Fluoglacial - Tendances Négatives

Guerrier du Rêve, Jean-Paul Bourre, 2003.



"Le scoutisme fut vite oublié, dépassé par la rapidité d'enchaînement des évènements. Je tourne les pages du magazine Paris Match, assis sur le canapé du salon. Dans le bouillon de l'actualité certains signes surnagent, flammes vives, comme des signaux d'urgence. La mort de James Dean, les concerts tumultueux d'Elvis, le phénomène social des "blousons noirs", chez nous, en France. Il y avait là une nourriture émotionnelle très forte, un amplificateur de sensations. Basculer ou ne pas basculer dans cette fosse aux serpents ?"

Années 50. Jean-Paul Bourre, alors adolescent dans la mystique commune d'Issoire en Auvergne, bascule pleinement dans la fosse aux serpents du rock'n'roll. Elvis De Lautréamont, Comte de Presley, la poésie rock s'enfourne dans les tripes du petit Jean-Paul qui rêve d'aventure et de westerns. En attendant la révolution, il rencontre les durs du bassin minier, commence à palper la carcasse des motocyclettes et puis celle des filles, avec un succès mesuré !

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NABE, ROMAN.



28ème livre, concret comme cette couverture sans bavure. Je ne présente pas NABE (alias Alain Zanini) ni son derniers bras d'honneur aux éditeurs. Vous l'avez déjà vu ici. Rentrons directement dans la substance de ce livre expérimental. L'HOMME QUI ARRÊTA D'ÉCRIRE ou comment résumer l'aventure de 5 années en une semaine (l'aventure est même dans l'achat du livre). De lundi à dimanche, une sorte de recréation façon Dante ou de loge en loge, on aimerait encore plus plonger tous ces adulateurs dans un fleuve de merde. La comparaison au génie italien n'est pas fortuite, Jean-Phi le fameux bloggeur, qui aiguillera Marc-Édouard dans la nouvelle vie mondaine des années 2000, prend comme pseudo sur la toile le blase de Virgile. À travers la géographie de Paris capitale, les 700 pages chaudes et fulgurantes nous font revivre l'histoire des années 2000, notre histoire, avec le panache de celui pour qui tout est fini, et pour qui tout recommence...

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Le Dépucelage de Céline

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C'est elle qui me maltraite, qui me tarabuste... Je glisse moi dans la marmelade... J'ose pas trop renifler... J'ai peur de lui faire du mal... Elle se secoue comme un prunier... "Mords un peu, mon chien joli!... Mords dedans! Va!" qu'elle me stimule... Elle s'en fout des crampes de ruer! Elle pousse des petits cris-cris... Ca cocotte la merde et l'oeuf dans le fond, là où je plonge... Je suis étranglé par mon col... le celluloïd... Elle me tire des décombres... Je remonte au jour... J'ai comme un enduit sur les châsses, je suis visqueux jusqu'aux sourcils... "Va! déshabille-toi! qu'elle me commande, enlève-moi tout ça! que je vois ton beau corps mignon! Vite! Vite! Tu vas voir, mon petit coquin! T'es donc puceau? Dis, mon trésor? Tu vas voir comme je vais bien t'aimer!... Oh! le gros petit dégueulasse... il regardera plus par les trous!..."

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Ni Héroïsme, Ni Noblesse

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La civilisation n'a pas le moindre besoin de noblesse ou d'héroïsme. Ces choses-là sont des symptômes d'incapacité politique. Dans une société convenablement organisée comme la nôtre, personne n'a l'occasion d'être noble ou héroïque. Il faut que les conditions deviennent foncièrement instables avant qu'une telle occasion puisse se présenter. Là où il y a des guerres, là où il y a des tentations auxquelles on doit résister, des objets d'amour pour lesquels il faut combattre ou qu'il faut défendre, là, manifestement, la noblesse et l'héroïsme ont un sens. Mais il n'y a pas de guerres, de nos jours. On prend le plus grand soin de vous empêcher d'aimer exagérément qui que ce soit. Il n'y a rien qui ressemble à un serment de fidélité multiple; vous êtes conditionné de telle sorte que vous ne pouvez vous empêcher de faire ce que vous avez à faire.

