Fluoglacial - Tendances Négatives

SCHNOCK #1


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Classe chaude/Classe froide



" En 1979, les classes ouvrières françaises et britanniques présentent dans le domaine psychologique des images inversées. Outre-Manche, le prolétariat est symbole de chaleur humaine et de joie de vivre. Il produit des musiciens, de faibles taux de suicide et d'alcoolisation. En France, les ouvriers d'industrie sont au contraire le remords vivant de la nation. Banlieues sinistres, fort taux de mortalité volontaire et éthylisme. Le verre de rouge remplace la tasse de thé, le PCF, la guitare électrique. Ces exemples opposés de deux classes ouvrières, dont l'une est froide et l'autre chaleureuse, posent à la sociologie d'inspiration marxiste un problème théorique et général. Pourquoi, à l'intérieur du système capitaliste international, peut-on trouver, pour deux niveaux de développement comparables, des ouvriers heureux et malheureux ? Comment la distribution sociale des suicides français peut-elle ressembler plus à celles des suicides hongrois, qu'à celle des suicides britanniques ? La réponse, extérieure au marxisme, est assez simple. La France et la Hongrie bénéficient, ou supportent, la même tradition petite-bourgeoise, compétitive et surexcitée, exerçant la même pression sur leurs deux classes ouvrières.

En France, la petite bourgeoisie dominante a réussi l'acculturation de son prolétariat. La classe majoritaire définit le style culturel et psychologique de l'ensemble de la nation. Elle impose, au-delà de ses propres frontières de classe, une tonalité générale des relations humaines dans tout le pays. Il est possible de soutenir, sans volonté excessive de paradoxe, qu'un processus analogue eut lieu en Angleterre. Mais là, la classe ouvrière l'emportait numériquement. Et ce sont au contraire les classes moyennes qui ont été, dans une certaine mesure, acculturées par leur classe ouvrière. La douceur des relations humaines, la nonchalance économique qui caractérise notre voisine d'Outre-Manche proviennent sans doute d'une nationalisation des vertus ouvrières du XIXe siècle, parfaitement compatibles avec le style de vie aristocratique traditionnel des classes dirigeantes britanniques. L'acceptation par les élites britannique des Beatles, des Rolling Stones et des Who, groupes populaires, est de ce point de vue symbolique. "

Le fou et le prolétaire, Emmanuel Todd, 1979.
(Picture: These Are The Damned, 1963)

A LA MODE EN 1979



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La ville verticale



" ...leurs adversaires étaient des gens satisfaits de leur vie dans la tour, des représentants d'une nouvelle race qui ne voyaient aucun inconvénient à vivre dans un paysage anonyme de béton et d'acier, qui ne cillaient pas devant l'invasion de leur vie privée par des officines gouvernementales et des organismes de classement de fiches et d'analyse de données - mieux: qui accueillaient peut-être favorablement ces manipulations invisibles, certains de pouvoir les utiliser à leurs propres fins. Ils étaient les premiers à maîtriser un nouveau mode d'existence du vingtième siècle finissant. L'écoulement rapide des amitiés et connaissances, l'absence de contact réel avec autrui avaient tout pour les satisfaire; l'autonomie de leurs existences était complète puisque n'ayant besoin de rien, ils n'étaient jamais déçus.

D'un autre côté, leurs besoins réels se feraient peut-être sentir par la suite. A mesure que la vie dans l'immeuble deviendrait plus aride et plus dénuée de sentiment, l'éventail de possibilités qu'elle offrait s'élargirait. Grâce à l'efficacité du mode de vie qu'elle engendrait, la tour supportait, si l'on ose dire, l'ensemble de l'édifice social et en assurait à elle seule le fonctionnement. Pour la première fois dans l'histoire, il était inutile de réprimer les comportements asociaux, et les gens se trouvaient libres d'explorer tranquillement leurs déviations et leurs fantasmes.

