est pas le bonheur. Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à nous corriger, à louer dans les autres ce qui nous manque. Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent qu’il faut commencer par se détester soi-même.

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Le Désespéré, Léon Bloy, 1886.

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Que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd'hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l'exploitation commerciale fait vomir? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d'aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable et on est assuré de rencontrer un excrément anglais à toutes les intersections de l'infini. Il ne reste plus que l'Art. Un art proscrit, il est vrai, méprisé, subalternisé, famélique, fugitif, guenilleux et catacombal. Mais, quand même, c'est l'unique refuge pour quelques âmes altissimes condamnées à traîner leur souffrante carcasse dans les charogneux carrefours du monde.

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