Et ce que vous avez à faire est, dans l'ensemble, si agréable, on laisse leur libre jeu à un si grand nombre de vos impulsions naturelles, qu'il n'y a véritablement pas de tentations auxquelles il faille résister. Et si jamais, par quelque malchance, il se produisait d'une façon ou d'une autre quelque chose de désagréable, eh bien, il y a toujours le soma qui vous permet de prendre un congé, de vous évader de la réalité. Et il y a toujours le soma pour calmer votre colère, pour vous réconcilier avec vos ennemis, pour vous rendre patient et vous aider à supporter les ennuis. Autrefois, on ne pouvait accomplir ces choses-là qu'en faisant un gros effort et après des années d'entraînement moral pénible. A présent, on avale deux ou trois comprimés d'un demi-gramme, et voilà. Tout le monde peut être vertueux, à présent. On peut porter sur soi, en flacon, au moins la moitié de sa moralité. Le christianisme sans larmes, voilà ce qu'est le soma.

Brave New World, Aldous Huxley, 1932.

SNATCH: Le charlatanisme culturel



Le sommaire de ce nouveau magazine Snatch m'avait alléché. Ça faisait un bail que je n'avais pas acheté de papier glacé, et bien ça m'apprendra. Je passe les premières pages actu/buzz/like/dislike qui n'intéressent personne pour foncer vers le racolage actif. Ça va enchainer dur, tenez vous bien. Christina Aguilera VS. Lady Gaga + L'Air du Front (National), j'aimerais d'ailleurs comprendre pourquoi tous les hipsters se sentent obligés de parler fun du FN depuis que Le Pen a pris sa retraite, ça ramène des points crédibilité ou quoi ? Ensuite, l'article inévitable sur Romain Gavras et son clip de M.I.A. (il prépare d'ailleurs un long-métrage métaphorique sur la persécution des roux, ça ne finira jamais...). Puis, un point sur la tendance vulgaire des statuts Facebook et Twitter, important de le signaler en effet. Rapport champagne du Printemps de Bourges et fantasme de Cyberguerre précèdent un paragraphe risible sur Clint Eastwood (dont le nom est quand même au sommaire de la une).



Le gros du mag est un entretien avec Kim Chapiron qui parle de son nouveau film Dog Pound, un SCUM à l'américaine. Un peu plus de consistance (la plupart des rédacteurs, au combien nombreux, semblent étudier à Sciences-Po...) dans la seconde partie (qui relève moins de la transposition d'Internet sur papier que le reste). L'autre face du rap avec Alkpote, Alpha 5.20, Seth Gueko qui en lâche des bonnes comme d'hab (c'est pas ma bite qui est dans mon cerveau mais mon cerveau qui est dans ma bite...), Roi Heenok et double-page avec Morsay pour finir. Voilà. Ensuite ça va aller vite, Jamie Lidell on s'en tape, CocoRosie on s'en tape, le film sur The Doors on s'en tape. La tecktonik est-elle morte ? C'est vrai ça. C'est amusant comme des freluquets de 20-25 ans parlent des années 2005-2006 comme de l'avant guerre. "Des reliquats d'une autre époque". Et my balls on your commode ? Bref, vous verrez combien Treaxy possède de chaussures et comment les choses se passent aux Vertifight.



Je crois qu'on atteint le sommet de médiocrité avec cette chose: Une journée sous le Niqab de la rue au sex-shop. L'apothéose. Volez le mag dans votre kiosque pour mieux comprendre. L'interview société met Robert Super Hue à l'honneur. Je suis communiste. Mais je suis communiste autrement. Ben tiens. Parfaite transition pour l'autre dossier: Plongée en territoire skinhead. On y apprend que les skins sont des mods et que Evil Skinner était un fameux groupuscule de la capitale. Coup de langue furtif de Vincent ex-JNR et focus sur Shadow et les Black Dragons (tu sais même pas sur quoi tu frappes mais t'es content quand t'as tapé. [...] Et puis un jour tu réalises pourquoi tu le fais. Contre l'injustice, contre le racisme.) pour terminer de toute beauté avec l'interview de Daphnée, skingirl, dont le féminisme se traduit par la baston contre les mâles et sa skinitude à son polo Fred Perry et sa coupe 3mm, pour pas qu'on lui reproche de ne pas assumer son trip. Bon, ce dossier aurait pu être pire, relativisons.