C'est sur ce terrain que se développeraient les aspects les plus intéressants, et les plus importants, de l'existence des habitants. Bien à l'abri dans la coque de leur immeuble comme les passagers d'un long-courrier branché sur le pilote automatique, ils seraient libres de se conduire comme ils le voudraient, libres d'explorer les recoins les plus sombres qu'ils pourraient découvrir. De bien des manières, la tour représentait l'achèvement de tous les efforts de la civilisation technologique pour rendre possible l'expression d'une psychopatologie vraiment "libérée". "

High rise, James Graham Ballard, 1975.
(Picture: Les Horizons, Rennes)

Speer to peer



" Cité le plus souvent comme édifice de l'abomination, on transfère au bâtiment ce qui était le fait de l'armement. Personne n'est choqué par la devanture de l'armurier, si peu par l'exposition de véhicules de combat, alors que le blockhaus concentre la réprobation de toute une époque pour la guerre. Une personnalité s'exprime ici par matériaux interposés, mais il y a erreur sur le contenu: ce qui est mis au compte de la puissance belliqueuse du Reich est en fait à mettre à celui de l'armement moderne. Les formes imposantes des bunkers du Mur de l'Atlantique sont la conséquence de l'armement adverse, de la puissance de feu de ceux qui nous délivraient, de nos propres armées. Architecture défensive, le bunker n'est pas, comme l'architecture officielle du régime nazi, l'expression d'une esthétique néo-classique. Il est issu d'une autre histoire, celle des armes et des retranchements et, sans remonter aux casemates du siècle dernier, il suffit de connaître les défenses anglaises, françaises ou allemandes de la Première Guerre mondiale pour retrouver beaucoup des solutions utilisées aussi bien dans la ligne Maginot que dans le Westwall.

Ce qui donne leur "sens" à ces bornes de l'espace militaire contemporain, c'est la puissance de feu de l'ensemble des armées modernes, c'est la nouveauté de l'orientation du risque, la nouvelle balistique de la guerre à trois dimensions, celle d'un danger imminent, tous azimuts. N'y voir que l'arrogance et la violence de l'ennemi serait nous abuser sur nous-mêmes. Le bunker balise un espace militaire qui était celui du dernier jeu de la guerre, jeu que toutes les nations du monde ont élaboré et perfectionné ensemble au cours du siècle passé. Le bunker de l'Atlantikwall nous alerte moins sur l'opposant d'hier que sur la guerre d'aujourd'hui et de demain: la guerre totale, le risque partout, l'instantanéité du danger, le grand brassage du militaire et du civil, l'homogénéisation du conflit. [...]

Contempler la masse à demi enterrée d'un bunker, avec ses aérateurs bouchés, la fente étroite du guetteur, c'est contempler un miroir, le reflet de notre propre puissance de mort, celui de notre mode de destruction, de l'industrie de la guerre. La fonction de cet édifice si particulier, c'est d'assurer la survie, d'être un abri pour l'homme dans une période critique, le lieu où il s'enfouit pour subsister.

Une histoire s'achève et la borne de béton nous indique où se termine la longue organisation des infrastructures territoriales, des marches de l'Empire aux frontières de l'État, au seuil continental. Le bunker est devenu un mythe, à la fois présent et absent, présent comme objet de répulsion pour une architecture civile transparente et ouverte, absent dans la mesure où l'essentiel de la nouvelle forteresse est ailleurs, sous nos pieds, désormais invisible.

Le blockhaus est encore familier, il coexiste, il est de l'époque où s'achève la notion stratégique de "devant" et de "derrière" (d'avant-garde et d'arrière-garde) et où débute celle des "dessus" et des "dessous", où l'enfouissement va s'accomplir définitivement, où la terre ne sera plus qu'un immense glacis exposé au feu nucléaire. Sa poésie, c'est de n'être encore qu'un simple bouclier pour ceux qui l'utilisent, finalement aussi désuet qu'une armure d'enfant reconstituée, coquille vide, fantôme touchant d'un duel dépassé où les adversaires pouvaient encore s'observer directement au travers de la fente étroite de leur visière rabattue. Il est protohistorique d'un âge où la puissance d'une seule arme est devenue telle qu'aucune distance n'en protège plus vraiment. "

Bunker archéologie, Paul Virilio, 1975.
(Picture: Bunker Barbara, Bayonne)

Gogues au Goulag



" L'imagination des hommes de lettres est bien indigente en regard de la réalité quotidienne, telle que la vivent les indigènes de l'Archipel. Quand ils veulent parler de ce qu'il y a de plus sinistre, de plus critiquable dans les prisons, ils mettent toujours en avant les tinettes. La tinette! Elle est devenue, dans la littérature, le symbole de la prison, le symbole de l'humiliation suprême, de la puanteur. O esprits légers! Croyez-vous vraiment que la tinette soit un mal pour le détenu ? Sachez que c'est l'invention la plus charitable des geôliers. L'horreur, toute l'horreur ne commence qu'à partir du moment où il n'y a pas de tinette dans une cellule.