Ça parle de Boogie ensuite, le photographe serbe de la dépravation. Ça me fait penser que son "It's all good" n'est toujours pas dans mes mains. Rokhaya Diallo, la militante qui refuse le "black" enchaine, en fantasmant sur le système américain qui persécute les médias intolérants... On termine comme on a commencé, par des articles bidons Humeurs & opinions (où l'on apprend que t'as plus de chance de séduire avec un Iphone), les essentiels shooting et revue de mode suivis d'une deuxième revue de mode sur les acteurs de la nuit parisienne, c'est pas jo-jo, des pages art moderne, des chroniques de films que l'on ne téléchargera même pas, et de disques hyper soft pour écouter en chaussures bateaux et pantalon 8/10. Je passe l'éponge sur Disiz La Peste qui se met à l'electro-rock et sur l'incorrigible Woody Allen pour conclure une fois de plus avec une sentence de Huysmans :

Le dilettante n'a pas de tempérament personnel, puisqu'il n'exècre rien et qu'il aime tout; or, quiconque n'a pas de tempérament personnel n'a pas de talent.

La Crise du Monde Moderne, René Guénon, 1927.



L'AGE SOMBRE - KALI-YUGA

Il y a un mot qui fut mis en honneur à la Renaissance, et qui résumait par avance tout le programme de la civilisation moderne : ce mot est celui d' « humanisme ». Il s'agissait en effet de tout réduire à des proportions purement humaines, de faire abstraction de tout principe d'ordre supérieur, et, pourrait on dire symboliquement, de se détourner du ciel sous prétexte de conquérir la terre; les Grecs, dont on prétendait suivre l'exemple, n'avaient jamais été aussi loin en ce sens, même au temps de leur plus grande décadence intellectuelle, et du moins les préoccupations utilitaires n'étaient elles jamais passées chez eux au premier plan, ainsi que cela devait bientôt se produire chez les modernes.

L' «humanisme», c'était déjà une première forme de ce qui est devenu le « laïcisme » contemporain ; et, en voulant tout ramener à la mesure de l'homme, pris pour une fin en lui-même, on a fini par descendre, d'étape en étape, au niveau de ce qu'il y a en celui-ci de plus inférieur, et par ne plus guère chercher que la satisfaction des besoins inhérents au côté matériel de sa nature, recherche bien illusoire, du reste, car elle crée toujours plus de besoins artificiels qu'elle n'en peut satisfaire.





LA MULTIPLICITÉ

C'est bien là, en effet, le caractère le plus visible de l'époque moderne : besoin d'agitation incessante, de changement continuel, de vitesse sans cesse croissante comme celle avec laquelle se déroulent les événements eux-mêmes. C'est la dispersion dans la multiplicité, et dans une multiplicité qui n'est plus unifiée par la conscience d'aucun principe supérieur; c'est, dans la vie courante comme dans les conceptions scientifiques, l'analyse poussée à l'extrême, le morcellement indéfini, une véritable désagrégation de l'activité humaine dans tous les ordres où elle peut encore s'exercer; et de là l'inaptitude à la synthèse, l'impossibilité de toute concentration, si frappante aux yeux des Orientaux.




L'INDIVIDUALISME

Ce qui ne s'était jamais vu jusqu'ici, c'est une civilisation édifiée tout entière sur quelque chose de purement négatif, sur ce qu'on pourrait appeler une absence de principe; c'est là, précisément, ce qui donne au monde moderne son caractère anormal, ce qui en fait une sorte de monstruosité, explicable seulement si on le considère comme correspondant à la fin d'une période cyclique, suivant ce que nous avons expliqué tout d'abord. C'est donc bien l'individualisme, tel que nous venons de le définir, qui est la cause déterminante de la déchéance actuelle de l'Occident, par là même qu'il est en quelque sorte le moteur du développement exclusif des possibilités les plus inférieures de l'humanité, de celles dont l'expansion n'exige l'intervention d'aucun élément supra-humain, et qui même ne peuvent se déployer complètement qu'en l'absence d'un tel élément, parce qu’elles sont à l'extrême opposé de toute spiritualité et de toute intellectualité vraie.



L'état d'esprit auquel nous faisons allusion est, tout d'abord, celui qui consiste, ; si l'on peut dire, à « minimiser » la religion, à en faire quelque chose que l'on met à part, à quoi on se contente d'assigner une place bien délimitée et aussi étroite que possible, quelque chose qui n'a aucune influence réelle sur le reste de l'existence, qui en est isolé par une sorte de cloison étanche ; est il aujourd'hui beaucoup de catholiques qui aient, dans la vie courante, des façons de penser et d'agir sensiblement différentes de celles de leurs contemporains les plus « areligieux » ? C'est aussi l'ignorance à peu près complète au point de vue doctrinal, l'indifférence même à l'égard de tout ce qui s'y rapporte ; la religion, pour beaucoup, est simplement une affaire de « pratique », d'habitude, pour ne pas dire de routine, et l'on s'abstient soigneusement de chercher à y comprendre quoi que ce soit, on en arrive même à penser qu'il est inutile de comprendre, ou peut-être qu'il n'y a rien à comprendre ; du reste, si l'on comprenait vraiment la religion, pourrait on lui faire une place aussi médiocre parmi ses préoccupations ?





LE CHAOS SOCIAL

Rien ni personne n'est plus à la place où il devrait être normalement; les hommes ne reconnaissent plus aucune autorité effective dans l'ordre spirituel, aucun pouvoir légitime dans l'ordre temporel ; les "profanes" se permettent de discuter des choses sacrées, d'en contester le caractère et jusqu'à l'existence même ; c'est l'inférieur qui juge le supérieur, l'ignorance qui impose des bornes à la sagesse, l'erreur qui prend le pas sur la vérité, l'humain qui se substitue au divin, la terre qui l'emporte sur le ciel, l'individu qui se fait la mesure de toutes choses et prétend dicter à l'univers des lois tirées tout entières de sa propre raison relative et faillible. « Malheur à vous, guides aveugles », est-il dit dans l'Évangile ; aujourd'hui, on ne voit en effet partout que des aveugles qui conduisent d'autres aveugles, et qui, s'ils ne sont arrêtés à temps, les mèneront fatalement à l'abîme où ils périront avec eux.




UNE CIVILISATION MATÉRIELLE

Pour les modernes, rien ne semble exister en dehors de ce qui peut se voir et se toucher, ou du moins, même s'ils admettent théoriquement qu'il peut exister quelque chose d'autre, ils s'empressent de le déclarer, non seulement inconnu, mais « inconnaissable », ce qui les dispense de s'en occuper. S'il en est pourtant qui cherchent à se faire quelque idée d'un « autre monde », comme ils ne font pour cela appel qu'à l'imagination, ils se le représentent sur le modèle du monde terrestre et y transportent toutes les conditions d'existence qui sont propres à celui-ci, y compris l'espace et le temps, voire même une sorte de « corporéité » [...]




Cet utilitarisme presque instinctif est d'ailleurs inséparable de la tendance matérialiste, le « bon sens » consiste à ne pas dépasser l'horizon terrestre, aussi bien qu'à ne pas s'occuper de tout ce qui n'a pas d'intérêt pratique immédiat; c'est pour lui surtout que le monde sensible seul est « réel », et qu'il n'y a pas de connaissance qui ne vienne des sens; pour lui aussi, cette connaissance restreinte ne vaut que dans la mesure où elle permet de donner satisfaction à des besoins matériels, et parfois à un certain sentimentalisme, car, il faut le dire nettement au risque de choquer le « moralisme » contemporain, le sentiment est en réalité tout près de la matière.





LES HOMMES-MACHINES

Dans ces conditions, l'industrie n'est plus seulement une application de la science, application dont celle-ci devrait, en elle-même, être totalement indépendante ; elle en devient comme la raison d'être et la justification, de sorte que, ici encore, les rapports normaux se trouvent renversés. Ce à quoi le monde moderne a appliqué toutes ses forces, même quand il a prétendu faire de la science à sa façon, ce n'est en réalité rien d'autre que le développement de l'industrie et du « machinisme » ; et, en voulant ainsi dominer la matière et la ployer à leur usage, les hommes n'ont réussi qu'à s'en faire les esclaves, comme nous le disions au début : non seulement ils ont borné leurs ambitions intellectuelles, s'il est encore permis de se servir de ce mot en pareil cas, à inventer et à construire des machines, mais ils ont fini par devenir véritablement machines eux-mêmes.




L'ANIMAL HUMAIN

Car c'est ainsi : l'Occident moderne ne peut tolérer que des hommes préfèrent travailler moins et se contenter de peu pour vivre; comme la quantité seule compte, et comme ce qui ne tombe pas sous les sens est d'ailleurs tenu pour inexistant, il est admis que celui qui ne s'agite pas et qui ne produit pas matériellement ne peut être qu'un « paresseux » ; sans même parler à cet égard des appréciations portées couramment sur les peuples orientaux, il n'y a qu'à voir comment sont jugés les ordres contemplatifs, et cela jusque dans des milieux soi-disant religieux.