En 1937, dans plusieurs prisons de Sibérie, IL N'Y AVAIT PAS DE TINETTES: on en manquait! On n'en avait pas fabriqué suffisamment, l'industrie sibérienne n'avait pas pu suivre la cadence, elle n'était pas préparée à cet envahissement des prisons. Pour les cellules nouvellement construites, il ne se trouva donc point de bassines dans les magasins d'État. Quant aux vieilles cellules, elles avaient bien des tinettes, mais si antiques et de si faible contenance qu'il fût jugé plus sage de les enlever. Eu égard audit envahissement, elles n'auraient plus servi de rien. Ainsi, si la prison de Minoussinsk avait été construite - il y avait de cela fort longtemps - pour abriter cinq cents personnes (...) elle en accueillait alors dix mille, ce qui signifie que chaque tinette aurait dû être agrandie... vingt fois! Mais ne le furent point.

Nos plumes russes écrivent à gros traits. Nous avons vécu tant de choses! Rien ou presque n'a encore été décrit ni même cité, mais pour les auteurs occidentaux, avec leur manie d'examiner à la loupe les cellules de l'organisme, d'agiter une fiole d'apothicaire dans le faisceau des projecteurs, ce serait tout une épopée, ce serait dix volumes d'ajoutés à la Recherche du temps perdu. Qu'ils décrivent donc le trouble qui s'empare de l'esprit d'un homme qui vit dans une cellule vingt fois trop remplie, où il n'y a pas de tinette et où l'on vous mène faire vos besoins une fois toutes les vingt-quatre heures! Naturellement, il y a là bien des procédés qu'ils ne connaissent pas. Ils ne s'aviseront pas, par exemple, de pisser dans un capuchon de toile à bâche. Ils ne comprendront absolument pas le conseil de leur voisin: pissez dans une de vos bottes. Et, pourtant, ce conseil est d'une grande sagesse. Suivre ce conseil, cela ne signifie nullement que la botte sera perdue. Ce n'est pas non plus la ravaler à la condition de seau hygiénique! Ce conseil signifie seulement: Otez votre botte, renversez-là, relevez le bord de la tige à l'extérieur et vous obtiendrez ainsi un récipient en forme de gouttière en anneau, le récipient désiré!

En revanche, de quelles méandres psychologiques les auteurs occidentaux n'enrichiraient-ils pas leur littérature (sans le moindre risque de répéter banalement les maîtres illustres), si seulement ils connaissaient les us et les coutumes de la prison de Minoussinsk, toujours elle: on distribue la nourriture dans une écuelle pour quatre, on verse l'eau à boire à raison d'un quart par personne et par jour (il y a des quarts). Voici que l'un des quatre, pressé par un incoercible besoin, utilise l'écuelle commune pour se soulager puis refuse de donner sa provision d'eau pour laver cette écuelle avant le déjeuner. Quel conflit! Quels heurts entre ces quatre caractères! Quelles nuances! "

L'archipel du goulag, Alexandre Soljénitsyne, 1973.
(Picture: Magnitogorsk, URSS)

School Suicide


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Le Choc du Futur



LA 800EME GÉNÉRATION

" Au cours des trois cents dernières années, la société occidentale a été prise dans un tourbillon de transformations, tourbillon qui, loin de s'apaiser, semble être maintenant en plein regain de puissance. Il se répand sur les pays fortement industrialisés en rafales d'une violence jusqu'ici inconnue et dont la vitesse ne cesse de s'accroître. Une flore sociale des plus curieuses se développe dans son sillage: églises psychédéliques, "universités libres", villes scientifiques dans l'Arctique, clubs d'échanges de femmes en Californie, que sais-je encore.

En outre, il engendre des personnages bizarres, des enfants qui, à douze ans, n'ont plus rien d'enfantin, des hommes de cinquante ans qui se conduisent comme des enfants de douze ans, des riches qui singent la pauvreté, des programmeurs qui s'intoxiquent au L.S.D., des anarchistes qui, sous leur pull sale, sont d'un conformisme navrant, et des conformistes qui, dans leur complet-veston, sont en fait des anarchistes à tout crin. Il existe des prêtres mariés, des pasteurs athées et des juifs adeptes du bouddhisme zen. Nous avons le pop... et l'op... et l'art cinétique... des clubs play-boy, des cinémas pour homosexuels... des amphétamines et des tranquillisants,... la colère, l'abondance et l'oubli. L'oubli surtout.