Dans un tel monde, il n'y a plus aucune place pour l'intelligence ni pour tout ce qui est purement intérieur, car ce sont là des choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne se pèsent; il n'y a de place que pour l'action extérieure sous toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de toute signification. Aussi ne faut-il pas s'étonner que la manie anglo-saxonne du « sport » gagne chaque jour du terrain. L'idéal de ce monde, c'est l' « animal humain » qui a développé au maximum sa force musculaire; ses héros, ce sont les athlètes, fussent-ils des brutes ; ce sont ceux-là qui suscitent l'enthousiasme populaire, c'est pour leurs exploits que les foules se passionnent; un monde où l'on voit de telles choses est vraiment tombé bien bas et semble bien près de sa fin.





LE BONHEUR ?

Cependant, plaçons-nous pour un instant au point de vue de ceux qui mettent leur idéal dans le « bien-être » matériel, et qui, à ce titre, se réjouissent de toutes les améliorations apportées à l'existence par le « progrès » moderne ; sont-ils bien sûrs de n'être pas dupes ? Est-il vrai que les hommes soient plus heureux aujourd'hui qu'autrefois, parce qu'ils disposent de moyens de communication plus rapides ou d'autres choses de ce genre, parce qu'ils ont une vie plus agitée et plus compliquée ? Il nous semble que c'est tout le contraire, le déséquilibre ne peut être la condition d'un véritable bonheur ; d'ailleurs, plus un homme a de besoins, plus il risque de manquer de quelque chose, et par conséquent d'être malheureux; la civilisation moderne vise à multiplier les besoins artificiels, et, comme nous le disions déjà plus haut, elle créera toujours plus de besoins qu'elle n'en pourra satisfaire, car, une fois qu'on s'est engagé dans cette voie, il est bien difficile de s'y arrêter, et il n'y a même aucune raison de s'arrêter à un point déterminé.



Les hommes ne pouvaient éprouver aucune souffrance d'être privés de choses qui n'existaient pas et auxquelles ils n'avaient jamais songé; maintenant, au contraire, ils souffrent forcément si ces choses leur font défaut, puisqu'ils se sont habitués à les regarder comme nécessaires, et que, en fait, elles leur sont vraiment devenues nécessaires. Aussi s'efforcent-ils, par tous les moyens, d'acquérir ce qui peut leur procurer toutes les satisfactions matérielles, les seules qu'ils soient capables d'apprécier : il ne s'agit que de « gagner de l'argent », parce que c'est là ce qui permet d'obtenir ces choses, et plus on en a, plus on veut en avoir encore, parce qu'on se découvre sans cesse des besoins nouveaux; et cette passion devient l'unique but de toute la vie.





L'ENVAHISSEMENT OCCIDENTAL

Il est vrai que, quand certaines passions s'en mêlent, les mêmes choses peuvent, suivant les circonstances, se trouver appréciées de façons fort diverses, voire même toutes contraires : ainsi, quand la résistance à une invasion étrangère est le fait d'un peuple occidental, elle s'appelle « patriotisme » et est digne de tous les éloges ; quand elle est le fait d'un peuple oriental, elle s'appelle « fanatisme » ou « xénophobie » et ne mérite plus que la haine ou le mépris. D'ailleurs, n'est ce pas au nom du « Droit », de la « Liberté », de la « justice » et de la « Civilisation » que les Européens prétendent imposer partout leur domination, et interdire à tout homme de vivre et de penser autrement qu'eux-mêmes ne vivent et ne pensent ?





On conviendra que le « moralisme » est vraiment une chose admirable, à moins qu'on ne préfère conclure tout simplement, comme nous-même, que, sauf des exceptions d'autant plus honorables qu'elles sont plus rares, il n'y a plus guère en Occident que deux sortes de gens, assez peu intéressantes l'une et l'autre : les naïfs qui se laissent prendre à ces grands mots et qui croient à leur « mission civilisatrice », inconscients qu'ils sont de la barbarie matérialiste dans laquelle ils sont plongés, et les habiles qui exploitent cet état d'esprit pour la satisfaction de leurs instincts de violence et de cupidité. [...] En tout cas, ce qu'il y a de certain, c'est que les Orientaux ne menacent personne et ne songent guère à envahir l'Occident d'une façon ou d'une autre ; ils ont, pour le moment, bien assez à faire de se défendre contre l'oppression européenne, qui risque de les atteindre jusque dans leur esprit-, et il est au moins curieux de voir les agresseurs se poser en victimes.



(Les photos proviennent de ON THE SILVER GLOBE d'Andrzej Zulawski, le film le plus mystique du monde. Réalisé en 1977 et sorti en 1988 pour cause de Pologne totalitaire, des cosmonautes quittent la Terre vers un ailleurs afin de créer une nouvelle civilisation)

Sois médiocre et tais-toi !

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Aujourd'hui le tiers état, tout entier, ne désire plus, et avec raison, qu'expulser en paix et à son gré ses flatuosités, acarus et borborygmes. [...] - Or vous arrivez, vous, prétendant lui faire ingurgiter des bonbonnes d'aloès liquide dans des coquemards d'or ciselé. Naturellement il regimbera, non sans une grimace, ne tenant pas à ce qu'on lui purge, de force, l'intellect! Et il me reviendra, tout de suite, à moi, préférant, après tout, reboire mon gros vin frelaté dans mon vieux gobelet sale, vu l'habitude, cette seconde nature.

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Croule donc, société! Meurs donc, vieux monde!

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Son mépris de l’humanité s’accrut ; il comprit enfin que le monde est, en majeure partie, composé de sacripants et d’imbéciles. Décidément, il n’avait aucun espoir de découvrir chez autrui les mêmes aspirations et les mêmes haines, aucun espoir de s’accoupler avec une intelligence qui se complût, ainsi que la sienne, dans une studieuse décrépitude, aucun espoir d’adjoindre un esprit pointu et chantourné tel que le sien, à celui d’un écrivain ou d’un lettré.

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La Peinture et Le Mal, Jacques Henric, 1983.


[Les Damnés, Luca Signorelli, 1499-1502]

LE PEINTRE

...découvrant, au fur et à mesure qu'il arrache sur sa toile la peau du monde et la sienne propre, que le monde n'est qu'un immense malentendu, que donner la vie c'est apporter la mort, alimenter l'interminable boucherie qu'on appelle l'existence, que toute naissance tient du crime. Que morales, idéologies, cultures, religions, politiques, c'est à dire les multiples tartines du Bien, sont désormais prises sous le feu dissolvant du pinceau.

Travail de chirurgien, voire d'équarrisseur comme le suggère d'emblée Rembrandt par le thème de ses tableaux : boeuf écorché, dissection de cadavres... Géricault, on le sait, pour peindre d'après modèles son Radeau, entassera dans son atelier des bras, des jambes, des pieds, des mains, des sexes humains récupérés dans des hôpitaux et qui dégageront une odeur de charogne insoutenable. Vinci travaille devant des corps ouverts, sanguinolents ; Goya assiste aux pendaisons, aux empalements, aux tronçonnages... Pour réaliser un beau dessin, Signorelli n'en perd pas une bouchée de son enfant mort, le Rosso non plus... Quant à Toulouse-Lautrec, avant de peindre, pour se mettre en forme, il fait son habituelle balade dans les salles d'opération des hôpitaux...




[La chute des anges rebelles, Pieter Bruegel, 1562]

LE MUSÉE

Quant à la poubelle de l'Histoire, et notamment de l'histoire de l'art, s'il en faut une absolument, en voilà une toute trouvée : le musée. [...] Faut-il s'en plaindre ? Autant que l'argent, le musée est la vérité de la peinture. [...] Bataille, après avoir rapproché guillotine et musée, compare ce dernier au poumon d'une grande ville où la foule affluerait et ressortirait purifiée et fraîche comme le sang. Un poumon, un foie, un rein, enfin un filtre! un lieu de transformation, de mutation des substances, de vidange, une sorte de chic w.-c. Cela devrait impliquer une pratique nouvelle, non normalisée, du musée.

Par exemple, considérer non seulement la salle mais les tableaux comme des "contenants", surtout pas des idoles devant lesquelles se prosterner mais des "surfaces mortes", et ainsi ce serait dans la foule que se produiraient "les éclats, les jeux, les ruissellement de lumière". Le musée selon Bataille ? "Un miroir colossal dans lequel l'homme se contemple sous toutes les faces, se trouve littéralement admirable et s'abandonne à l'extase."