Est-il possible d'expliquer un spectacle aussi singulier sans avoir recours au jargon de la psychanalyse ou aux clichés abscons de l'existentialisme? De toute évidence, une société nouvelle et étrange est en train d'éclore tumultueusement parmi nous. Existe-t-il un moyen de la comprendre, et d'en contrôler l'évolution ? Comment pouvons-nous nous en accommoder ?

Bien des choses qui semblent actuellement incompréhensibles seraient beaucoup plus claires si nous jetions un regard nouveau sur cette évolution dont le rythme effréné fait parfois ressembler la réalité à un kaléidoscope en folie. Car l'accélération du changement n'a pas pour seul effet de bouleverser nations et industries, c'est une force tangible qui nous atteint au tréfonds de notre vie personnelle, qui nous oblige à jouer de nouveaux rôles, et qui fait peser sur nous la menace d'un malaise psychologique nouveau et redoutable par sa violence. À celui-ci on peut donner le nom de "choc du futur"... "

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Feu!



" Le monde est laid, il le sera de plus en plus. Les forêts tombent sous la hâche, les villes poussent, engloutissant toute chose, et partout les déserts s'étendent, les déserts sont aussi l'œuvre de l'homme, la mort du sol est l'ombre que les villes jettent à distance, il s'y joint à présent la mort de l'eau, puis ce sera la mort de l'air, mais le quatrième élément le feu, subsistera pour que les autres soient vengés, c'est par le feu que nous mourrons à notre tour. Nous marchons à la mort universelle, et les mieux avertis le savent, ils savent qu'il n'est de remède à ces calamités déchaînées par les oeuvres, ils sont tragiques parmi les frivoles, ils gardent le silence eu milieu des bavards, ils laissent espérer les uns ce que les autres leur promettent, ils ne se mêlent plus d'avertir les premiers ni de confondre les seconds, ils jugent que le monde est digne de périr et que la catastrophe est préférable à cet épanouissement dans l'horreur absolue et la laideur parfaite, qui ne nous seront évitées qu'au prix de la ruine. Que la ruine soit et que la dissolution se parachève! Nous aimons mieux l'irréparable que la survie dans un avortement recommencé. "

Bréviaire du chaos, 1971, Albert Caraco.

Shakespeare never did this !



"en vérité, ça ne bouge nulle part. les évènements de Prague ont refroidi la plupart de ceux qui avaient oublié la Hongrie. et pourtant ils continuent de se traîner dans les parcs avec le Che en effigie et les portraits de Castro pour conjurer le mauvais sort, et ils hurlent OOOOOOMMMMMMMOOOOOMMMMMM, lorsque William Burroughs, Jean Genet et Allen Ginsberg leur en donnent l'ordre. or ces écrivains sont finis, ils ont sombré dans la mollesse, la répétition, la nullité, ce sont désormais des femmelettes - pas des pédérastes des femmelettes-, et si j'étais flic, je prendrais mon pied à écrabouiller leur cervelle faisandée.

d'accord, j'accepte que l'on me pende pour ce blasphème, l'écrivain qui s'affiche dans la rue se fait sucer sa substantifique moelle par les imbéciles. il n'y a qu'une chose qui convienne à l'écrivain: la SOLITUDE devant sa machine à écrire. un écrivain qui descend dans la rue est un écrivain qui ne sait rien de la rue. j'ai fréquenté assez d'usines, de bordels, de prisons, de parcs et d'orateurs publics pour remplir la vie de cent hommes. descendre dans la rue quand on a un NOM, c'est choisir la facilité - ils ont tué Dylan Thomas et Brendan Behan avec leur AMOUR, leur whisky, leur idolâtrie et leurs vagins, et ils en ont presque massacré cinquante autres. QUAND VOUS LÂCHEZ VOTRE MACHINE A ÉCRIRE, VOUS LÂCHEZ VOTRE FUSIL AUTOMATIQUE, ET LES RATS RAPPLIQUENT AUSSITÔT."


Notes of a dirty old man, Charles Bukowski, 1969.