Voilà ce que c'est, naïve poulaille, d'avoir pris le musée pour une église alors qu'il fallait s'en servir comme d'un chiotte ou, suivant en cela la suggestion de Saint Ambroise, en faire un immense bordel.




[Fille agenouillée aux coudes nus, Egon Schiele, 1917]

LE SEXE

Le sexe, "cet idiot à couronne de paille"... Bêtise crasse des psy, des pédagos et des curés du progrès! Paraîtrait, selon eux, que ça n'est pas vrai que la masturbation rende gaga, que ça serait une idée obscurantiste, rétrograde que de le soutenir. Qu'au contraire le sexe c'est bien, c'est bon, ça libère, ça épanouit... Pauvres pommes! Bien sûr que l'interminable branlette devant les mamelles de l'Immuable ça rend con avant de rendre salement méchant! Bien sûr que c'est de ce tissu de débilité que nos vie set nos rêves sont faits, que c'est dans cette layette et sur ce bavoir que le prématuré humain n'arrête pas de crachouiller ses minces filets de semence!

Enfin, mesdames, messieurs les psy, pédagos, les curés de progrès, vous êtes-vous déjà, une fois au moins, regardés dans une glace quand vous vous polissez le chinois ou vous enfilez un carafon entre les cuisses ? Cette gueule de traviole, cet œil vide, hagard, cette bouche ouverte prête à happer on ne sait quelle menue mouche ou ver accroché à son hameçon... Non, jamais? Alors dépêchez-vous de faire connaissance avec la peinture d'Egon Schiele.




[Hora de Todos, André Masson, 1937]

MARCEL

"Je crois beaucoup à l'érotisme parce que c'est une chose assez générale dans le monde, confiait Duchamp à Pierre Cabanne, une chose que les gens comprennent... c'est vraiment le moyen d'essayer de mettre à jour des choses qui sont constamment cachées - et qui ne sont pas forcément de l'érotisme - à cause de la religion catholique, à cause des règles sociales."

On a là un échantillon de la débile pensée de l'après-Mai 68: les flux désirants, la libération sexuelle et autres fadaises sur la méchante Église et l'affreux pape qui ne considèrent pas que c'est un urgent devoir pour eux de donner leur bénédiction à ceux qui se shootent ou à celles qui avortent... Se débarasser de l'interdit pour accéder à la pure "félicité physique", voilà le programme.

Le Grand Moule, ou appelons-le la Grande Moule, celle si bien léchée par ce benêt goulu de Courbet devant l'œil allumé de Duchamp. La Grande Moule à mâles, ou l'anonymat de l'art, la géniale invention de ce géant et définitif fruit de mer qu'aura été notre XXe siècle. Le n'importe quoi de n'importe qui que la moule muséale promeut comme Archétype de l'Art. C'est Malraux qui sur cette opération, une fois de plus, avait vu juste : vous placez l'urinoir sur une place publique, c'est un urinoir, vous l'introduisez dans le musée et il devient une œuvre. Rien de tel avec un Rubens : sur une place publique il reste un Rubens.

Aux Origines du Mal : Chapitre IV

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LÀ-BAS - JORIS-KARL HUYSMANS - 1891.

L'HISTOIRE EST FINIE

Tout cela est désormais fini; la bourgeoisie a remplacé la noblesse sombrée dans le gâtisme ou dans l'ordure; c'est à elle que nous devons l'immonde éclosion des sociétés de gymnastique et de ribote, les cercles de paris mutuels et de courses. Aujourd'hui, le négociant n'a plus qu'un but, exploiter l'ouvrier, fabriquer de la camelote, tromper sur la qualité de la marchandise, frauder sur le poids des denrées qu'il vend.

Quant au peuple, on lui a enlevé l'indispensable crainte du vieil enfer et, du même coup, on lui a notifié qu'il ne devait plus, après sa mort, espérer une compensation quelconque à ses souffrances et à ses maux. Alors il bousille un travail mal payé et il boit. De temps en temps, lorsqu'il s'est ingurgité des liquides trop véhéments, il se soulève et alors on l'assomme, car une fois lâché, il se révèle comme une stupide et cruelle brute!

Quel gâchis, bon Dieu! - Et dire que ce dix-neuvième siècle s'exalte et s'adule! Il n'a qu'un mot à la bouche, le progrès. Le progrès de qui? Le progrès de quoi? Car il n'a pas inventé grand'chose, ce misérable siècle!

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